Pour les seniors au chômage qui ont témoigné sur Lemonde.fr, la différence est de taille : dans le décret sur le retour partiel à la retraite à 60 ans pour les salariés ayant commencé à travailler à 18 ou 19 ans, qui doit entrer en vigueur le 1er novembre, seuls les trimestres travaillés, dits "cotisés", compteront pour pouvoir partir plus tôt. Les "validés", qu'ils accumulent pour certains depuis plusieurs années de chômage, ne serviront à rien, ont-ils découvert.
«On ne s'occupe jamais assez de sa retraite», s'excuse presque Dominique Wozniak, 173 trimestres validés mais 165 cotisés, pour expliquer la situation dans laquelle il se trouve. Ce Lensois âgé de 59 ans avait besoin de quatre trimestres pour espérer pouvoir partir en retraite anticipée pour carrière longue, malgré plus de quarante-trois ans de vie professionnelle. Licencié en 2009, il n'avait pas prévu que la réforme des retraites de 2010 repousserait l'âge minimum légal pour partir. Pas prévu non plus qu'il serait si dur, à son âge, d'acquérir les trimestres manquants.
M. Wozniak dit avoir «dû faire des sacrifices». Fini les 3.000 euros bruts de salaire, il a «fait et refait son CV», notamment pour cacher son grade d'agent de maîtrise. Mais il estime pourtant avoir eu «de la chance» : en alignant les heures comme agent d'entretien dans une école lilloise, il espère pouvoir partir en retraite en 2013. Au rythme de 86 heures par mois, payées au Smic, cotiser ses quatre trimestres lui aura pris dix mois. «Heureusement que j'ai réussi à trouver cet emploi l'année dernière avant de finir tous mes droits, se réjouit-il, il y a nettement moins d'offres cette année.»
L'échéance tant redoutée, pour ces seniors, est bien celle de la fin de l'indemnisation. Les demandeurs d'emploi de plus de 50 ans bénéficient des allocations chômage pendant trois ans. Après, c'est — dans le meilleur des cas — l'allocation de solidarité spécifique (ASS), 470 euros par mois pour un célibataire, qui les attend. Or, les chiffres du chômage de septembre, qui seront publiés mercredi 24 octobre, risquent une nouvelle fois de confirmer la hausse du nombre de seniors inscrits à Pôle emploi.
«Enfumage complet»
Ces seniors sont donc souvent prêts à tout pour cotiser des trimestres mais ils disent, pour la plupart, faire face aux réticences des employeurs potentiels. Licenciée fin novembre 2008, Maryse Vizioz, 59 ans, ancienne acheteuse dans une usine de caoutchouc, ne touche plus rien depuis avril. «Mon indemnité s'est arrêtée subitement, j'avais épuisé tous mes droits. Et comme mon mari touche une retraite tout juste supérieure aux plafonds de ressources, je n'ai même pas le droit à l'ASS», raconte cette Grenobloise.
Avec ses 156 trimestres cotisés, elle n'a aucun espoir de retrouver un travail qui lui permette de partir dans le cadre du dispositif carrières longues (applicable aux salariés ayant commencé à travailler à 17 ans ou avant). «Qui veut embaucher une personne de 59 ans ? J'ai postulé partout, sans succès», dit-elle.
Elle en veut beaucoup à François Hollande et «son enfumage complet» du retour de la retraite à 60 ans. Un geste a été fait pour les chômeurs : le décret prévoit que deux trimestres de chômage par carrière puissent être déclarés comme cotisés. Mais il en manque neuf à Mme Vizioz. «Je ne pourrai pas prendre ma retraite avant septembre 2014. D'ici là, je ne toucherai rien, c'est vraiment injuste : j'ai commencé à travailler à 17 ans !»
Heures en intérim
Ce sentiment d'injustice, Alain Casiez, 58 ans, au chômage depuis trois ans, le partage. «Dans deux mois, je ne serai plus indemnisé et je vais passer à l'ASS. Après avoir travaillé pendant trente-sept ans, je ne trouve pas normal qu'on me laisse dans la même situation que des chômeurs n'ayant pas assez travaillé», affirme cet ancien technicien d'entretien chez Saint-Gobain, qui a connu une rupture conventionnelle en 2009. Depuis, il aligne quelques heures en intérim, mais pas de quoi cotiser les neuf trimestres qui lui manquent.
«François Hollande a gardé tout au long de la campagne l'ambiguïté sur la façon dont il compterait les trimestres. J'étais pourtant allé à des débats où des membres de son équipe avaient dit que tous ceux ayant commencé jeunes pourraient partir à 60 ans», abonde Gérard Germond, ancien agent de maîtrise de 59 ans, au chômage depuis 2010, à qui il manque cinq trimestres pour partir. «Dans l'Allier, le seul travail que j'ai trouvé était d'aller distribuer [le quotidien] La Montagne entre 3 et 7 heures du matin pour 400 euros par mois. A mon âge, je ne me vois physiquement pas capable de faire ça», défend-il, se disant «même prêt à cotiser sur indemnités chômage s'il faut».
La tentation de tricher
Combien sont ces laissés-pour-compte qui se disent prêts à tout pour grappiller quelques trimestres ? Aucun chiffre officiel n'est disponible, dit-on au ministère des Affaires sociales. Parmi le million de seniors inscrits à Pôle emploi, une majorité pointe depuis plus d'un an, et ils sont considérés à ce titre comme chômeurs de longue durée.
Acculés financièrement, plusieurs internautes du Monde.fr font part de leur tentation de tricher. «La directrice de l'agence Pôle emploi m'a dit que j'aurais dû me mettre en arrêt-maladie pour prolonger mon indemnisation chômage», témoigne l'une. «Je réfléchis à trouver quelqu'un qui puisse faussement m'employer tout en versant des cotisations que je lui rembourserai», écrit un autre.
(Source : Le Monde)
NDLR : Vendredi dernier, le syndicat FO a de nouveau relancé le gouvernement pour faire rétablir l'AER (allocation équivalent retraite), définitivement supprimée par l'UMP depuis le 1er janvier 2011... Quant au "contrat de génération" de François Hollande, il ne concerne pas les seniors au chômage.
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