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On peut lutter contre le chômage même sans croissance

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«Même avec une croissance faible», Michel Sapin ne renonce pas à inverser la courbe du chômage. Mais pourquoi tout baser sur la croissance ? C'est la question que pose Pierre Larrouturou, économiste et défenseur de la semaine de quatre jours.

Il faut que l'on prenne tous conscience de la gravité de la situation. Le 13 février dernier, un chômeur s’est donné la mort devant son agence Pôle emploi, parce qu'il arrivait en fin de droits. Tous les mois, il y a en moyenne 20.000 chômeurs de plus et 80.000 hommes et femmes qui ne sont plus comptés comme chômeurs mais qui, en fin de droits, tombent dans la pauvreté. Au total, ils sont 100.000 chaque mois à être directement frappés par la crise. Sans compter les conjoints et les enfants !

Le chômage gangrène tout. Ces lettres de licenciement, cette précarité ont des conséquences dramatiques sur des millions de familles, sur l'intégration des jeunes et la carrière des seniors, qui sont plus fortement touchés. Le chômage pèse sur les banlieues, le financement des retraites (comment demander aux Français de travailler plus longtemps alors que 80% d’entre eux sont inactifs lorsqu’ils la soldent ?)...

La croissance ne reviendra pas

Cette crise sociale peut vite déboucher sur une crise politique majeure. On l'a vu en Italie. On l'a vu dimanche 24 mars avec la législative partielle dans l'Oise. Les peuples n'en peuvent plus de cette incapacité de leurs dirigeants face à l’augmentation constante du chômage. Tous, citoyens, élus, syndicalistes, nous devons accepter de voir en face la gravité de la crise sociale. Nous devons nous laisser bousculer. Sortir de nos habitudes ! Cela fait 30 ans que nos dirigeants mettent des rustines pour éviter l'explosion, endiguer le chômage en attendant que la croissance revienne.

Miser sur le retour de la croissance est une stratégie suicidaire parce qu’elle sous-entend qu'il ne faut pas s’embêter à inventer un nouveau modèle de développement : si la croissance revient, si la crise n'est qu’une parenthèse qui va bientôt se refermer, pas besoin de se creuser la tête pour inventer du neuf. Hélas (ou tant mieux !), la crise n’est pas une parenthèse. Il nous faut admettre que la croissance ne reviendra pas. Mais, bonne nouvelle, on peut construire des formes nouvelles de prospérité, de justice sociale et de convivialité sans croissance.

Avant même la crise des subprimes, cela faisait 30 ans que nous n’atteignions pas les 2,5% de croissance tant souhaités. Depuis 20 ans, le Japon fait moins de 1% de croissance. Malgré des plans de relance pharaoniques (sa dette publique arrive à 210% du PIB), malgré une politique industrielle audacieuse (en investissant plus de 3% du PIB chaque année dans la recherche et en créant des interfaces innovantes entre PME et recherche), malgré une politique monétaire ambitieuse (avec un taux d’intérêt collé à 0%), le Japon n'arrive qu'à 0,7% de croissance en moyenne depuis 1992. Et heureusement que les États-Unis et l’Europe achetaient ses produits d’exportation : sinon, malgré tous ces efforts, sa croissance serait négative !

Il faut agir pour éviter la récession, mais comprendre que la croissance ne reviendra pas. Il est urgent que la gauche modernise sa doctrine et organise des États généraux de l'emploi pour mettre sur la table toutes les solutions. Le programme du PS date de 2010. Il misait sur 1,7% de croissance en 2013 et entre 2 et 2,5 en 2014. Plus personne n'y croit.

Pas de honte à admettre que la crise est historique

Même l’Allemagne – malgré toutes les qualités du "modèle allemand" – est retombée en récession fin 2012. Le Premier ministre japonais a démissionné récemment parce qu'il n'arrivait pas à endiguer le chômage. Le président des États-Unis lui-même entrevoit la rechute en récession... Comme le dit Edgar Morin, l'humanité risque une sortie de route. Nous devons construire une nouvelle société avant que l'ancienne ne s'effondre.

Nous sommes face à une crise historique et mondiale. Il n'y a pas de honte pour François Hollande et le gouvernement à avouer que le programme du PS n’était pas génial — celui de l’UMP était pire. Mieux vaut réfléchir maintenant à toutes ces questions plutôt que d’attendre une déroute aux municipales et aux européennes de 2014.

S’il y a 400.000 chômeurs de plus et 1 million de nouveaux pauvres supplémentaires, si le FN devient le premier parti de France, je ne sais pas quelles seront les marges de manœuvre du gouvernement. Il est urgent de passer à l’action et de définir d’abord un plan d’action à la hauteur de la situation.

L'équilibre budgétaire, oui, mais sans l’austérité

Certaines des solutions sont sous nos yeux. Il est encore possible d’éviter la récession. Bien sûr, il faut se diriger vers l’équilibre des finances publiques, mais cela ne signifie pas que l’on doive accepter l’austérité.

Si le budget de l’UE était financé par un impôt européen sur les dividendes, la France pourrait conserver les 20 milliards qu’elle lui consacre chaque année. C’est ce qu’a fait Roosevelt lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1933 aux États-Unis. Pour mettre fin au tourisme fiscal des entreprises, il a instauré un impôt fédéral sur les bénéfices des entreprises. Dans la zone euro, les bénéfices explosent mais l’impôt sur les bénéfices est passé en moyenne de 37% à 25% sur 20 ans, parce que chaque pays suit ce que fait le voisin. Pourquoi continuer ce dumping ?

Il faut aussi lutter radicalement contre les paradis fiscaux. Chaque année, c’est 45 milliards qui manquent dans les caisses de l’État. Des entreprises profitent de notre système d’éducation, du système de santé, de nos infrastructures, signent des contrats avec l’État, les régions… mais quand il s’agit de payer les impôts, on les retrouve au Liechtenstein ! Les entreprises qui jouent à ce jeu-là, il faudrait leur interdire de répondre à des commandes publiques.

Pour éviter la récession et donner de l’oxygène à nos finances publiques et donc à toute l’économie, il est possible aussi de financer la dette publique avec des taux d’intérêt à 1%. La Banque centrale est capable de trouver 1.000 milliards pour sauver les banques mais quand il s’agit de 20 milliards de dettes de l’Espagne ou de l'Italie, les taux d’intérêt sont monstrueux. Cette pratique du deux poids, deux mesures doit cesser immédiatement. Il n’y a pas même besoin de changer les traités : nous montrons que, pour la vieille dette publique (c’est 80% du problème), la BCE peut prêter à la Banque européenne d’investissement qui prête aux États membres. On peut le faire la semaine prochaine. Et ça change tout pour toute l’Europe du Sud.

Relancer des secteurs utiles aux citoyens

Si l'on ne peut pas compter sur les plans de relance pharaoniques (l'exemple du Japon a montré leur inutilité), il est néanmoins possible de relancer des secteurs d’activité utiles aux gens. Le secteur du logement est la priorité.

En France, il manque 800.000 logements. Pas étonnant que les prix pratiqués à la vente ou la location soient si élevés. 2013 est d’ailleurs présentée comme la plus mauvaise année depuis 50 ans dans le secteur de la construction. Mais, scandale incroyable, malgré la pénurie de logement, on annonce qu’on va licencier 40.000 personnes dans ce secteur car il n’y a pas de financement pour construire !

Pourquoi ne pas s’inspirer des Pays-Bas où le fonds de réserve des retraites est utilisé pour financer des logements ? Au lieu de laisser ce fonds aux marchés financiers, comme c’est le cas en France, ce qui ne rapporte que 1,4% par an, mettons en place cette gestion immobilière par décret. Cela nous rapporterait 2,5% chaque année, puisque tous les mois des gens paieront leurs loyers. Cela pourrait créer 200.000 emplois et, à terme, cela ferait baisser les loyers.

Quant au chômage en tant que tel, il est possible de suivre le kurzabeit allemand, qui signifie travail court, c’est-à-dire d’avoir recourt à un chômage partiel lors de ces périodes difficiles. Quand une entreprise voit son carnet de commandes diminuer de 40%, au lieu de licencier 40% des effectifs, il suffit de baisser de 40% le temps de travail des salariés. L’argent que l’État aurait mis pour payer les chômeurs est utilisé pour compléter les revenus des salariés, pour qu’ils conservent 95% de leur salaire. Cette mesure est efficace : pendant la crise, 1,5 millions d’Allemands ont vu leur temps de travail hebdomadaire chuter de 31%. Du coup, le chômage a augmenté six fois moins vite qu’en France, alors que la récession était deux fois plus grave ! Qu’est-ce qu’on attend pour généraliser ces dispositifs en France ?

Reprenons le mouvement historique de réduction du temps de travail

Cette diminution du temps de travail devrait aussi s’appliquer aux entreprises qui vont bien. Reprenons le mouvement historique de réduction du temps de travail pour créer de l’emploi. Aujourd’hui, ce combat que Michel Rocard et moi portons depuis 20 ans revient au goût du jour : des syndicats allemands demandent la semaine de 30 heures !

Aux États-Unis, c'est l’ancien ministre du travail de Bill Clinton, Robert Reich, qui affirme que la cause fondamentale de la crise est notre incapacité à gérer les gains de productivité et à partager le travail. Dans son dernier livre, Al Gore, ancien vice-président de Clinton, dit lui aussi que la question de la productivité (on produit de plus en plus avec de moins en moins de travail) est absolument fondamentale !

Le partage actuel du travail est un non-sens : il y a d’un côté des millions de chômeurs qui travaillent 0 heure et de l’autre, des salariés à temps plein dont la durée réelle est revenue à 39 heures. Ce partage est stupide : soit on travaille plein pot – parfois trop –, soit on ne travaille pas du tout.

Que la droite continue de critiquer les 35 heures de son côté, peu importe : que les hommes politiques de droite me citent une seule mesure qui a créé 300.000 emplois en CDI ! Quant au patronat, il hurlait déjà quand la France introduisait les congés payés en 1936. Fort heureusement, tous ne sont pas aussi rétrogrades. En 1993, Antoine Riboud, le PDG de Danone, déclarait qu’il fallait descendre à 32 heures sur 4 jours, sans étape intermédiaire. Il y a déjà 400 entreprises de toutes tailles et tous métiers qui sont passées à 4 jours sans augmenter leur masse salariale et en créant massivement des emplois. Un mouvement général vers les quatre jours pourrait créer plus d’un million d’emplois (en activant les dépenses de l’Unedic). Pourquoi ne pas relancer des négociations sur ce sujet ?

La vraie question, c’est de savoir si la gauche se résigne au partage du travail actuel ou si elle veut provoquer un sursaut de justice sociale. Parce que si elle poursuit avec le modèle actuel, on est partis pour une récession de longue durée. Pour pousser la gauche à l’audace, nous avons créé les collectifs Roosevelt 2012 avec Stéphane Hessel, Edgar Morin, Cynthia Fleury, Michel Rocard, Susan George, Lilian Thuram, Bruno Gaccio, Olivier Berruyer, Dominique Méda, Gaël Giraud et bien d’autres. Plus nous serons nombreux, plus nous serons écoutés des politiques. Venez nous rejoindre sur www.Roosevelt2012.fr !

(Source : Le Plus)

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