La mise en place et la gestion d'un régime d'assurance-chômage ont été confiées par l'Etat à l'UNEDIC. La mission de cette institution est, pour nos concitoyens privés d'emploi, d'assurer le versement d'un revenu de remplacement. Mais l'Unedic ne remplit pas convenablement ce rôle puisque près de la moitié environ des chômeurs n'est pas indemnisée par ce système assurantiel. La défaillance du système conduit l'Etat à combler les carences en prenant le relais de l'indemnisation avec la création d'un minimum social, l'ASS (allocation de solidarité spécifique en 1984), et la mise en place du RMI en 1988.
Progressivement, l'Unedic ne se limite plus à mal indemniser une partie des chômeurs. Elle se transforme en un financeur direct des dispositifs d'aide au retour à l'emploi. La convention Unedic de 2001 prévoit, dans le cadre du PARE (plan d'aide et de retour à l'emploi), que l'organisme finance le recrutement d'agents ANPE, les prestations d'accompagnement du chômeur, les aides à la mobilité ou encore les aides à l'employeur pour l'embauche de chômeurs de longue durée.
L'Unedic, devenue acteur majeur des politiques de l'emploi, est à la tête d'une manne financière importante : l'argent qui provient des cotisations des salariés et des employeurs. Elle souhaite «rendre actives les dépenses passives» ! Une belle formule qui fait sens. C'est ainsi que plus de 161 millions d'euros devraient être dépensés en deux ans pour accompagner un peu moins de 100.000 chômeurs. Le coût moyen de l'accompagnement sera de 3.500 € par demandeur. Le chômage devient ainsi un marché sur lequel il est possible de réaliser des profits.
Les principales étapes de cette marchandisation
26,8 millions d'euros ! Tel est, en 2004, le coût potentiel pour l'Unedic du placement de 6.000 chômeurs à Lille et à Rouen. La mission est confiée à Ingeus, une société australienne n'ayant alors ni bureaux ni salariés en France. La rémunération d'Ingeus : 4.300 € par demandeur d'emploi placé ; la somme peut monter jusqu'à 6.000 € s'il s'agit d'un chômeur âgé de plus de cinquante ans. Ingeus devait toucher, au minimum, près de 17 millions d'euros (les 2.800 € versés à la prise en charge multipliés par les 6.000 chômeurs) en deux ans !
Une première expérience de même nature avait été lancée dès septembre 2003. À l'époque, l'Assedic de l'Ouest francilien confie la gestion du placement de 150 chômeurs à une société privée néerlandaise, Maatwerk. L'opération n'a pas de caractère légal, puisque la loi Borloo libéralisant le marché de placement ne s'applique qu'à compter du 1er janvier 2005. L'objectif de Maatwerk : un taux de placement de 70%. La rémunération de Maatwerk : 3.800 € par personne ; 1.200 € sont payés dès le début de l'opération, les 2.600 € restants sont dus pour les reclassements réussis au bout de six mois. La définition du «reclassement réussi» étant une activité d'une durée minimale hebdomadaire de... douze heures !
Les résultats de l'opération Maatwerk ne sont guère probants. En juin 2004, 67 placements sont comptabilisés. «Mais en regardant les fichiers, on s'est aperçu que 45 de ces 67 chômeurs étaient encore inscrits à l'ANPE [...]. Cela signifie qu'ils sont en CDD, en intérim ou à temps partiel, ou dans un travail qui ne leur convient pas», souligne un syndicaliste de l'ANPE dans L'Humanité du 28 novembre 2004. Par la suite, en 2005, un peu plus de 7.000 chômeurs seront confiés à cinq prestataires privés (Ingeus, Adecco, BPI, Altedia et l'Apec). Le bilan de ces expérimentations n'a rien de concluant, ne serait-ce qu'en raison du faible nombre de chômeurs concernés. Il ne permet aucunement d'étayer une comparaison d'efficacité privé/ANPE. Ce qui n'a pas empêché l'assurance-chômage de communiquer sans nuance sur le sujet : en substance, les chômeurs suivis par des sociétés privées ont retrouvé du travail plus rapidement que ceux qui étaient suivis par l'ANPE, et les emplois retrouvés semblent plus stables que la moyenne. En conséquence, ces placements permettent d'économiser des mois d'indemnisation.
Une généralisation d'expérimentations peu concluantes
Le propos a une finalité éminemment intéressée : faire en sorte que le bureau de l'Unedic décide de la généralisation des expérimentations en cours. Le 5 juillet 2006, le bureau de l'Unedic décide d'amplifier les expérimentations : le secteur privé devrait désormais être en charge du suivi de 46.000 demandeurs d'emplois chaque année. Au sein de l'Unedic, FO et la CGT refusent cette extension. Et c'est en ces termes que le directeur général de l'ANPE commente l'expérience dans Le Figaro du 31 mai 2006 : «Affirmer que les opérateurs privés sont plus efficaces que l'ANPE me paraît un raccourci peu fondé. Cette expérience a concerné en 2005 environ 7.000 personnes toutes volontaires pour cet accompagnement renforcé et donc très motivées pour un retour à l'emploi. Durant la même année, l'ANPE a accompagné 3 millions de chômeurs, pour un coût moyen de 730 € et avec des taux de sortie vers l'emploi comparables à ceux des opérateurs privés. L'économie avancée de 24 millions d'euros repose sur l'hypothèse hasardeuse et invérifiable que 85% de ces chômeurs auraient été indemnisés pendant toute la durée de leurs droits (23 mois).»
La marchandisation des chômeurs pose plusieurs questions : quel est le juste prix du placement d'un chômeur ? Qu'en est-il de la «rentabilité potentielle» des chômeurs non indemnisés par le système assurantiel ? L'Unedic n'a aucun intérêt pécuniaire à payer des accompagnements à des chômeurs qui ne lui coûtent rien. Rémunérer aux résultats des officines privées risque également de conduire à des dérives comme, par exemple, obliger des demandeurs d'emploi à accepter des emplois précaires mal payés ne correspondant pas à leurs qualifications. Il est illusoire de croire que la marchandisation des chômeurs puisse se réaliser au bénéfice de ces derniers.
Une indemnisation du chômage qui participe à la dérégulation du marché du travail
Cette marchandisation n'est qu'un avatar supplémentaire de la désastreuse évolution de l'assurance-chômage. Dans un remarquable ouvrage, "L'État face aux chômeurs", Christine Daniel et Carole Tuchszirer ont relaté l'histoire de «l'indemnisation du chômage, de 1884 à nos jours». On peut lire dans leur conclusion : «Depuis le début des années quatre-vingts, les systèmes d'indemnisation du chômage ont participé à l'éclatement des formes d'emploi, sans en compenser les effets. Ils protègent de moins en moins bien les jeunes, les salariés précaires, ceux qui, notamment du fait du développement du travail à temps partiel, n'ont que de très faibles salaires de référence. Tout se passe comme si les plus fragiles sur le marché du travail étaient aussi ceux qui bénéficiaient d'une protection moindre. Dès lors, ces demandeurs d'emploi en mal de protection sociale se trouvent dans des situations où tout emploi est préférable au chômage. Bien loin d'être dans une trappe de pauvreté, ils sont plutôt dans une trappe à activité qui les conduit à accepter des salaires parfois très faibles pour survivre. L'indemnisation du chômage participe ainsi à son tour à la dérégulation du marché du travail, plus qu'elle ne permet de gérer les conséquences de ces nouvelles formes d'emploi que les entreprises ne cessent de développer.»
En définitive, depuis plus de vingt ans, les partenaires sociaux gestionnaires de l'assurance-chômage sont, à l'exception de FO et de la CGT, dans une approche strictement comptable et financière. Face à ce fiasco de l'assurance-chômage, il est temps que l'Etat reprenne la main.
Par Patrick Salmon pour AgoraVox
Patrick SALMON est l'auteur de Chômage : le fiasco des politiques
Son blog : http://patricksalmon.over-blog.com/
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