Ben Bernanke, le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, a ouvert le bal. Sa contribution se proposait de repérer ce qu’il y a de commun et de différent dans la mondialisation contemporaine par rapport aux épisodes précédents de mondialisation [1]. Le ton a surpris dès le début, avec une phrase largement reprise et commentée dans la presse anglo-saxonne. Face aux partisans de la «mondialisation heureuse» et à ceux de «l’horreur économique», Bernanke commence par affirmer que si «le rythme des changements économiques mondiaux a été stupéfiant au cours des dernières décennies […], les implications totales de ces changements sur tous les aspects de notre vie ne seront pas connus avant de nombreuses années». En clair, nos élites politiques poussent depuis plus de vingt ans à la mise en œuvre d’un libéralisme économique auquel nous sommes sommés de nous adapter sous peine d’archaïsme mais dont personne ne peut mesurer les effets et que nous ne serons à même de connaître que dans longtemps…
Cela dit, il est un effet du libéralisme économique sur lequel Ben Bernanke a été très clair dans la suite de sa présentation : «une dislocation sociale, et la résistance sociale qui l’accompagne souvent, peut survenir lorsque les économies s’ouvrent». C’est d’ailleurs là l’un des points communs aux différents épisodes de mondialisation. A la fin du XIXe siècle, rappelle le gouverneur, les propriétaires terriens anglais, français et allemands ont vu le rendement de leurs terres s’effondrer par le recours aux investissements dans les pays émergents de l’époque (Australie, Argentine…). Aujourd’hui, les effets redistributifs de l’ouverture internationale s’effectuent au détriment des travailleurs les moins qualifiés mais inquiètent aussi les cadres, confrontés aux ressources humaines des pays de l’Est ou d’Inde bien formées et moins chères. La mondialisation économique suscite également des inquiétudes quant à ses effets sur l’environnement et la capacité des pays les plus pauvres à pouvoir en profiter, souligne Bernanke.
A ce sujet, Raghuram Rajan, l’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), a lui aussi tenu à lancer son pavé dans la mare [2]. Il y a trois ans, Kenneth Rogoff, prédécesseur de Rajan, avait déjà surpris le petit monde des économistes en publiant une étude démontrant que l’ouverture financière internationale n’avait pas d’effet positif sur la croissance des pays du Sud. Rajan récidive : «Les pays en développement qui ont relativement plus recours aux capitaux étrangers n’ont pas crû plus vite sur le long terme et ont même crû mois vite» ! Mieux : on pourrait s’attendre au moins à ce que les capitaux aillent en priorité vers les pays qui croissent le plus vite, ceux qui sont le plus susceptibles de fournir de meilleures opportunités d’investissement. Il n’en est rien : «Sur les trente dernières années, le montant net de capitaux étrangers se dirigeant vers les pays croissant relativement plus vite a été inférieur à ceux allant vers les pays à croissance moyenne ou faible». Avec, en point d’orgue de l’étude, la constatation qu’à l’inverse de toutes les prévisions de la théorie économique dominante, les pays du Sud exportent depuis plusieurs années plus de capitaux au Nord qu’ils n’en reçoivent de ce dernier.
Le moins que l’on puisse dire est que le ton de nos banquiers centraux n’est plus à l’euphorie en ce qui concerne les bienfaits innés de l’ouverture commerciale et financière. Dans ces conditions, conclut Bernanke, le défi des hommes politiques est d’arriver à lutter contre tous ces effets pervers pour obtenir un consensus politique en faveur de la mondialisation. Mais, comme il l’affirme en fin de discours, «construire un tel consensus sera loin d’être facile, tant aux niveaux nationaux qu’au niveau mondial». C’est dit : le libéralisme économique ne fait plus consensus.
Christian Chavagneux pour Alternatives Economiques
[1] «Global economic integration : what’s new and what’s not ?», par Ben S. Bernanke.
[2] «Patterns of international capital flows and their implications for economic development», par Eswar Prasad, Raghuram Rajan et Arvind Subramanian.
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