En pleine campagne électorale, les patrons sont dans l'œil du cyclone. Certains diront : ils l'ont bien cherché avec leurs rémunérations mirobolantes. Tous ? En traquant les belles voitures et les Rolex, le risque est grand d'établir l'équation patron = voleur. Or, ce discrédit actuel des dirigeants sonne, à juste titre, douloureusement aux oreilles des entrepreneurs comme des salariés. Et accentue le divorce avec l'entreprise.
L'action comme anxyolitique
Interrogés par Christophe Deloire dans “La Tragédie de la réussite” (Albin Michel, 2009) sur leur rapport à la fortune, nombre de patrons avouent soigner leur anxiété profonde à coup d'action au sens propre comme au figuré. «Quand ils tombent, ne se mettent-ils pas à réfléchir ?» demande l'auteur à Alain Minc. «Non, répond ce dernier. En cas d'échec, ils ne s'interrogent pas. Ils repartent.» Pour résister à ses crises d'angoisse nocturnes, Vincent Bolloré n'avait trouvé qu'un seul remède, raconte encore Christophe Deloire : «Il se levait et rentrait en action». Quant à Jacques Servier, interviewé avant le scandale qui a frappé son laboratoire, il avoue n'avoir jamais connu de sentiment de sérénité et concède que tout ce qu'il a fait est «le fruit du désespoir». De quoi reposer la question d'André Malraux dans ses Antimémoires : «Il s'agit de savoir si l'intoxication par l'action peut faire taire la question que la mort pose à l'homme».
En Suisse, une clinique psychiatrique a ouvert une consultation pour les patrons au bord de la crise de nerfs. Là, on leur désapprend à faire pour leur réapprendre à être. À sortir le nez des tableaux et arrêter de se focaliser sur l'efficacité.
Les dangers du narcissisme
Car cette nouvelle race de patrons, préoccupés à l'excès de leur image, a occulté le métier de dirigeant. Leur pathologie ? Le narcissisme, qui s'accompagne d'une conception des relations humaines très utilitariste et d'une morale souvent approximative où l'autre n'a de valeur que comme élément de sa propre réussite. «Le risque, c'est de perdre la valeur humaine. On est happé par un système qui vous renvoie que ce que vous faites est super. Tout est centré autour du travail, du succès, de la réussite. L'entreprise, les actions, le boulot, ça enlève du cœur. Ça ne fait pas des gens sympathiques. Tout est utilisé. Telle personne est intéressante car ça peut vous apporter; après, c'est fini», confiait Loumia Amarsy à Christophe Deloire, fondatrice de Princesse Tam Tam avant d'être victime d'un attentat à Bombay en novembre 2008. C'est connu : plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de sincérité autour, et moins les intéressés se remettent en question.
Certes, l'art des affaires ne s'enseigne pas. Mais il tient moins à un savoir théorique qu'à une armature personnelle faite de capacité de réfléchir par soi-même, de vouloir, de décider et de décider seul. «Pour être un patron efficace, il faut être un patron rigoureux», admettait Roger Fauroux, le patron "moral" de Saint-Gobain en 1986. Atteindre une certaine maîtrise de soi, contrôler ses passions, modérer sa jouissance du pouvoir, voilà ce que les salariés apprécient chez un dirigeant. Et dont ils ont besoin plus que jamais pour soutenir leur motivation. «Comme dans toute période difficile, l'intégrité et la crédibilité des dirigeants doivent être leurs atouts principaux, car ils auront des sacrifices à demander à leurs salariés», note le consultant Roland Berger. Or, trop de patrons des grandes entreprises et du CAC40 gèrent désormais leur carrière avant l'entreprise.
L'humilité et la gratitude pour antidotes
Élaborer ses propres règles et principes, examiner ses points forts et ses points faibles est une nécessité presque technique. «On fait tout avec de l'argent, excepté des hommes», soulignait déjà Auguste Detœuf en 1948 dans son célèbre ouvrage “Propos de O.L. Barenton, confiseur”. Pour prendre du recul, un dirigeant doit chercher à voir clair en lui. S'observer, donc. Reconnaître ainsi que son plaisir est maître. Qu'il fonde son rapport au travail. Sans s'en cacher. Ne pas l'habiller avec des motifs altruistes.
Reconnaître aussi la capacité de nuisance du pouvoir sur la personnalité. Plus on s'élève, plus on a tendance à devenir injuste, dur et méprisant. Résister suppose d'être lucide. Plus que jamais, l'injonction de Socrate «Connais-toi toi-même» reste essentielle. Analyser ses erreurs, ses défaillances, développer une vision souple de soi et des autres, détecter ses pièges et ses rigidités. «Plus on monte dans la pyramide sociale, plus on devrait respecter une hygiène psychologique intense, avec une musculation de l'humilité et de la gratitude», insiste le psychiatre Christophe André. Pour progresser, il est indispensable de se rappeler ce que notre réussite doit aux autres.
Ça tombe bien. Nous sommes en pleine trêve pascale, et qui plus est en campagne électorale : un moment idéal pour réfléchir au bon usage de soi et des autres. Pour arrêter de calculer ses marges et sa rentabilité. Mais s'interroger. Bref, travailler sur soi plutôt que faire travailler les autres. Et mettre en œuvre la phrase d'Albert Einstein : «N'essayez pas de devenir un homme qui a du succès. Essayez de devenir un homme qui a de la valeur». A l'usage des patrons, mais aussi des candidats à la présidentielle...
(Source : La Tribune)
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