Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé du Commerce extérieur, emploie illégalement à son domicile personnel une femme de ménage mauricienne. L’histoire serait d’une cruelle banalité si elle ne mettait pas en cause un ministre du gouvernement. Gouvernement qui a multiplié les discours politiques stigmatisant les sans-papiers et empilé les circulaires ministérielles sanctionnant toute personne aidant ou faisant travailler un étranger en situation irrégulière.
Dans Les Sans-Papiers de la République, documentaire édifiant d’Allan Rothschild diffusé le 2 avril sur Canal+ dans l’émission “Spécial Investigation”, une femme mauricienne en situation irrégulière, témoignant anonymement, expliquait être depuis 2009 la femme de ménage d’un ministre. Elle racontait travailler une dizaine d’heures par semaine chez lui, être payée en grande partie en liquide et, depuis l’an dernier, en petite partie — quatre heures par semaine — en chèque emploi service. Mais à l’exception d’un mois (mai 2011), elle n’avait jamais reçu de feuilles de salaire correspondant à ces paiements. Ce qui signifie que, même sur ses heures payées en chèque emploi service, elle n’était pas déclarée. Dans le reportage, le récit de la jeune femme était raconté au conditionnel et le nom du ministre jamais cité.
Plusieurs versions en une heure...
L’intéressé s’est pourtant reconnu en lisant un article dans les pages “Ecrans” de Libération sur ce documentaire, le 2 avril au matin. «Une Mauricienne, un ministre… J’ai compris qu’il s’agissait de moi, j’ai aussitôt demandé des comptes à C.. Car tout est faux. Elle travaille chez moi depuis quelques mois et je l’ai toujours déclarée. J’ignorais qu’elle était en situation irrégulière», nous explique Lellouche.
Faux. Selon plusieurs documents recueillis par Libération, le secrétaire d’Etat a en réalité déclaré sa salariée le… 3 avril, soit le lendemain de la diffusion du film. Cinq mois de paie, d’octobre 2011 à février 2012, toutes datées du 3 avril. Lorsque nous interrogeons, ce week-end, le ministre sur cette étrange concordance de temps, il est accompagné de Delphine Bürkli, conseillère UMP de la Ville de Paris et membre de son cabinet au ministère, qu’il présente comme son «assistante» et sa «collaboratrice depuis douze ans». Et, curieusement, c’est elle qui répond à la question. «Tout est de ma faute. C’est moi qui m’occupe de cela. Je suis désolée. J’ai été négligente. J’ai envoyé les déclarations Urssaf en retard. Ça arrive.» Elle s’excuse auprès de Lellouche. En une heure, le secrétaire d’Etat et sa collaboratrice vont donner plusieurs versions pour expliquer cette date du 3 avril. Après celle du «hasard», Lellouche confiera finalement qu’il a peut-être voulu vérifier que «tout était bien en règle» après avoir vu l’article dans Libération où il s’était reconnu.
Car, pour le secrétaire d’Etat, il n’y a là «aucune affaire», «aucun problème». Ni de travail dissimulé. Ni d’emploi d’une personne en situation irrégulière. Il dément l’avoir payée en partie en liquide. Et dit avoir «ignoré» qu’elle était sans papiers. «Elle m’a dit qu’elle avait un titre de séjour», insiste-il. Lellouche et sa collaboratrice ne se souviennent cependant pas s’il s’agissait d’une carte de séjour ou d’un simple récépissé de la préfecture avec autorisation de travail. Ni même depuis quand exactement la jeune Mauricienne est employée comme femme de ménage. «L’année dernière, à peu près vers l’été.» Le secrétaire d’Etat n’a pas jugé utile de vérifier alors qu’il est très bien placé pour savoir qu’elle était potentiellement sans papiers. Le 16 février 2009, alors qu’il était député de Paris, Lellouche avait personnellement écrit à Eric Besson lui demandant d’examiner la régularisation de la jeune femme. Le ministre de l’Immigration n’avait pas donné suite.
... Puis la thèse de la «manipulation grossière»
«J’ai connu cette jeune femme il y a trois ans par ma concierge qui est franco-mauricienne. Je venais de déménager et je cherchais une femme de ménage pour quelques heures. Elle m’avait donné son nom, mais je ne pouvais pas l’employer puisqu’elle n’avait pas de papiers. C’est pourquoi j’ai d’ailleurs fait ce courrier à Eric Besson. […] J’ai finalement pris la fille de ma concierge comme femme de ménage», explique Lellouche.
La jeune femme «réapparaît» l’année dernière en prétendant qu’elle avait des papiers. Il la croit et l’embauche à la place de la fille de la concierge. Mais selon la CGT Paris, qui suit le dossier de C., la jeune femme aurait bien travaillé au domicile de Lellouche dès le début 2009 mais «sous alias». La fille de la concierge n’aurait servi que de prête-nom. Une technique très répandue chez les sans-papiers qui consiste à déclarer une personne en règle, celle-ci reversant ensuite la somme en liquide à celle qui a effectivement travaillé. Il n’y a aucune trace du lien entre l’employé réel et son employeur.
Selon Lellouche, «toute cette histoire n’est qu’une manipulation grossière dont on voit bien la finalité à une semaine de l’élection présidentielle». «Comment peut-on imaginer qu’un homme public comme moi prendrait le risque de ne pas déclarer sa femme de ménage ? Tout ça pour 160 euros par mois [montant non chargé de quatre heures hebdomadaires, ndlr] ? Tout cela n’a aucun sens.» L’ex-député accuse par ailleurs le présentateur de “Spécial Investigation”, Stéphane Haumant, d’avoir «instrumentalisé» la jeune femme «pour faire tomber un ministre». Le présentateur a été l’un des employeurs de C. entre décembre 2010 et juin 2011 (employeur déclaré). Sachant par elle qu’elle faisait le ménage chez le secrétaire d’Etat, il avait donné cet hiver ses coordonnées au réalisateur du documentaire. «Rien de plus, et je ne m’en suis pas occupé ensuite», se défend Haumant.
La CGT réserve la possibilité d’intenter une action devant les Prud’hommes pour «non-versement des cotisations salariales lié au travail dissimulé». Le travail dissimulé est un délit pour lequel Lellouche pourrait théoriquement être poursuivi. Selon Maryline Poulain, qui suit le dossier de la jeune femme à la CGT, «cette histoire reflète toute l’hypocrisie du gouvernement sur la politique vis-à-vis des sans-papiers : on n’en veut pas mais on les utilise sans respecter leurs droits de salariés».
Entre-temps, la jeune femme avait entamé une autre demande de régularisation après de la préfecture de Paris, au titre de la «vie privée et familiale». Elle était en droit de la demander du fait de ses dix ans de présence sur le territoire. Son dossier est en voie d’aboutir favorablement.
(Source : Libération)
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