Les chiffres publiés lundi par l’Office fédéral des statistiques en Allemagne se sont répandus comme une traînée de poudre. Si l’on en croit la presse, le nombre de personnes occupant un emploi en Allemagne a atteint un record, franchissant pour la première fois la barre des 41 millions. Ainsi, un résident allemand sur deux travaillait l’an dernier, soit une hausse de 535.000 ou 1,3% sur un an.
Première explication, un peu courte, apportée par certains économistes : suite aux indispensables réformes structurelles imposées par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder en 2005 (plans Hartz), le marché du travail allemand a profité de la reprise dynamique de l’économie du pays après la récession de 2009, et s’affiche en pleine forme. Conséquence, le taux de chômage est passé sous la barre des 7%, à son plus bas niveau depuis vingt ans. Cependant, comment l’Allemagne, qui a connu en 2009 une crise économique deux fois plus grave que la France et subi de plein fouet l’effondrement de ses exportations, a-t-elle pu maintenir un taux de chômage à ce niveau ?
Une partie de la réponse se trouve dans le Kurzarbeit ou travail réduit, une politique sociale visant à promouvoir la protection des emplois. Il s’agit d’un programme public en vertu duquel un employeur et son personnel (généralement syndiqué) peuvent convenir de réduire la durée du travail (et, par conséquent, le salaire…) et où, moyennant un engagement de l’employeur de maintenir ses emplois, l’Etat accepte de verser un complément de revenu aux salariés affectés. Une politique qui n’est pas une panacée mais est à l’opposée de celle menée par Nicolas Sarkozy, lequel préfère financer les heures supplémentaires pour un coût de plus de 3 milliards d’euros par an.
Une dépêche de Reuters publiée en février 2009 détaillait le fonctionnement de ce Kurzarbeit, expliquant notamment que la chancelière Angela Merkel en a modifié la réglementation (et pas à l’avantage des salariés) «dont l’origine remonte à 1910, en réduisant les charges financières qu’il impose aux entreprises et en supprimant un certain nombre de lourdeurs administratives» : «Les entreprises ont réussi pour l’instant à éviter des licenciements massifs en utilisant une disposition légale qui leur permet de réduire la durée horaire de travail pendant un maximum de 18 mois. Le texte de loi qui assouplit les conditions de mise en œuvre de cette disposition a été soutenu par les syndicats et a permis de réduire les tensions sociales tout en amortissant le choc de la crise économique et financière».
«La crise a réveillé les syndicats allemands, qui s’étaient un peu assoupis au cours des années Schröder. Ils sont allés voir la chancelière Angela Merkel pour exiger que le licenciement devienne un dernier recours et que la règle générale soit de garder le maximum de salariés, le maximum de compétences dans l’entreprise en développant autant que possible le Kurzarbeit», explique l’économiste Pierre Larrouturou dans un récent livre “Pour éviter le krach ultime” (Nova éditions, 2011). Ainsi, l’Etat finance le maintien du revenu des salariés selon le principe suivant : «Au lieu de licencier 20% de ses effectifs, une entreprise qui voit baisser son chiffre d’affaires de 20% va réduire son temps de travail de 20% et garder tous les salariés. Sans doute le salaire va-t-il baisser, mais l’Etat est là pour maintenir le revenu», ajoute Pierre Larrouturou.
Voici ce qu’en disait Pierre-Alain Muet, député PS de Lyon, ancien président délégué du Conseil d’analyse économique, dans un billet de blog sur le site de Mediapart daté du 3 janvier 2011 : «L’Allemagne, qui aborde avec pragmatisme la question du temps de travail, a massivement réduit le temps de travail et stimulé très fortement le chômage partiel — dont la dénomination pertinente est le terme allemand Kurzarbeit (travail réduit). La France, au contraire, s’est payé le luxe, dans cette crise, de subventionner à la fois les heures supplémentaires en même temps qu’elle subventionnait (un peu) son contraire : le chômage partiel ! Résultat : nos deux pays, qui avaient exactement le même taux de chômage à l’été 2008 (7,5%), ont divergé, notre chômage a explosé (9,8% fin 2010) alors que l’Allemagne, pourtant plus touchée que la France par la crise en raison de son ouverture aux échanges internationaux, a réussi à réduire le sien (6,7%). Et comme les salariés sont restés liés à l’entreprise au lieu de se retrouver au chômage, l’Allemagne a pu, en 2010, retrouver une croissance forte».
Le 23 janvier 2011, le ministère du Travail allemand a rendu public «un bilan assez complet du Kurzarbeit», relève Pierre Larrouturou, fervent partisan de la semaine de 4 jours : «Il a concerné 1.500.000 salariés qui, en moyenne, ont baissé de 31% leur temps de travail». De quoi mettre à mal l’idéologie du «travailler plus».
(Source : Politis)
Pierre Larrouturou parle du Kurzarbeit sur France Inter :
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