Commencer tes études par un contrat d’insertion, c’est un peu comme faire la vaisselle à ton propre mariage. OK, j’abuse, mais pas tant que ça.
Avant d’obtenir mon diplôme, je postule tranquillement pour des petits boulots, gardes d’enfants, etc. C’est comme ça que j’ai été EVS, employée de vie scolaire pour l’Education nationale.
Je vais à un entretien d’embauche et là, une DRH assez âgée et une chef de division m’accueillent et essaient de me faire passer pour la reine du bal. Sur l’air de : vous êtes trop qualifiée donc voilà ce qu’on vous propose, intégrer l’Education nationale administrative (et attendre une superbe création de vrai poste qui, bien sûr, me reviendra). Mon profil est parfait pour ce petit plongeon de six mois avant la création de 80 postes et blablabla. Là, je ne sais pas trop si je dois me réjouir ou pas.
Bon, je me réjouis, on verra bien s’il faut chialer plus tard. J’avoue que je fais même alors un peu la fête (après coup, je me sens ridicule de crédulité).
Adultes, Stabilo et agrafeuses
Je vais signer mon contrat. Ma fiche de poste, celle d’une EVS, parle d’enfants, de rangement de CDI (Centre de documentation et d’information), de prise en charge d’handicapés, etc.
En fait, je n’aurai de contact qu’avec des adultes, des Stabilo et des agrafeuses… Mon employeur ? Un lycée de la région que je ne pourrais même pas situer sur une carte… V’la l’embrouille !
Mon premier jour de taf, je le sens mal d’emblée. C’est l’administration, c’est le 3 janvier, donc galettes des rois, cidres, blagues à la con et bises de bonne année. Bienvenue à bord, Georges.
Je vois que mes missions sont floues, voire inexistantes. On peut les résumer comme ça : tu fais tout ce qu’on te demande, y compris de la manutention et servir des cafés lors des réunions. Ouaaaah, la chance !
Le principe d’un CUI (contrat unique d’insertion), c’est que tu ne coûtes pas cher à l’Etat : le CUI est exonéré de plus de 80% des charges patronales (ça fait 93 euros sur ma fiche de paye, je suis abordable comme fille). Comme tu n’es plus au chômage, tu touches ta paye (657,58 euros net par mois) pour tes 20 heures par semaine, sans aide au logement. Peu importe si t’avais une aide quand tu étais mieux indemnisée par Pôle emploi (829,80 euros + 58,24 euros d’APL). La logique, c’est pour les nazes, toi, tu es EVS, et tu as été triée sur le volet pour être le cul sur une chaise devant un PC toute la journée.
Comment on parle aux EVS
Lors d’une petite sauterie entre EVS, je m’aperçois que sur l’académie, nous sommes presque 500, des jeunes, des personnes en bout de course et, surtout, des présumés «cas sociaux». En effet, lors de formations destinées aux EVS, on s’adresse à nous comme si on l’avait bien cherchée, notre situation de merde. En gros : si vous aviez travaillé à l’école, si vous n’aviez pas déconné avec des parcours chaotiques et chelous, vous ne seriez pas là.
Merci. Je me sens mieux.
T’entendre dire des conneries pareilles à l’issue de tes études, ça incite à mettre tout en œuvre pour :
• te casser ;
• faire un attentat Coca-Mentos au rectorat ;
• te sentir comme une sous-merde et le devenir petit à petit, à force de renouvellement de contrat cas soc’.
Pas mal de personnes croisées dans le cadre de mon contrat ont coché la case 3 : c’est révoltant de voir ce que l’on peut faire croire à des personnes pourtant adultes, structurées et sûrement dignes au départ. C’est le plus triste dans cette histoire. Ma vexation d’avoir cru à un truc qui s’est avéré pourri de A à Z (d’ailleurs, je ne pense pas aller jusqu’au «Z» mais bel et bien trouver un truc en dur avant la fin de mes six mois), ça passera…
Postes en carton
Des centaines de personnes, qui ont bossé trois ans en coûtant que dalle, se font vider comme ça, sans même pouvoir prétendre à une validation d’acquis d’expérience (VAE) étant donné la polyvalence de leur fiche de poste en carton. Des gens qui ont intégré que les merdes, c’étaient eux, donc pas la peine d’essayer de s’en sortir… Tout ça, c’est de la misère-massue que tu te prends en pleine figure.
Je fais partie du truc, je suis en voie de «merdisation», on achève ma confiance professionnelle en insultant mon parcours de vie au passage. T’as beau être sûre d’avoir fait les bons choix, t’es pas mal désœuvrée quand tu deviens le cas soc’ de service de ton administration.
Comme j’aurais préféré travailler avec des mômes ! C’est comme si j’avais pioché une carte chance qui se transforme en piège au fil des jours. EVS avec option «t’es trop maline pour t’occuper de gosses alors tu vas être dans un bureau, nous passer nos fax, coller des étiquettes et surtout faire relire à ta tutrice la moindre ligne de mail pour qu’elle te dise : oh là là, c’est bien (ben ouais, c’est prévu que tu sois débile donc si tu sais écrire deux lignes sans faute, tu deviens, débile mais lettrée, clââââsse)».
Ah oui, la tutrice en question, c’est une de tes supérieures qui t’oriente, qui t’insère… tu sais, dans la vie pro, qui te propose des formations, qui te «responsabilise» en te laissant passer un coup de fil. Une fois par mois, tu dois la voir. J’ai vu la mienne une fois, le jour où elle a laissé sous mes yeux un papier indiquant qu’elle recevrait 150 balles pour être tutrice, cool. 150 euros pour m’avoir dit : je ne vous vois pas dans l’administration, ça manque de fantaisie, vous devriez écrire...
Ouais, et toi, tu devrais faire gaffe à ce que tu fous avec l’argent public, et si tu veux que j’écrive, n’hésite pas à me verser une pension alimentaire. En attendant, arrête de t’essuyer les pieds sur ma dignité. Merci.
Voilà, tu la connais l’histoire des gens qui perdent toute leur confiance à force de se faire chier sur la gueule.
La sensation de valoir 93 euros
Pour moi, «everything is gonna be alright». Je suis jeune et, j’ose le dire, diplômée. Mon contrat se termine, je vais bouger, oublier cette mauvaise passe. Mais je me demande quel avenir est possible, professionnellement, pour les centaines d’autres personnes qui ont fait leur taf dans des écoles et qui retournent à la case départ sans rien. Avec des fausses formations aux intitulés foireux qui ne vont rien apporter à leur CV. Et cette sensation de valoir 93 euros…
L’Education nationale marche sur la tête, et c’est choquant pour un ministère aussi important, aussi structurant pour notre société. Mépriser ceux qui font tourner toute cette machine, c’est mépriser l’enfance, la jeunesse, tirer une croix sur le mot «avenir».
C’est organiser une lutte des classes interne au ministère de tutelle. Personne ne se connaît, personne ne se comprend. Mais certains sont payés 150 euros pour avoir l’amabilité de t’écouter pendant une heure dire ce que tu voudrais faire de ta vie.
(Source : Rue89)
Pour info => Le blog des EVS/AVS en lutte
Articles les plus récents :
- 14/06/2012 20:39 - Evasion fiscale et paradis fiscaux : ça suffit !
- 14/06/2012 18:39 - Augmenter le Smic détruirait des emplois ? Faux !
- 14/06/2012 03:07 - Espagne : des Indignés traînent en justice financiers et politiques
- 12/06/2012 03:45 - Contre l'accès payant aux Prud'hommes, la lutte continue
- 12/06/2012 03:25 - Grève dure à la CAF des Bouches-du-Rhône
Articles les plus anciens :
- 26/05/2012 16:30 - Abus d'EMT et d'EMTPR : une entreprise condamnée
- 26/05/2012 13:32 - Le spectre du surnuméraire hante l'Europe
- 26/05/2012 12:47 - Plans sociaux : la justice au secours des salariés ?
- 23/05/2012 09:37 - Le mensonge de la pénurie de main d'œuvre dans l'informatique
- 19/05/2012 01:54 - Notre Inspection du travail est tiers-mondisée