Faute de pouvoir venir en aide à tous les chômeurs, toujours plus nombreux, Pôle Emploi fait le bonheur et la fortune de quelques entreprises privées sous-traitantes. Depuis 2009, plusieurs grosses boîtes et, surtout, une myriade de PME exploitent le filon des missions d'insertion et gonflent plus vite que la grenouille de la fable. Quitte à exploser en vol, en laissant des chômeurs en rade...
Tout le monde vient à la gamelle : en 2010, le total des prestations confiées par Pôle Emploi à des opérateurs privés a atteint le fabuleux montant de 440 millions d'euros ! Les sous-traitants assurent le suivi «simple», qui consiste à recevoir les chômeurs à la place de Pôle Emploi (tous les mois ou tous les quinze jours) pour les aider à trouver un stage ou un boulot. Ils se voient aussi confier des missions ponctuelles : ateliers de CV et de techniques d'entretien, bilans de compétence, «évaluations préalables à la création d'entreprise», etc. Entre 2009 et 2011, quelque 320.000 chômeurs ont ainsi été «accompagnés».
Ascension foudroyante
Claf, une PME toulousaine, est l'un des plus beaux exemples des ébouriffants succès de cette filière. Par la grâce des marchés publics, cette société «de formation et d'accompagnement» a grandi à la vitesse d'une courbe du chômage : 30 salariés en 2009, et 640 aujourd'hui ! Au passage, son fondateur, un certain Arnaud Bertrand, a fait coter sa merveille en Bourse. En un an, le cours de l'action Claf a été multiplié par 10… avant de s'écrabouiller. Car la belle histoire tourne au vinaigre : la boîte est en cessation de paiements depuis le 5 avril. Simple «crise de croissance», explique le pédégé, «tout va rentrer dans l'ordre».
Sauf que la boîte a perdu des marchés : en Charente-Maritime, la direction régionale de Pôle Emploi a mis fin à un contrat de 900.000 euros en février 2011. Claf y dispensait des formations dans des conditions optimales : en guise de local, un magasin de meubles sans chauffage pendant deux mois... Pas rancunier, Pôle Emploi a finalement rempilé avec cet efficace opérateur.
L'exécution de ces mirobolants marchés est censée être contrôlée. Pôle Emploi passe ainsi au crible les CV de tous les conseillers d'insertion employés par les sous-traitants. Rassurant. Ou presque : «Dans mon agence, nous ne sommes que deux sur huit à avoir été "habilités", raconte une salariée de Claf. Du coup, mes collègues utilisent ma signature sur les documents de suivi envoyés à Pôle Emploi.» Qui n'y voit que du feu ? Interrogé par Le Canard, le pédégé, Arnaud Bertrand, hausse à peine un sourcil : «Vous me l'apprenez, je vais vérifier.»
Au passage, il pourra aussi vérifier cette autre calomnie : «On nous demande de mettre les chômeurs en "abandon" dès que Pôle Emploi a payé la moitié de la prestation», explique Marina. Cette salariée s'occupe du dispositif "Trajectoire vers l'emploi", qui consiste à accompagner un chômeur pendant six mois : «C'est payé 1.600 euros. La moitié dès qu'on renvoie les documents administratifs. Le reste, c'est 25% si la personne trouve un boulot, et 25% si elle travaille toujours six mois plus tard. Mais cette deuxième partie n'est pas rentable.» Mieux vaut laisser tomber le solde… et le chômeur.
Caroline, elle, a roulé sa bosse chez cinq de ces sous-traitants (Ingeus, USG Restart, Assofac, Claf et ID Formation), presque toujours payée au lance-pierre : «1.200 euros net, 20% de moins que la convention collective.»
Fuite à l'anglaise
Tous ces pros rivalisent d'imagination pour tondre Pôle Emploi. «Chez l'un, on m'a demandé de faire signer les chômeurs pour des entretiens de suivi qui n'avaient jamais eu lieu.» Caroline a refusé la magouille. Virée. Chez un autre, elle a eu la bonne surprise de voir débouler un contrôleur de Pôle Emploi : «II avait annoncé sa visite. Du coup, le patron a amené tout ce qu'il fallait : les fiches métiers qu'on doit mettre à la disposition des chômeurs, des brochures, une bouilloire, un micro-ondes. Et hop ! le soir, il a tout remballé : le même kit servait pour toutes ses agences !»
En mars, des centaines de chômeurs parisiens sont restés plusieurs semaines le bec dans l’eau. Le sous-traitant, Esccom, une boîte débarquée de Nice, s'est carapaté. Pôle Emploi lui avait attribué huit marchés d'un coup : au cours des trois prochaines années, 17.000 chômeurs à accompagner ! La boîte a eu les yeux plus gros que le ventre. Elle avait deux mois pour trouver des locaux, recruter des dizaines de salariés, tisser un réseau auprès des employeurs du coin.
Il lui manquait peut-être une formation ? Vite, un appel d'offres...
Isabelle Barré - Le Canard Enchaîné du 9/05/2012
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