
Tous les artifices sémantiques sont bons pour tenter d’expliquer aux Français que l’inversion n’est pas pour demain mais que, si on y regarde de plus près, la stabilisation – qui doit logiquement la précéder – est en vue. Malheureusement, de stabilisation nous n’en voyons point la couleur.
Le chômage est en hausse, et pas qu’un peu : +5,7% sur un an dans la seule catégorie A.
Nous vous épargnerons les autres catégories, notamment celles qui regroupent les chômeurs ayant travaillé plus ou moins 78 heures dans le mois, qui confirment que la précarisation gagne du terrain dans tous les secteurs.
Si le sujet n’était pas si dramatique, cette communication gouvernementale, qui ambitionne de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, pourrait nous tirer d’irrépressibles fous rires, tant les formules utilisées frisent le ridicule.
Ainsi, dans sa dernière production (celle des chiffres de décembre 2013), le ministère du Travail nous gratifie d’une superbe : «Cela rend d’autant plus nécessaire d’activer davantage la mobilisation des actions les concernant», à propos du taux de chômage préoccupant des 50 ans et plus. De ce côté-là pourtant, il n’y a aucun espoir d’amélioration. Tout ce qui pourrait le laisser croire n’est qu’enfumage !
Enivré par son enthousiasme badigeonné de méthode Coué, le ministère poursuit : «Les politiques de l’emploi déployées avec énergie portent leurs fruits». On en est repu !
Ailleurs dans le communiqué, nous pouvons lire : «L’inversion de la courbe du chômage ne s’est pas encore réalisée sur le dernier trimestre, même si nous en sommes très proches», juste après avoir concédé que le nombre de demandeurs d’emploi croit de 0,3% au mois de décembre (+10.200 en catégorie A). L’analyse est schizophrénique !
Ici aussi, les services de Michel Sapin brûlent les étapes. Avant d’évoquer une inversion, nous nous contenterions d’une petite stabilisation.
L’accroissement du chômage est d’autant plus préoccupant que toutes les ficelles visant à l’encadrer et à le contenir ont été utilisées ou sont en passe de l’être, à commencer par les emplois aidés qui, incontestablement, atténuent pour un temps seulement la progression.
Et ne parlons pas des radiations administratives qui touchent chaque mois 50.000, 70.000 ou 80.000 personnes. Des chiffres que le plus savant de nos crânes d’œuf polytechniciens ne saurait expliquer, tant leurs causes et justifications restent floues et confuses.
Parmi ces dizaines de milliers de personnes, combien renoncent à pointer chez Pôle emploi n’y voyant plus aucun intérêt ? Arrivées en fin de droits, donc plus indemnisées par l’assurance-chômage, ne cherchent-elles pas tout simplement à s’affranchir des entretiens et convocations inutiles avec des conseillers désarmés et impuissants ?
La situation est d’autant plus dramatique que la litanie des plans de licenciements ne faiblit pas. Il ne se passe pas un jour sans qu’on nous annonce la destruction de 200 emplois par-ci, 500 par-là, ou 1.400 ailleurs. L’addition donne le vertige sur ce qui se profile en 2014. Si une inversion est à prévoir, elle risque fort de s’orienter plus encore à la hausse.
Pendant ce temps, l’Europe semble accélérer sa stratégie de déstructuration massive du marché du travail. Alors que le chômage atteint des sommets, les «travailleurs détachés» (les fameux plombiers polonais) sont de plus en plus nombreux à exercer leur activité en France, notamment dans le BTP et le transport routier. Selon les estimations, entre 150.000 et 500.000 Polonais, Roumains, Portugais… travaillent sur le territoire aux conditions sociales de leur pays d’origine. Les donneurs d’ordre économisent ainsi entre 20 et 40% sur les seules cotisations (Source : Le Canard Enchaîné du 27 novembre 2013).
Non seulement ce dumping social prive de nombreux chômeurs et intérimaires de perspectives d’embauches, mais il contribue au creusement des déficits de la Sécurité sociale, des caisses de retraite, de l'Unédic (22 milliards cumulés), et plombe les rentrées fiscales.
Nous éviterons soigneusement de développer ici un autre sujet sensible, celui des immigrés clandestins dont on ne peut, par principe, évaluer le nombre d'arrivées. D’une manière ou d’une autre, ils viennent grossir le flot des demandeurs d’emplois… déclarés ou pas.
Tous ces facteurs mis bout à bout laissent à penser que 2014 sera, une fois de plus, une année noire sur le front de l’emploi. L’Unédic, l’organisme paritaire qui gère l’assurance-chômage, ne se fait d’ailleurs aucune illusion. Ses prévisions (généralement sous-évaluées) envisagent entre 150.000 et 170.000 chômeurs de plus dans les 12 prochains mois. Ceci dans la seule catégorie A, il va de soi. On peut donc raisonnablement s’attendre à une progression équivalente à celle de 2013, c'est-à-dire autour de 6%, soit 200.000 à 250.000 chômeurs supplémentaires.
Actuchomage vous en fait la promesse : L’inversion de la courbe attendra 2015… ou plus tard !
Yves Barraud
Articles les plus récents :
- 21/03/2014 18:00 - Assurance-chômage : Les Cadres dans le viseur du Medef
- 06/03/2014 11:14 - Alléluia, l'Insee confirme l'inversion de la courbe !
- 26/02/2014 18:41 - Chômage Janvier 2014 : Les crânes d'œuf positivent la hausse
- 12/02/2014 13:11 - Chômage, Austérité, Europe, tiercé gagnant du FN
- 07/02/2014 19:17 - La fumisterie du million d’emplois promis par le Medef
Articles les plus anciens :
- 27/01/2014 18:08 - Elle est belle l'inversion ! +10.000 chômeurs en décembre
- 26/12/2013 19:10 - Chômage : La tendance est toujours à la hausse !
- 12/12/2013 22:45 - Dumping social : "Je suis devenu l’intérimaire des plombiers polonais"
- 02/12/2013 23:12 - Entre 145.000 et 500.000 "plombiers polonais" en France
- 29/11/2013 13:46 - Chômage : Le gouvernement joue avec le feu d’une promesse intenable
Commentaires
C'est ce qu'on appelle de la prétérition. Cela donne raison au FN si on omet de préciser que les grands pontes de l'économie continuent de s'enrichir au dépens des populations tandis qu'il prétendent que l'argent manque. Répondre | Répondre avec citation |
Quel que soit le rythme des entrées (légales et clandestines), elles contribuent à grossir les rangs des demandeurs d'emploi.
Nous noterons, à ce propos, que parmi les 6 millions d'actifs inscrits chez Pôle Emploi, il y a bien évidemment des immigrés en situation régulière.
Le débat ne porte donc pas sur les "origines" mais sur le "statut".
Un immigré en situation régulière peut être "concurrencé" par un immigré fraîchement débarqué.
+++++++
Mais si vous souhaitez parler de l'enrichissement qui en résulte, il profite en premier lieu aux mafias qui l'organisent et aux patrons de petites entreprises et sous-traitants qui en abusent.
Et si vous prenez le secteur du prêt-à-porter, ces patrons sont souvent arrivés clandestinement en France avant d'être régularisés. Ce phénomène est notamment observé chez les fabricants et grossistes chinois.
Éluder cette réalité, c'est faire le jeu du FN qui a beau jeu de dénoncer - seul - cette "concurrence illégale".
Dans un pays qui enregistre depuis 2 ans un accroissement du chômage de 10% (en 2012) et de 5,7% (en 2013), tous les sujets méritent d'être débattus.
+++++++
Cependant, l'article insiste principalement sur la pénurie d'emplois, l'hécatombe des plans de licenciements, les radiations administratives , l'ampleur du phénomène "travailleurs détachés".
L'immigration est un aspect que d'aucuns estiment marginal. Je lui ai donc réservé une place… marginale, sans l'occulter pour autant. Répondre | Répondre avec citation |
Je comprends le vote FN. Il dit tout haut ce que pensent des millions de Français. Le phénomène ne touche pas que la France par ailleurs.
Quant au chômage il ne constitue pas un problème mais une solution. Le dumping social par exemple en est une conséquence notable. Répondre | Répondre avec citation |
Qu'importe qu'il n'y ait pas suffisamment d'emploi, que le problème soit structurel et que la situation globale soit liée à des problèmes de surproduction. Le coupable , ce cher chômeur est tout trouvé et c'est lui qui en paie les conséquence. Vous n'avez pas d'emploi : il suffit d'en créer. Je ne compte plus le nombre d'offre où l'on exige un statut d'autoentrepreneu r. Répondre | Répondre avec citation |
Il y a des millions d'immigrés français qui travaillent à l'étranger, sauf erreur, mais on préfère les appeler expatriés pour qu'ils ne soient pas assimilés à nos travailleurs immigrés africains, maghrébins, asiatiques. Répondre | Répondre avec citation |
En siphonnant toute cette richesse, il y a un effet de vases communiquant, ailleurs des gens s'appauvrissent et sont contraints d'aller travailler où il y a du travail et de l'argent pour payer des salaires espérés corrects.
Hormis la Suisse, cela ne vous rappelle pas un autre pays que vous connaissez bien? 8-) Répondre | Répondre avec citation |
Par ailleurs, la plupart des "immigrés français" travaillant en Suisse sont des travailleurs trans-frontaliers, pas des expatriés. Ils résident majoritairement en France et paient des impôts en France.
Les expatriés sont des travailleurs dépêchés à l'étranger par leurs entreprises. Ça n'a rien à voir avec l'immigration.
L'amalgame est source de confusion et de désinformation. Répondre | Répondre avec citation |
Ah bon?
Mais cette précision change-t-elle quelque chose au ressenti des travailleurs locaux? Un emploi occupé par un français est un emploi qui ne sera pas occupé par un travailleur local. Répondre | Répondre avec citation |
Je discutais encore tout à l'heure avec une dizaine de Suisses originaires de la région Jura-Trois Lacs (qui couvre 6 cantons), majoritairement francophone.
C'est moins la question du travail que de l'insécurité qui a motivé la votation. Il s'avère que 90% de la population carcérale en Suisse est d'origine immigrée (source France Info, ce matin).
Ce ne sont pas les travailleurs frontaliers qui posent problème !
Et imagine le résultat si la "belle démocratie française" reconnaissait le référendum d'initiative populaire sur les questions d'immigration et d'insécurité. Répondre | Répondre avec citation |
J'y vais tous les mois planquer mes 400 euros de RSA. ;)
Les Suisses ont encore des frontières aux dernières nouvelles.
N'importe qui n'entre pas dans ce pays.
(quoique. J'imagine qu'il suffit d'une simple carte d'identité pour un ressortissant français pour aller en Suisse. Il ne faudrait pas décourager les candidats potentiels qui veulent planquer leur fric, par des tracasseries administratives )
On fait comment pour distinguer parmi les étrangers les délinquants potentiels?
Si la Suisse met vraiment en place des quotas (ce que je doute) cela ne sera pas sans conséquence pour les travailleurs frontaliers. Répondre | Répondre avec citation |