Un "senior" peut tout aussi bien être un jeune ancien d'une grande école pourvu d'une expérience réduite (2 ans) qu'un diplômé affichant déjà une décennie d'expériences accumulées dans un domaine pointu. "Senior" est le mot–valise‚ le fourre–tout‚ des annonces d'emplois–cadres publiées dans les suppléments spécialisés. 6 des 37 coûteuses annonces (de 2.140 à 4.300 euros pièce) du Monde des "carrières publiques" (25 octobre 2005) usent du qualificatif senior accolé à un intitulé de fonction. Mais aucune ne concerne les plus de cinquante ans. Les recruteurs ne semblent pas encore en avoir perçu l'existence‚ en dépit de la loi Fillon. Le discours public sur le sujet n'est pas encore entré dans les faits.
Selon le "Petit Robert" (édition 1990)‚ le "senior"‚ mot anglais introduit vers 1890 dans la langue française‚ était un " sportif qui a cessé d'être junior et appartient à la catégorie normale (jusqu'à l'âge où il devient un vétéran)". D'introduction beaucoup plus récente (1970)‚ la " séniorité" signifiait "prééminence et garanties traduites par l'ancienneté dans une fonction ou dans une maison". Senior‚ seniorité se référaient uniquement à l'âge et non à la manière dont il était vécu‚ c'est-à-dire l'expérience.
Le libellé des annonces d'offres d'emplois–cadres publiées dans l'édition du Monde (25/10/05) ne donnent pas l'impression qu'un grand progrès sémantique ait été accompli depuis dans les cabinets de recrutements car le mot senior recouvre un éventail de notions‚ diverses voire contradictoires. S'agit–il d'annonces rédigées à la va–vite par des amateurs ? Pas du tout. Le service spécialisé du journal Le Monde (Tel : 01 40 39 13 12) indique que les annonceurs rédigent leurs textes. Le Monde se contente de vérifier qu'ils ne contreviennent pas à la loi (discrimination… ) et de proposer une maquette pour des modules dont le prix d'achat n'est pas négligeable : 2.140 euros pour une annonce verticale (160x105 mm) en noir et blanc‚ 2.700 euros pour la même surface en couleur (module 3). Un module 4 en largeur (105x180 mm) atteint 3.700 euros en noir et blanc et dépasse 4.300 euros en couleurs.
Dans l'édition du 25 octobre‚ les cabinets de recrutement (FC Conseil‚ Michael Page… ) et les collectivités (Lille métropole‚ le conseil général de l'Essone‚ de l'Eure… ) ont inséré 37 offres d'emploi. 29 des 37 annonces (77%) n'ajoutent aucun qualificatif à l'intitulé du poste proposé. Mais 6 annonces incorporent l'adjectif senior (16% des annonces). Il est le qualificatif le plus fréquent. "Expérimenté" est présent une fois (3%)‚ "junior"‚ une fois (3%).
Une signification variant à chaque annonce
Pousser l'analyse au delà de la statistique laisse perplexe car la signification associée au mot senior varie à chaque annonce. Seules quelques unes d'entre elles se réfèrent à une durée allant de 7 à 12 ans. Pour un chargé de mission senior en stratégies urbaines‚ on demande une "expérience d'environ dix ans en urbanisme avec une pratique de la réflexion stratégique dans une agence d'urbanisme ou de développement". C'est la seule des annonces consultées où l'expérience a fondamentalement préséance sur le diplôme. Il n'est même pas fait référence à une formation précise. Le(a) candidat(e) peut être "ingénieur ou économiste ou géographe" ayant acquis une "formation en urbanisme". On lui demande une "bonne culture générale". Mais celle–ci se définit davantage par la capacité à "appréhender toutes les composantes du fait urbain (économie‚ sociologie‚ modes de vie‚ déplacements‚ environnement… ) et de faire travailler des consultants sur ces différentes questions". Le libellé‚ à la fois précis et ouvert de l'annonce‚ exige donc des aptitudes à l'analyse‚ au management des personnes‚ une curiosité prospective et une pratique de la communication et un esprit de synthèse. La "capacité à rédiger de façon claire et synthétique‚ à traduire une stratégie en schémas simples‚ à animer des réunions sera parmi les critères déterminants du choix." Le libellé de cette annonce évoque clairement l'enrichissement de sens que le terme pourrait avoir subi depuis les années 90. En effet‚ ce n'est pas l'ancienneté qui est privilégiée‚ mais l'expérience qu'elle a permis de capitaliser. Le juriste expérimenté que Safari recrute pour un groupe financier doit être titulaire d'un troisième cycle en droit des affaires que complèterait un certificat d'aptitude à la profession d'avocat ajouté à 5/7 ans d'une expérience "dans le domaine du financement de projets assorti d'"une bonne connaissance de la réglementation dans le secteur des NTIC".
La prééminence d'un diplôme prestigieux
Ici l'exigence de diplôme se veut précise mais elle ne prend pas le pas sur la qualité de l'expérience elle–même‚ de même que dans le recrutement par les autoroutes Paris Rhin–Rhône d'un "chargé d'affaires seniors". Celui–ci doit être un ingénieur doublé d'un financier possédant entre 7 et 12 ans d'expérience "dans le montage de projets complexes". On imagine dans les trois cas un professionnel confirmé âgé de 35 à 40 ans au maximum‚ comme le "consultant senior en systèmes d'information"‚ ingénieur d'une grande école doté d'au moins dix ans d'expérience en "vente et réalisation de projets informatiques".
Trois autres annonces laissent beaucoup plus perplexe.
Une société de conseil recrute des "consultants seniors" pour le conseil au développement d'entreprises‚ pourvu de types de diplômes prisés mais très variés (X‚ Mines‚ HEC‚ESSEC‚ ESCP‚ Sciences po)‚ en début de carrière‚ ayant deux ans d'expérience. La séniorité‚ cette fois ne réside–t–elle pas dans la seule prééminence d'un diplôme prestigieux‚ selon l'habitude française ?
A l'opposé‚ on recrute un " manager junior en audit bancaire" qui doit pouvoir prouver six ans minimum d'expérience au sein du département banque d'un cabinet d'audit structuré". ACIES recrute des " chargés d'affaires senior grands comptes" pour la vente et le développement d'offres de service auprès de responsables financiers et fiscaux de grands groupes. Le diplôme d'enseignement supérieur est requis‚ de même que cinq ans‚ minimum‚ d'expérience professionnelle.
Le mot "senior" comporte donc d'infinies nuances que l'expérience n'épouse que partiellement.
Discrimination âgiste maintenue
Peut–on en déduire que les responsables de ressources humaines ou les chasseurs de tête qui ont rédigé ces annonces n'ont qu'une idée floue des notions et des vocables qu'ils emploient ? Le corpus examiné est trop restreint pour en tirer des conclusions définitives. En revanche‚ aucune des fourchettes de durée d'expérience indiquées par les annonces n'indiquait d'ouverture en direction de salariés ou de professionnels que le ministre du Travail et les partenaires sociaux désignent sous le nom de "seniors"‚ soit des plus de 50 ans.
La publicité des offres d'emploi s'affiche en porte–à–faux avec les articles qui servent d'appâts rédactionnels aux pages d'annonces du Monde. Le directeur général du Fonds monétaire international‚ Rodrigo de Rato‚ les professeurs d'économie Algan et Cahuc rappellent dans les pages précédentes le peu d'empressement de la France à employer ses seniors davantage et la nécessité de le faire.
L'expérience d'un avocat d'affaires ou d'un urbaniste quinquagénaire serait–elle périmée ? On n'ose le croire. Il faut donc se rendre à l'évidence : la discrimination encore récemment signifiée par la limite d'âge indiquée pour un poste‚ mais elle est signifiée de façon plus subtile‚ par la durée limitée de l'expérience sollicitée. Les cabinets de recrutement continuent à miser exclusivement sur les trentenaires‚ ce qui dénote aussi un manque de culture‚ car la ressource humaine n'est plus inépuisablement offerte.
Mais‚ la "société de tous les âges" au travail prônée par la Commission économique européenne et par le FMI reste en France une utopie.
(Source : Seniorscopie.com)
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