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Accueil Mobilisations, luttes et solidarités Augmenter le Smic détruirait des emplois ? Faux !

Augmenter le Smic détruirait des emplois ? Faux !

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Comme nous, Denis Clerc en a ras-le-bol de ces chercheurs-économistes mainstream qui veulent la peau du Smic et font des déclarations mensongères tout en jouissant d'un statut de fonctionnaire.

Voici des années que, sans rien dire, je supporte les déclarations péremptoires de Francis Kramarz sur les bienfaits de la concurrence, sur les méfaits de la gestion malthusienne des taxis, sur la nécessité de la flexibilité du travail... Venant d’un chercheur réputé du CREST, le labo de l’Insee, je lui pardonnais le fait qu’il puisse ainsi s’instaurer juge du bien et du mal, bien que, fonctionnaire, il échappe largement aux impératifs de la concurrence, qu’il soit totalement assuré de son emploi et n’ait jamais à conduire de taxi. Après tout, nous tous, économistes, sommes appelés à juger du bien-fondé des aides à l’agriculture ou du niveau des salaires des patrons bien que nous ne soyons ni agriculteurs ni patrons. Même si nous ne connaissons concrètement ni les conditions de travail ni le quotidien des uns ou des autres, nous sommes capables de calculer si une rémunération déterminée est justifiée ou non, et si la collectivité a avantage à l’encadrer ou à la compléter.

Mais, aujourd’hui, je suis sorti de mes gonds. A 13h48 exactement lorsque, parcourant Les Echos de ce jour (13 juin), je suis tombé sur une interview de lui à propos du Smic. Je l’approuve totalement lorsqu’il affirme que la pauvreté laborieuse ne résulte pas du niveau du Smic, mais du fait «qu’un trop grand nombre de smicards ne travaillent pas assez d’heures ou de jours dans l’année (intérim, temps partiel, activité réduite)». Mais il ajoute qu’«une augmentation de 1% du Smic détruirait de 15.000 à 25.000 postes», mantra que le journal utilise pour titrer l’entretien.

J’admire que cette interview paraisse le jour même où l’Acoss — la «banque de la Sécu», qui encaisse les cotisations — publiait les chiffres de l’emploi salarié qui font apparaître que, entre 2007 et 2011, le secteur privé en métropole a perdu 455.000 emplois. Là-dessus, combien en raison des hausses du Smic ?

Selon mes calculs, le pouvoir d’achat du salaire minimum durant cette même période aurait gagné 1%. Donc, à en croire Francis Kramarz, l’apport du Smic à ces pertes d’emplois serait de 15 à 25.000, soit de 3 à 5%. J’avoue que j’aurais été plus heureux qu’un chercheur cherche la grosse bête plutôt que la petite, qu’il se concentre sur les 92 à 95% du problème plutôt que sur ses marges et qu’il nous explique pour quelles raisons toutes ces pertes d’emplois. A cause du manque de flexibilité du marché du travail ? De l’insuffisance de concurrence avec les pays émergents ? Du caractère oligopolistique de la gestion des licences de taxis ? Ou, à l’inverse, qu’il nous explique pourquoi, entre 1998 et 2002, l’emploi salarié a progressé dans les secteurs marchands de 1,3 million de postes, soit un record historique alors que les 35 heures devaient, selon lui et son collègue Pierre Cahuc, être destructrices d’emplois ? Et pourquoi les modèles qui leur avaient servi pour chiffrer les pertes inévitables d’emplois ont donné des résultats aussi différents de ce qui a été observé ?

Quand j’étais patron d’Alternatives Economiques, si j’avais justifié une campagne de publicité coûteuse par le fait que, selon mes calculs (ou, plutôt, selon ceux de l’agence de publicité), 100.000 € investis en publicité devaient gonfler nos ventes de 10.000 exemplaires alors que, en réalité, nos ventes étaient restées étales, j’aurais dû m’expliquer devant tous les salariés de la coopérative et soit me défausser sur l’absence de fiabilité des modèles de prévision, soit reconnaître que, trop crédule, je m’étais fait avoir. J’attends donc des chercheurs qu’ils soient moins péremptoires et qu’ils justifient leurs erreurs lorsque les faits ne leur donnent pas raison. Mais je crains d’attendre longtemps dans ce cas.

Pour en revenir aux effets du Smic, je ne suis pas certain de l’interprétation que notre chercheur donne à la phrase citée par Les Echos. Une augmentation de 1%, cela signifie-t-il une augmentation nominale (sans considération de l’évolution en termes de pouvoir d’achat) ? Une augmentation réelle (en ne retenant que le gain de pouvoir d’achat) ? Une augmentation relative (le Smic augmentant un peu plus vite que le salaire moyen) ? Si l’on choisit la première interprétation, le Smic devrait donc rester bloqué. Avec la deuxième interprétation, il ne devrait augmenter que du montant de la hausse des prix. Avec la troisième, il devrait augmenter au rythme du salaire moyen. Or, entre 2007 et 2011, le Smic a progressé 11,5% en nominal, de 1% en réel, et il a diminué de 1% en relatif (en moyenne annuelle, le salaire moyen par tête dans le secteur privé concurrentiel est passé de 2.140 € bruts à 2.340 €, et même 2.357 € si l’on corrige l’évolution de la progression relative du temps partiel).

Ce dont il est question, c’est d’équité, pas d’emploi. Si les chercheurs cherchent comment empêcher les destructions d’emplois, qu’ils cherchent du côté de la crise, pas du côté du Smic. Mais s’ils s’interrogent sur le rôle de l’équité dans le bon fonctionnement de nos économies, qu’ils cherchent du côté des pays scandinaves. On pourra peut-être renoncer au rôle de voiture-balai du Smic le jour où les employeurs accepteront, comme ces pays, d’indexer le salaire minimum sur les gains de productivité et cesseront de considérer que l’équité ne joue aucun rôle dans l’ardeur individuelle au travail ou dans la capacité collective à accepter des sacrifices.

En attendant, je conseille à Francis Kramarz de lire attentivement George Akerlof et Robert Shiller (Les esprits animaux). Il y trouvera de quoi méditer, et ça changera notre polytechnicien de ses calculs ésotériques.

(Source : Alternatives Economiques)



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