S’il est un thème qui, à lui seul, démontre à quel point l’opinion publique peut être retournée contre ses propres intérêts, c’est celui que porte au pinacle le capitalisme triomphant depuis plus de 50 ans et qui tend à s’accélérer.
La libre marchandisation des productions et des capitaux ne suffisant plus à repaître son insatiable appétit de profits et dividendes, le capitalisme est passé au stade industriel de la marchandisation de l’Homme qui s'appuie sur une liberté de déplacement et plus encore d’installation au gré des exigences de rentabilité.
Pour contourner les résistances et faire tomber les barrières, il lui a fallu déployer des trésors d’inventivité rhétorique. Avec l’aide de ses serviteurs zélés, il a atteint des sommets de distorsions idéologiques, d’inversion des valeurs et des paradigmes, conduisant à la schizophrénie politique.
Ainsi, aujourd’hui, des idéaux de gauche servent les plus mercantiles intérêts capitalistes quand des postures nationalistes droitières s'affirment protectrices des classes populaires et laborieuses. On retrouve semblable acrobatie dans les discours de représentants de l’écologie politique, comme l’intarissable Daniel Cohn-Bendit, toujours prompts à s’enflammer pour préserver la biodiversité animale et végétale, tout en prônant et encourageant le métissage généralisé des humains qui conduit à une indifférenciation, une uniformisation, une disparition des particularismes et caractéristiques ethniques, donc à long terme une extinction de la biodiversité humaine. Après ces digressions introductives, entrons dans le vif du sujet.
Pour commencer, rappelons-nous deux séquences très révélatrices de la toute-puissance d’un système auquel se soumettent tous les partis de gouvernement, quelle que soit leur orientation idéologique de façade. À l’occasion d’un meeting à Saint-Étienne, en novembre 2006, Nicolas Sarkozy alors en campagne électorale clama haut et fort son attachement viscéral aux valeurs supérieures de l’être humain sur toute autre considération… à une nuance près. Écoutons-le : « Je suis un libéral au sens où je crois à la liberté. Mais je suis aussi un humaniste quand je crois que la production de richesses doit avoir un sens, que la morale ça compte, que la spiritualité ça existe, et que l’on ne fait pas n’importe quoi avec l’Homme qui n’est pas une marchandise comme les autres ».
La marchandisation des humains est ici explicitement posée en aboutissement ultime de la doxa libérale saluée par une salve d’applaudissements des personnes réunies autour du futur Président de la République : Christine Lagarde, Laurent Wauquiez… Une dimension marchande qui sous-tend une mise en concurrence de ces matières humaines entre elles, sans distinction d’origine. Ainsi, un chef d’État français n’a plus l’obligation absolue de protéger ses concitoyennes et concitoyens du moins-disant social pratiqué ailleurs sur la planète marchande, comme l’admit François Hollande soumis à la question d'Emmanuel Todd dans un épisode de « Ce soir ou jamais » sur France 3 en 2011.
François Hollande : La vraie identité du Parti socialiste et des socialistes européens, car pour faire l’Europe il faut la faire avec d’autres, c’est d’organiser un continent capable d’assurer l’échange car on n’est pas là pour empêcher les plus pauvres de faire venir leurs produits. Parce que si c’est ça le protectionnisme, pas pour nous ! Qu’est-ce que ça serait comme conception de la solidarité à l’égard du sud…
Emmanuel Todd : Ça c’est la rhétorique de Gauche pour ne rien faire…
François Hollande : Non, non ! Je pense que c’est quand même très important…
Emmanuel Todd : De défendre le sous-prolétariat indien, c’est vrai… Mais ce n’est pas ce qu’attend votre électorat.
François Hollande : Je suis désolé, je crois qu’on a aussi une mission internationaliste. On n’est pas là simplement… pour être euh… des protecteurs de nos nos… propres euh…
Emmanuel Todd : Citoyens !
Donc il n’incombe pas à nos dirigeants de protéger avant tout leurs compatriotes, celles et ceux qui les élisent, leur accordent leur confiance, les rémunèrent. Cette confession de François Hollande adossée à l’acceptation de la marchandisation des Hommes assumée par Nicolas Sarkozy, fixent en quelques lignes l’idéologie dominante : La mise en concurrence généralisée des travailleurs entre eux est l’aboutissement suprême du capitalisme triomphant.
Pour ce qui concerne la France, on peut dater très précisément sa mise en œuvre au lendemain de Mai 68 et des accords de Grenelle qui entérinèrent de grandes avancées gagnées par les mobilisations ouvrières : Augmentation de 35% du Smig (le Smic de l’époque), revalorisation du salaire minimum agricole (le Smag) et 10% d’augmentation des rémunérations des employés. Il va sans dire que le patronat adressa un message très incisif au gouvernement et à ceux qui aspiraient à diriger le pays : « Plus jamais ça ! Plus jamais d’accords de Grenelle, plus jamais d’augmentation massive et collective des salaires sous la pression de la rue et des occupations d’usines ».
Cette ordonnance patronale posa une question prioritaire : Comment briser la mobilisation de travailleuses et travailleurs unis par de mêmes revendications, de mêmes aspirations, une dynamique de lutte structurée par une longue histoire sociale, des combats et des victoires, des traditions, des rites, une culture, une langue, des mots et un sens partagé du bien commun ? Comment fragiliser ce bloc de résistance qui agrégeait au sortir de la Seconde guerre mondiale 65 à 75% des ouvriers alors majoritaires dans la population active ? La réponse tient en un mot : l’immigration.
C’est donc à partir des années 70 que les flux migratoires en provenance de la péninsule ibérique (Espagne et Portugal) et d’Afrique du Nord s’intensifièrent. Un afflux de 220.000 travailleurs par an dont se réjouissait Francis Bouygues, leader du BTP en 1969 : « Les étrangers sont des gens qui ont beaucoup de qualités. Ils en ont une fondamentale pour moi : S’ils viennent chez nous c’est pour travailler et ce sont des gens très courageux. Par contre, ils ne parlent pas notre langue, ils ne sont pas qualifiés, et ils viennent avec une idée en tête : Amasser un pécule et nous quitter quand ils l’auront. Ce n’est pas une main-d’œuvre stable. Nous ne pouvons pas la former car nous n’avons pas l’espoir que si nous la formons nous pourrons la conserver ».
Cet extrait agrège toutes les plus-values que le patronat tire de l’immigration : Des travailleurs courageux qui faute de maîtriser notre langue éprouveront quelques difficultés à s’organiser dans l’action syndicale ; peu qualifiés, ils n’auront guère d’exigences salariales ; et puisqu’ils envisagent de retourner au pays une fois des économies réalisées, il n’est pas indispensable de les former. Francis Bouygues, un des plus puissants patrons de France, qui prendra bien plus tard le contrôle de la première chaîne de télévision (TF1) atteint ici un sommet de cynisme et de manipulation. Quand il évoque « l’instabilité » de cette main-d’œuvre qui rentrera chez elle une fois le travail accompli, c’est pour se dédouaner de ne pas la former et borner ses niveaux de compétences (donc de rémunérations), tout en rassurant les autochtones qui pourraient voir d’un mauvais œil cette concurrence déloyale sur le marché du travail. Soyez sans crainte braves gens, ils rentreront au pays sitôt le chantier terminé. La bonne blague ! D’autant que le début les années 70 signe la fin des Trente Glorieuses tirées par des taux de croissance économique exceptionnels. Les flux migratoires vont donc s’intensifier alors que les besoins en main-d’œuvre se restreignent, que des pans entiers de l’industrie française disparaissent (charbonnage, métallurgie, textile…) et que le chômage jusqu’alors inexistant fait son entrée fracassante dans les grands sujets d’actualité. Il ne quittera plus la une des médias jusqu’à ce jour. Malgré les crises et les ralentissements, malgré les fermetures d’usines et les délocalisations, le nombre d’arrivées d’immigrés est depuis les années 70 de 200.000 par an, c’est-à-dire 10 millions de personnes selon les statistiques officielles auxquelles il faut retrancher les retours vers les pays d’origine ; le solde migratoire s’établissant alors entre 100.000 et 150.000 arrivées par an auxquels s’ajoutent les flux clandestins en forte augmentation depuis une dizaine d’années. Mais ces évaluations quantitatives sujettes à discussions, interprétations et contestations légitimes, ne constituent pas la pierre angulaire de ce chapitre. Leur évocation ne vise qu’à décrypter la machine infernale activée par le système pour briser tout élan de contestation sociale d’ampleur, comparable à celle de Mai 68. Un premier constat s’impose : Il y est arrivé au-delà de ses plus folles espérances puisqu’il a réussi à convaincre des forces de Gauche d’y contribuer activement, d’en devenir le moteur par leurs influences intellectuelles, culturelles et médiatiques déterminantes. À la fin des années 70 pourtant, celles-ci manifestèrent leur refus de se laisser entraîner dans la spirale de déliquescence conçue par le perfide patronat. Ainsi Georges Marchais, premier secrétaire du Parti communiste français (PCF), déclarait le 27 mars 1980, lors d’un meeting en banlieue parisienne, un an avant les élections présidentielles de 1981 : « Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. Il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs, français ET immigrés ».
Le leader communiste interpellait le Président Valéry Giscard d’Estaing. À cette époque, la Gauche populaire, ouvrière, laborieuse, s’opposait formellement à la politique d’immigration mise en œuvre par un gouvernement de droite au service du patronat. En quelques années pourtant, cette Gauche qui prétendait défendre les intérêts des travailleuses et travailleurs français (et immigrés déjà installés) va tourner casaque et devenir le chantre de l’immigrationnisme, de la libre installation des hommes, de l’ouverture des frontières et finalement de la mise en concurrence des travailleurs entre eux sur fond de moins-disant social et de chômage de masse. Alors que la France compte 6,5 millions d’inscrits à Pôle Emploi en 2018 (contre 4 millions en 1996, 2 millions en 1980 et moins de 500.000 en 1970), un nombre ahurissant de militants de Gauche que l’on retrouve également dans les rangs des organisations de défense des droits des chômeurs et précaires, exigent toujours de meilleures conditions d’accueil des clandestins, leur régularisation et pour les plus extrémistes, une ouverture totale et sans condition des frontières. Le patronat en a rêvé, une partie de la Gauche a grandement contribué à cette inversion totale des valeurs, des priorités et des exigences. Ainsi, celui qui dénonce cette escroquerie intellectuelle, politique et sociale, sera accusé de xénophobie, de racisme parce qu’il considère que l’immigration est l’aboutissement ultime de la marchandisation capitaliste.
Il s’en trouve encore, très nombreux, qui n’ont pas compris que libéraux et patrons sont les plus farouches partisans et artisans de l’immigration massive, de l’avènement d’un Homme indifférencié, interchangeable, remplaçable, consommateur et consommé. Ces gens de gauche favorables aux flux migratoires et à un accueil généralisé des migrants sont les idiots utiles du capitalisme triomphant pour des raisons qu’il serait fastidieux de développer ici mais que l’on résumera en quelques mots : Main-d'œuvre malléable et bon marché, mise en concurrence des travailleurs entre eux, déstructuration des acquis et des droits, atomisation des classes populaires et des solidarités, abaissement des niveaux de formations scolaires, secondaires et supérieures, activation de tensions communautaires dérivatives (qui détournent des enjeux sociaux et sociétaux fondamentaux)…
L’arrêt de l’immigration comme l’exigeait Georges Marchais en 1980 n’est pas plus une posture politique de droite ou d’extrême droite que de gauche ou d’extrême gauche. C'est la pierre d’achoppement entre deux visions du monde : L'une privilégiant les cohérences et cohésions nationales, l'autre la quintessence capitalistique de la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux. Autrement dit la marchandisation ultime de l'Homme travailleur-consommateur.
Les plus ardents défenseurs de l'accueil des migrants, autrement dit des immigrés en situation irrégulière, des clandestins, sont souvent des nantis à l'abri du besoin, comme Jacques Attali, Daniel Cohn-Bendit, Yann Moix, Laurent Ruquier… enfin ces centaines de personnalités du showbiz, des médias, des sphères culturelles et intellectuelles qui constituent ce qu'on appelait naguère la « gauche caviar », totalement épargnée de toute concurrence dans l’accès au travail, au logement, aux aides diverses, et même à la santé. Leur engagement partisan, qui s’exprime souvent sur le service public audiovisuel subventionné, s’inscrit dans une lutte des classes qui oppose les petites gens aux exemptés des difficultés du quotidien. Main sur le cœur (et l’autre bien accrochée au portefeuille), ces nervis sont les auxiliaires du patronat qui puise dans les flux migratoires constants depuis 50 ans le renouvellement d’une main-d’œuvre servile, consumériste par ses aspirations légitimes au mieux-être matériel, inorganisée donc soumise aux diktats ultra-libéraux, dénuée de toute culture politique et sociale… Tous ces profiteurs du système participent à l’atomisation des classes populaires en communautés d’intérêts contradictoires et opposés, à leur division et donc à leur soumission totale et irréversible.
Warren Buffet, un des hommes les plus riches du monde, ne s'y est pas trompé. Dans une interview accordée au New York Times en 2006, il admettait : « C'est ma classe, les riches, qui a déclaré cette guerre. C’est elle qui est en train de la remporter ! ». Avant de compléter peu de temps après la crise financière par un : « Nous avons gagné ! ».
En France, une partie de la Gauche a collaboré à cette victoire éclatante et s'y investit chaque jour encore, tant il est vrai qu'elle a souvent été du côté des collabos dans un passé peu glorieux. Quand l'Assemblée nationale vota les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain en 1940. Puis quand les socialistes Pierre Laval et Marcel Déat (respectivement Chef du gouvernement et ministre du Travail) œuvrèrent au rayonnement du régime de Vichy ; comme l'ancien communiste Jacques Doriot, figure de proue du collaborationnisme. Des « points de détail » que les livres d’histoire omettent de mentionner.
==> Nous finirons sur une note de légèreté avec deux photos souvenirs de la Fête de la Musique à l'Élysée, le 21 juin 2018.
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