Oui, ce qui s'est passé la semaine dernière dans ce que l'on appelle «les banlieues» concerne et intéresse les chefs d'entreprise. Parce qu'ils sont, aussi, des citoyens soucieux de la réussite de leur pays et de son image à l'étranger. Et parce qu'ils sont nombreux à penser, comme moi, que la solution en est au moins autant entre leurs mains qu'entre celles de l'Etat.
D'abord, une remarque : il n'est plus supportable que l'on use, pour décrire les violences urbaines, d'un vocabulaire générique totalement déplacé : non, ce ne sont pas «les» banlieues qui sont en feu, mais - et c'est déjà beaucoup trop ! - certaines parties de certaines communes. Non, ce ne sont pas «les» jeunes des banlieues qui brûlent et caillassent, mais tout au plus quelques centaines de personnes dont le comportement est celui de délinquants. J'insiste sur cette question de vocabulaire, parce qu'elle est au coeur du malentendu que notre pays entretient avec ses minorités ethniques et la partie de sa jeunesse qui souffre du chômage de masse. A force de montrer complaisamment les images les plus spectaculaires et de qualifier pudiquement les fauteurs de troubles de «jeunes des banlieues» ou de «descendants de l'immigration», on entretient une iconographie trompeuse, insultante et destructrice.
Trompeuse parce que l'essentiel des banlieues est pacifique, que l'immense majorité des jeunes gens (et la quasi-totalité des jeunes filles) y respectent la loi et s'efforcent, simplement, de réussir. Insultante parce qu'en érigeant en représentants des «banlieues» la petite minorité qui met à sac, on crache au visage des autres, de tous ceux qui travaillent et qui s'en sortent. Destructrice parce qu'il n'y a pas de plus sûr moyen d'entretenir le racisme de certains Français, alors que la discrimination demeure l'un des principaux obstacles à l'intégration.
Ne pas laisser aux trublions le monopole de l'image est en réalité une simple question de justice puisqu'ils n'ont pas le monopole de l'action ! Ceux qui connaissent les quartiers en question savent bien que, pour un «caillasseur», on y trouverait aisément dix, cent, peut-être mille jeunes studieux, créatifs et entreprenants. Mais ceux-là, qui en parle au «JT» ?
Au monopole des casseurs dans les étranges lucarnes a longtemps répondu un autre monopole, celui de l'action publique dans le traitement du «malaise des banlieues». Ce monopole est aussi mal fondé que le premier. Depuis vingt-cinq ans, plan d'urgence après plan d'urgence, on n'a cessé d'enfourner dans la pseudo-machine à intégration des pelletées de crédits publics. Le moins que l'on puisse dire, au vu du résultat, est que le rendement en est douteux... Cela n'est pas étonnant : nos quartiers dits sensibles ont d'abord besoin d'emplois. Le véritable enjeu, c'est donc celui du développement, partout en France et pas seulement dans les beaux quartiers, d'un réseau d'employeurs. Comment faire ?
Je passerai rapidement sur une évidence qu'il n'est cependant pas mauvais de rappeler : si le pays connaissait une croissance plus forte, tout le monde en profiterait, surtout les quartiers déshérités. En bridant, pour entretenir la chimère d'un pseudo-modèle social défunt, notre économie, c'est d'abord aux plus faibles que l'on rend un mauvais service. Les pays qui ont connu avant nous ce type de problème l'ont réglé en grande partie grâce à la croissance.
Au-delà, le rôle de l'Etat est naturellement cardinal : lui seul peut faire que les employeurs aient convenance à s'installer dans les quartiers difficiles (car il assure l'ordre public), lui seul peut garantir que les jeunes, qui y reçoivent leur éducation, acquièrent la culture et les compétences qui leur permettront de trouver un emploi (car c'est lui qui a la main sur le système scolaire). Dans ces deux domaines, on est loin du compte ! Ce qui prouve au passage que l'on a tort d'opposer les tenants de la prévention et ceux de la répression : l'une et l'autre sont indispensables, l'une et l'autre sont très insuffisantes. Sait-on que, comme l'a montré l'Institut Montaigne, les sommes consenties pour l'éducation d'un enfant sont paradoxalement inférieures, en moyenne, dans les ZEP à ce qu'elles sont ailleurs ? On marche sur la tête !
En tout cas, c'est des entreprises, et pas de l'Etat, que viendra l'emploi véritable. Certains se sont étonnés que, dans mon rapport au Premier ministre («Des entreprises aux couleurs de la France», La Documentation Française), je n'aie pas plaidé pour plus de crédits publics. Ce n'était pas le fruit de je ne sais quel préjugé idéologique, mais seulement l'expression d'une conviction : les entreprises n'ont pas seulement le devoir, mais aussi un intérêt évident à contribuer au développement des quartiers à problème et à l'intégration des minorités visibles. Pour peu que l'Etat réunisse par ailleurs les conditions du succès, les entreprises y sont prêtes, elles se sont même déjà sérieusement mises en mouvement et mobilisées en ce sens. Plus de 200 d'entre elles ont signé la Charte de la diversité proposée en 2004 par l'Institut Montaigne, et un nombre encore beaucoup plus important met en oeuvre les recommandations que j'ai formulées il y a un an (CV anonyme, formation duale, accueil en stage de jeunes désignés par un tiers de confiance, soutien aux élèves les plus brillants des lycées réputés difficiles.).
Ce n'est évidemment qu'un début. Mais on ne peut pas demander aux entreprises de résoudre en quelques mois un problème que l'Etat, en vingt ans, n'a pas su régler et que, par son imprévoyance, il a laissé s'aggraver ! Elles sont capables, dans ce domaine, des mêmes performances que celles qu'elles manifestent quotidiennement sur le terrain économique.
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