L’article L. 5312-1 du Code du travail énumère les missions de Pôle Emploi, institution qui a résulté de la fusion entre les Assedic et l’ANPE, qui sont, par exemple, «prospecter le marché du travail», «procéder à la collecte des offres d’emploi», «accueillir, informer, orienter et accompagner les personnes, qu’elles disposent ou non d’un emploi, à la recherche d’un emploi». Or, dans l’affaire qui suit, l'organisme public a failli à sa mission d’information et été condamné à verser des dommages-intérêts à une demandeuse d'emploi en fin de droits, privée non seulement d'AER mais aussi d'ASS plusieurs mois durant. Il aura fallu ester en justice, puis, après un jugement favorable en première instance, subir encore l’appel d’un Pôle emploi qui ose tout, avant d’imposer l’arrêt dont voici le texte. La jurisprudence ainsi produite après sept années de ténacité est désormais utilisable par tout ayant droit.
Arrêt n°10-30892 du 08 février 2012 de la chambre sociale de la cour de Cassation
N° de pourvoi : 10-30892
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 16 juin 2010), que Mme X, travailleur sans emploi qui avait perçu jusqu'au 4 mars 2003 une allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE), a sollicité ensuite de l'ASSEDIC le bénéfice d'une allocation de solidarité spécifique (ASS) qui ne lui fut accordée qu'en 2004 et jusqu'au 8 mars 2005, date à partir de laquelle elle a obtenu une allocation équivalent retraite (AER) ; qu'estimant avoir été insuffisamment informée de ses droits à cette allocation, d'un montant supérieur à l'ASS, elle a mis en cause la responsabilité de l'ASSEDIC ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt de condamner Pôle emploi agissant aux lieu et place de l'Assedic à payer à Mme X des dommages-intérêts du montant de l'AER dont elle prétend avoir été privée alors, selon le moyen :
1°/ que les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage sont seulement tenues de prendre toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale des allocataires ; qu'elles sont donc dispensées de leur envoyer les formulaires correspondant au paiement des différentes allocations auxquelles ils pourraient éventuellement prétendre ; qu'il leur suffit de les avertir des allocations auxquelles ils peuvent prétendre et des conditions de leur paiement ; qu'il résulte des constatations auxquelles la juridiction du second degré a procédé que l'ASSEDIC des Pays du Nord a averti Mme X, par une mention figurant en rouge et entourée d'un logo d'alerte, sur le formulaire de demande d'allocation de solidarité spécifique, qu'elle pouvait prétendre dans certains cas à l'allocation équivalent-retraite, dans l'hypothèse où elle avait accompli 160 trimestres d'assurance-vieillesse, tous régimes confondus ; qu'en décidant que l'ASSEDIC des Pays du Nord n'aurait pas suffisamment informé Mme X de son droit à l'AER et qu'elle ne l'aurait pas mise en mesure de connaître ses droits en rapport avec cette allocation de substitution, du seul fait qu'elle ne lui aurait pas adressé directement le formulaire nécessaire à son paiement, et qu'elle aurait ainsi privilégié le paiement de l'allocation spécifique de solidarité en lui adressant le formulaire prévu à cet effet, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constations d'où il résulte que l'ASSEDIC des Pays du Nord a pris toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale de Mme X ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du code civil ;
2°/ subsidiairement que le manquement à une obligation d'information n'est sanctionnée par des dommages-intérêts qu'autant que son créancier a été privé d'une chance de prendre une décision plus judicieuse en pleine connaissance de cause ; qu'en s'abstenant d'expliquer en quoi l'information délivrée par l'ASSEDIC des Pays du Nord, à la supposer insuffisante, ait empêché Mme X de se rapprocher de la caisse de retraite afin de se renseigner sur la durée de son affiliation au régime général, ainsi qu'elle y était invitée, ou, à tout le moins, en quoi elle aurait été empêché d'accomplir cette démarche qui dépendait de sa seule initiative afin de vérifier qu'elle remplissait les conditions de paiement de l'AER dont elle avait été avertie et d'en réclamer le service à l'ASSEDIC, plutôt que recevoir le paiement de l'ASS qui, à défaut, lui était due, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé qu'alors qu'elle était, dans cette situation, susceptible de servir deux types d'allocations, l'ASSEDIC n'avait clairement donné que l'information relative à l'ASS ; qu'elle a ainsi caractérisé le manquement de l'ASSEDIC à l'obligation qu'ont les organismes d'assurance chômage d'assurer l'information complète des demandeurs d'emploi ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Pôle d'emploi aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne Pôle emploi à payer la somme de 2.500 euros à Mme X ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils pour Pôle emploi.
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR condamné POLE EMPLOI à payer à Mme X des dommages et intérêts d'un montant de 14 €/jour représentant le montant de l'AER dont elle aurait été privée après déduction de l'ASS qui lui avait été effectivement versée ;
AUX MOTIFS QUE
2. La Cour relève tout d'abord qu'aucune preuve n'est rapportée de ce que Mme X aurait sollicité et obtenu fin 2002 un entretien avec un représentant de l'Assédic pour s'informer sur les prestations auxquelles elle pourrait prétendre à l'expiration de la perception de ses allocations de chômage, en sorte que le manquement reproché au "représentant" de l'Assedic rencontré qui aurait omis de l'informer de l'existence de l'AER n'est pas démontré ; qu'il est par contre établi que Mme X a été rendue destinataire (par la voie postale selon l'Assédic qui rappelle être tenue selon son règlement intérieur de l'adresser au plus tard 60 jours avant la fin de l'indemnisation du travailleur privé d'emploi) d'un imprimé de demande d'allocation de solidarité spécifique (ASS) rappelant que ses droits en cours expiraient le 4 mars 2003 ; que certes, cet imprimé comporte en tête de la page 2, dans un cadre entouré en rouge, la mention accompagnée du logo d'alerte (point d'exclamation au centre) :
"Attention ! Si vous totalisez 160 trimestres, tous régimes confondus, vous pouvez prétendre, dans certains cas, à l'allocation équivalent-retraite. Demandez le formulaire à l'ASSEDIC" ; que Pôle Emploi en déduit que l'attention du travailleur privé d'emploi est ainsi, indépendamment de ses droits à l'ASS, attirée sur l'existence de cette autre allocation (l'AER) et sur sa condition essentielle d'attribution qui lui impose de s'informer au préalable auprès de sa caisse d'assurance vieillesse du nombre de trimestres cumulés, démarche que l'Assédic ne peut pas faire à sa place (elle fournit quand même, sur demande, un imprimé d'attestation de carrière à transmettre à l'organisme compétent)... et qui a été effectuée en l'espèce par Mme X auprès de la CRAM mais seulement en 2005 ;
3. Que cela posé, la Cour constate que l'Assédic est susceptible de servir aux travailleurs privés d'emploi arrivant en fin de période indemnisée deux allocations spécifiques : * soit l'ASS, soumise à des conditions de ressources, * soit l'AER qui concerne le cas particuliers de travailleurs âgés de moins de 60 ans mais ayant cotisé pendant au moins 160 trimestres et qui se substitue à l'ASS, avec cette précision que ladite AER est ouverte selon des conditions de plafond de ressources plus favorables et qu'elle assure à l'allocataire un "revenu de remplacement" plus important que la seule ASS. Or l'information que l'Assédic, professionnel en matière d'allocation, décide de donner ne concerne clairement que l'ASS - puisqu'un formulaire de demande d'ASS est systématiquement adressé à tout travailleur privé d'emploi arrivant en fin d'indemnisation, ce d'un triangle) : qui revient à dire que l'information à propos de l'ASS est privilégiée ; la mention relative à l'AER qui figure sur le formulaire de demande d'ASS - et qui est décrite supra (par. 2) - ne peut apparaître que comme subsidiaire ou annexe.
Autrement dit, alors que l'Assédic est susceptible de délivrer deux types d'allocations (l'ASS et l'AER), elle n'informe véritablement qu'à propos de l'ASS ; que l'information est défaillante à propos de l'AER, ce qui a été particulièrement important dans le cas de Mme X car : elle n'a en définitive pas bénéficié de l'ASS, selon décision de rejet du 8 avril 2003 (sinon, ce qui sera examiné infra, sur une certaine période de 2004), elle n'a bénéficié de l'AER qu'à compter du 8 mars 2005 (voir le rapport de l'expert judiciaire M. Y) ;
4. Qu'à ce stade du raisonnement, la Cour, à l'instar du premier juge, constate que l'Assédic, débitrice d'une obligation de conseil à l'égard des travailleurs privés d'emploi arrivant en fin d'indemnisation, ce qu'elle admet et entreprend d'assumer en adressant systématiquement un imprimé pré-rempli de demande d'ASS, n'a pas suffisamment informé Mme X de son droit à l'AER et/ou ne l'a pas mise en mesure de connaître ses droits en rapport avec cette allocation de substitution ; qu'il y a là les éléments d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil ; que cette faute a causé un préjudice direct et personnel à Mme X en ce que celle-ci, qui aurait pu percevoir l'AER à compter de mars 2003, n'a rien perçu en 2003 (pas même l'ASS qui lui a été refusée selon décision du 8 avril 2003) puis n'a perçu que l'ASS, d'un montant moindre que l'AER, que courant 2004 ; qu'elle n'a enfin perçu l'AER qu'à compter du 8 mars 2005 ; que la responsabilité de l'Assédic (aujourd'hui POLE EMPLOI) est ainsi engagée ;
5. En conséquence de ce qui vient d'être décidé supra, il convient de dire que :
• Mme X réclame non pas un rappel d'allocations sur la période perdue (mars 2003/mars 2005), s'agissant d'un litige qui relèverait de la contestation d'une décision de la DDTE et qui serait du ressort de la juridiction administrative, mais l'indemnisation d'un préjudice causé en lien avec une faute commise par l'organisme de droit privé Assédic : un tel litige doit être tranché par la juridiction judiciaire ;
• Les éléments du dossier, analysés au rapport de M. Y, permettent de dire que Mme X remplissait en mars 2003 toutes les conditions nécessaires pour bénéficier de l'AER (alors même qu'elle ne remplissait pas les conditions, plus rigoureuses, pour bénéficier de l'ASS) en sorte qu'elle aurait de fait perçu cette AER ;
• Le montant du préjudice, déterminée à partir des allocations AER que Mme X aurait pu percevoir sur la période mars 2003/mars 2005 si elle avait été en mesure de faire valoir ses droits, résulte d'un calcul élaboré de façon précise par M. Y et qui ne fait l'objet d'aucune critique technique : le rapport est sur ce point convaincant ;
• Pôle Emploi soutient que le montant de ce préjudice, qui représente globalement le montant cumulé des AER perdues, devrait être diminué du montant sur ce point ; force est de constater que Pôle Emploi, qui a en mains tous les éléments de calcul nécessaires (il lui est facile de reconstituer ce montant cumulé des ASS que l'Assédic a versées à Mme X), ne donne aucun chiffre et ne produit aucun justificatif en sorte qu'il ne peut être fait droit à la contestation ; qu'il se déduit de l'ensemble des considérations ci-dessus développées que le jugement entrepris doit être intégralement confirmé ;
1. ALORS QUE les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage sont seulement tenues de prendre toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale des allocataires ; qu'elles sont donc dispensées de leur envoyer les formulaires correspondant au paiement des différentes allocations auxquelles ils pourraient éventuellement prétendre ; qu'il leur suffit de les avertir des allocations auxquelles ils peuvent prétendre et des conditions de leur paiement ; qu'il résulte des constatations auxquelles la juridiction du second degré a procédé que l'ASSEDIC des Pays du Nord a averti Mme X par une mention figurant en rouge et entourée d'un logo d'alerte, sur le formulaire de demande d'allocation de solidarité spécifique, qu'elle pouvait prétendre dans certains cas à l'allocation équivalent-retraite, dans l'hypothèse où elle avait accompli 160 trimestres d'assurance-vieillesse, tous régimes confondus ; qu'en décidant que l'Assedic des Pays du Nord n'aurait pas suffisamment informé Mme X de son droit à l'AER et qu'elle ne l'aurait pas mise en mesure de connaître ses droits en rapport avec cette allocation de substitution, du seul fait qu'elle ne lui aurait pas adressé directement le formulaire nécessaire à son paiement, et qu'elle aurait ainsi privilégié le paiement de l'allocation spécifique de solidarité en lui adressant le formulaire prévu à cet effet, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constations d'où il résulte que l'Assédic des Pays du Nord a pris toutes mesures utiles afin d'assurer l'information générale de Mme X ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du Code civil ;
2. ALORS subsidiairement QUE le manquement à une obligation d'information n'est sanctionnée par des dommages et intérêts qu'autant que son créancier a été privé d'une chance de prendre une décision plus judicieuse en pleine connaissance de cause ; qu'en s'abstenant d'expliquer en quoi l'information délivrée par l'Assédic des Pays-du-Nord, à la supposer insuffisante, ait empêché Mme X de se rapprocher de la Caisse de retraite afin de se renseigner sur la durée de son affiliation au régime général, ainsi qu'elle y était invitée, ou, à tout le moins, en quoi elle aurait été empêché d'accomplir cette démarche qui dépendait de sa seule initiative afin de vérifier qu'elle remplissait les conditions de paiement de l'AER dont elle avait été avertie et d'en réclamer le service à l'Assédic, plutôt que recevoir le paiement de l'ASS qui, à défaut, lui était due, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.
(Source : Legifrance)
SH
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