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Vie & Vicissitudes D’Un Chômeur

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Lettre ouverte du blogueur Philippe Sage à ceux qui persistent à croire que les chômeurs sont des assistés.

Peu importe, me semble-t-il, la profession que j’exerce. Peu importe, car nous sommes (désormais) soumis, peu ou prou, aux mêmes règles, celles qui, petit à petit, se sont imposées, celles inhérentes à un monde que l’on nous vend et vante à longueur de journées, un monde qui ne connaît plus qu’un seul mot : compétitivité. Ce mot est d’une extrême importance car il aura bouleversé totalement les conditions de travail des salariés (ce dont on ne parle quasiment jamais), quand ce n’est pas la «valeur travail» elle-même. Et ça ne vaut pas que pour le secteur privé. Ainsi, en matière de Police, par exemple, il est moins demandé de «protéger et servir» que de «faire du chiffre» : il en va des bonnes statistiques de la délinquance.

Peu importe donc mon métier (quand bien même y serais-je profondément attaché) : en vingt-sept années de CDD (et un seul CDI), je connus trois fois le chômage. Les raisons ? Elles sont toutes différentes. Un changement de direction (et donc, comme souvent dans ma profession, d’équipes), la cessation d’activité d’une entreprise et, enfin, un «choix de vie».

Il est primordial, à ce stade, de dire noir sur blanc que, au-delà des raisons, l’entrée dans le monde du chômage est particulièrement déprimante, pour ne pas dire brutale. Vous pouvez être le plus motivé de la terre, le plus enthousiaste, le plus volontaire, il n’y a rien à faire, quelque chose finit par vous rattraper... Vous pouvez faire le fier, fanfaronner en pariant à qui veut bien l’entendre que d’ici un mois, allez peut-être deux, vous aurez réintégré le monde du travail, assez vite vous comprenez que votre nouveau statut, celui de demandeur d’emploi, est une entrave. Vous n’êtes plus vu, entendu, perçu comme vous l’étiez quand vous aviez un emploi... Pourtant vous avez un parcours, des compétences, une expérience à faire valoir... Oui mais voilà, il y a eu un «accident» dans ce parcours. Et c’est bien pour cela que je précisais «au-delà des raisons», parce qu’une fois chômeur, elles n’entrent pas en ligne de compte. Ou très rarement.

En d’autres termes, aux yeux de l’autre (l'employeur potentiel, notamment) vous devenez, d’une certaine façon, en partie responsable de cet état.
Si vous êtes au chômage, c’est que vous avez «fauté» ou «mal anticipé».
Et donc, qui sait, et malgré votre CV, peut-être êtes-vous un élément sujet à poser des problèmes dans une entreprise. Peut-être n’êtes-vous pas malléable, pour ne pas dire corvéable à souhait. Peut-être avez-vous «trop de caractère». Peut-être même, portez-vous malheur ! Etc.
Bref, vous auriez manqué à quelques règles bien néolibérales, et en particulier à la première de toutes : la sacro-sainte compétitivité au nom de laquelle tout doit être sacrifié. Le salarié, en premier.

Ce que je veux dire c’est que, après la blessure (quand ce n’est pas l’humiliation) qui existe, qui est bien réelle (qui n’a pas reçu, un jour, une lettre de licenciement ne peut en connaître la juste mesure), qui a certes à voir avec quelque chose qui nous est personnel mais aussi commun à tous (l’amour-propre, par exemple), vont se succéder des moments éprouvants, des moments où vous allez devoir prendre énormément sur vous et, le temps passant, finissez par saisir, très concrètement, ce que signifie l’expression «faire profil bas».
Vous pouvez être armé d’une volonté de fer, être un bonhomme, j’en connais peu qui échappent à cette spirale. Bref, à ce qui, inexorablement, vous tire par le bas... Six mois de chômage et vous n’êtes plus la même personne : vous doutez de vous-même, de votre parcours, de vos compétences, de votre expérience. Et si, en fait, vous ne valiez rien ?...

Chacun comprendra alors que, parvenu là, il vous est d’autant plus difficile de retrouver un emploi. D’où le terme de «spirale».

Je tenais à préciser tout cela car j'ai noté que, bien souvent, ceux qui parlent de chômage, plus particulièrement ceux qui prétendent que «Du travail, y’en a !» ou alors que «Quand on n’a pas de travail, il ne faut pas faire le difficile et prendre ce qui vient !», ceux-là n’ont jamais connu le chômage. Ils ne savent pas ce que c’est... J’en ai même rencontrés me confirmant que, eux ? Mais jamais ils n’y avaient été ! Ajoutant illico que jamais ils n’y seraient un jour ! Comme si on pouvait l’éviter... Comme si nous l’avions cherché. Et moi, le premier.

Ce sont les mêmes qui estiment que le chômeur est un «assisté». Parce qu’ils l’imaginent vautré dans un canapé, indemnisé. Ils pensent que si on l’indemnisait moins, voire plus du tout, il se bougerait le cul, le chômeur. Ignorant, ou faisant mine d’ignorer, que l’indemnisation est sujette à moult paramètres et qu’elle n’est pas éternelle.

Je vais vous faire un aveu : j’ai secrètement rêvé qu’un jour, ces gens fussent à leur tour chômeurs et qu’ils en goûtent tous les désagréments, toutes les humiliations, et aussi tous les renoncements. Peut-être comprendraient-ils enfin comment il se fait qu’il pût y avoir des chômeurs de longue durée (comme je le fus)…

Bref, lorsque vous perdez votre travail, et quelle qu’en fût la raison, vous changez de statut. En d’autres termes, vous changez de division. Vous rétrogradez. Et pas de Ligue 1 à Ligue 2 ! Non ! Vous descendez directement en CFA2. C’est un fait.
C’était vrai en 1990, ça l’était en 1998, et tout autant en 2009. Nous en venons à mes trois périodes de chômage... Si la perception du chômeur n’aura quasiment pas varié, en revanche, sa prise en charge, elle, est différente. Et c’est là, un des points.

En 1990, comme en 1998, assez rapidement, on me proposa de suivre une formation. Comme de surcroît j’étais demandeur, je les abordais avec enthousiasme, et aussi plein d’espoirs... Est-il utile de préciser que ce n’est pas le chômeur qui s’en acquitte (je parle du coût — ou alors dans certains cas, et dans des proportions plus ou moins raisonnables) mais l’Etat.
Il me semble, ne serait-ce que pour l’avoir vécu, qu’une grande partie des demandeurs d’emploi, pour ne pas dire une belle majorité, ne demande pas mieux que de suivre une formation. Et c’est d’autant plus logique que, suite à une perte de travail mal vécue (sentiment d’injustice, amour-propre qui en a pris un sale coup, humiliation personnelle également, etc.), se former pour en découvrir un autre, de travail, et donc d’univers, c’est une façon de tourner la page. Se laver. Repartir à zéro.

Seulement voilà, alors qu’en 1990 comme en 1998, c’était envisageable pour la plupart, figurez-vous que ça ne l’est plus aujourd’hui. Et ce n’est pas tant dû à la fusion ANPE/Assedic (qui n’est pas une mauvaise idée… sur le papier) qu’à une affaire de pognon.

J’ai pu l’éprouver puisque cette fois (2009/2011), c’est moi qui insistais pour suivre une formation, indiquant même celles qui me paraissaient les plus adéquates. Mais il me fut (très aimablement) répondu que lesdites formations étaient attribuées au compte-goutte. Que de surcroît (vu mon profil) je n’étais pas prioritaire. Même après plus d’un an de chômage. Et même si, à mon âge, il était particulièrement difficile de réintégrer le monde du travail.

Dès lors, quand François Fillon nous apprend qu’actuellement «seuls 10%» des demandeurs d’emploi sont en formation, ça ne me surprend pas. Mais ce qu’il omet de préciser — or, c’est le plus important —, c’est que si ce chiffre est ridiculement bas, ce n’est pas parce que les chômeurs ne veulent pas suivre une formation, mais parce qu’il n’y a pas de budget «alloué à» !

Il est très important de le dire car, encore une fois, celui qui pense déjà que les chômeurs-ceci, les chômeurs-cela, pourrait être trivialement conforté dans son opinion pour le moins primaire, celle qui consiste à affirmer, bêtement, que non seulement le chômeur est un «assisté» mais qu’en plus, c’est une feignasse.
Si vous y ajoutez la proposition du candidat Sarkozy consistant à consulter le peuple quant aux droits des chômeurs, ça commence à faire beaucoup. Beaucoup trop.
Car, que l’on prenne le peuple, ou une partie de celui-ci, pour un veau sans cerveau, ce n’est pas nouveau ; mais qu’on le consultât (et par temps de «crise sans précédent» !) en alimentant l’idée que le chômeur est un «assisté», un «feignant», voire même un «fraudeur» et qu’en plus, le salopard, il refuserait de se former, c’est sans nom !

Quand on veut combattre le chômage, on met le paquet. Et le paquet : c’est du pognon.
Proposer au demandeur d'emploi une formation ? Je suis d’accord. Mais alors, qu’ils y mettent les moyens ! Au lieu de désigner le chômeur comme un «cancer» de notre société.

L’autre vérité c’est que, comme y’a pas de formation, ou si peu, les demandeurs d’emploi travaillent à perte. Ce que j’ai fait. Quelques heures par mois. A des taux horaires incroyablement bas. Parfois, via des contrats que je n’avais jamais vus jusqu’ici : «à la journée» (nos «amis Allemands» connaissent bien ce phénomène …). Mais on prend. Et sans barguigner.
Ça ne suffit certes pas pour «sortir» de Pôle Emploi. Mais ça permet de maintenir un taux de chômage inférieur à 10% (en période électorale, c'est pas de refus...). En réalité, nous sommes bien au-dessus.

Le paquet, ça veut aussi dire du personnel qualifié, et en nombre, à Pôle Emploi.
Moi, j’ai eu de la chance. Je suis tombé sur une petite structure habitée par une équipe compréhensive, humaine et compétente. Mais j’ai vu, aussi, ces moments où ils étaient débordés. Complètement. Parce que pas assez nombreux, et aucune solution à offrir. Déjà que, en temps normal, y’en avait pas…
Je ne dis pas qu’en 1990 ou 1998, je n’ai pas été témoin des mêmes symptômes. D’autant qu’en février 1998, nous étions au-delà des 10% de chômeurs. Mais il me semble, j’en suis même certain, que concernant la question de la formation, c’était sans comparaison.

J’ajoute, cependant, que la formation n’est pas une fin en soi, ou la solution-miracle. Car après, il y a l’employeur et son bon vouloir. Et je me souviens qu’en 1990, comme en 1998, il préféra, cet employeur, recruter un profil ayant un cursus plus solide, ou ayant déjà une expérience en la matière, que ma pomme sortant de formation certifiée conforme. Sans doute considérait-il qu’icelle n’était pas suffisante, incomplète, ou que j’étais encore trop vert.

Donc la formation oui, mais il faut qu’elle soit béton, reconnue et valorisée. Sinon, c’est de l’argent foutu en l’air (mais payant électoralement, car ça permet de réduire le taux officiel de chômage en France).
En d’autres termes former pour former, non ! Former efficacement, oui !

Vous comprendrez alors l’absurdité de consulter le peuple sur une telle question. Vous comprendrez que c’est d’un cynisme rarement atteint, et que, ce dont nous avons besoin avant tout, c’est de pédagogie, d’explications, d’informations.
Et que, plutôt que de dresser «ceux qui se lèvent tôt» contre «ceux qui ont perdu leur boulot» (et qu’on désigne, ignominieusement comme des «assistés») il convient, quand on est un républicain, un démocrate, un homme de bonne volonté, de rassembler son peuple et d’en appeler à la solidarité.

Dans un monde ou prime la compétitivité, avant tout — le travail, sa nature, les compétences, le mérite, les salariés eux-mêmes… —, dans un monde où seul compte le chiffre, il convient de ne point en rajouter mais, bien au contraire, d’apaiser les tensions comme les souffrances ; à moins que…

… A moins que le but soit de déchirer, et à desseins (électoraux), la société française, de tuer à moyen terme ce modèle social qui nous a sauvés de bien des maux (combien, sans lui, compterions-nous de pauvres aujourd’hui ?) et de faire de ce pays, anciennement des Lumières, une ombre.

(Source : Refais Le Monde Avant Qu'il Ne Te Refasse)

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