Nicolas Sarkozy est inquiet. Probablement inspiré par la dernière étude sur le patrimoine des Français publiée la semaine dernière par l'INSEE, il a pointé samedi dernier devant un public de chrétiens progressistes la dégradation des «indicateurs d'équité». Et dénoncé les «odieuses» inégalités héritées des parents. «Il faut (…) savoir si les pauvres de 2004 sont les mêmes que ceux de 1995 et s'ils sont où non les enfants des pauvres de 1975», s'est-il demandé. Certes, tout le monde n'a pas la chance d'habiter à Neuilly et ne pourra pas bénéficier de la suppression des droits de succession chère au Président de l'UMP... Mais peut-on encore s'enrichir par son travail ?
Au Parti socialiste comme à l'UMP, la «réhabilitation du travail» se trouve au cœur des discours sur fond de débat sur les 35 heures. Pourtant, les deux candidats devront se confronter à un problème bien plus épineux que la simple question de la durée légale du travail : celui de la dégradation des revenus du travail en faveur de ceux du capital. «La France s'appauvrit parce que, quand une entreprise augmente sa valeur ajoutée, elle détruit de la valeur sociale et environnementale», affirmait Ségolène Royal lors du premier débat télévisé pour l'investiture du Parti socialiste. Du côté de l'UMP, le programme législatif fraîchement adopté propose de créer un «choc en faveur des revenus du travail». Au moment où le Premier ministre Dominique de Villepin prépare discrètement la tenue d'une conférence sur les salaires en décembre.
Que s'est-il passé ?
Les économistes, qu'ils soient libéraux comme Patrick Artus où keynésiens comme Liêm Hoang-Ngoc, s'accordent à dire que les profits réalisés ces vingt dernières années par les entreprises françaises ont favorisé les détenteurs de capitaux. Pendant que les salaires étaient à la peine, les banques, les petits actionnaires où les grands fonds de pensions ont capté une bonne part des profits.
«En 1984, la part des salaires représentait 70% de la valeur ajoutée. Elle est tombée à 60% en 1996 et est remontée autour de 63% aujourd'hui. Ce qui fait que 85% des profits aujourd'hui sont redistribués sous forme de dividendes», résume Liêm Hoang-Ngoc, un économiste proche du courant Nouveau parti socialiste.
Pour Patrick Artus, cette «déformation» du partage entre les revenus du travail et du capital a surtout eu pour conséquence de réduire les investissements dans le secteur industriel et des nouvelles technologies. En exigeant des taux de rentabilité à deux chiffres, les fonds de pension anglo-saxons - propriétaires à 45% des entreprises du CAC 40 - reportent le risque financier sur les entreprises cotées. Ces dernières externalisent alors leurs activités coûteuses en main-d'œuvre vers des PME, qui à leur tour multiplient les contrats précaires et modèrent les salaires faute de visibilité.
«Le théorème de Schmidt : "les profits d'hier sont les investissements d'aujourd'hui, qui sont les emplois de demain" est totalement faux. La vérité, c'est que les profits sont l'épargne d'aujourd'hui et le chômage de demain», accuse Liêm Hoang-Ngoc.
Que faire ?
Du côté socialiste, on promet de rééquilibrer la part des salaires dans la valeur ajoutée par une augmentation du salaire minimum et de l'ensemble des salaires. Mais la mesure la plus significative du projet socialiste consiste à remplacer les cotisations patronales par une contribution globale sur la valeur ajoutée. Ce qui reviendrait à instaurer une sorte d'impôt bis sur les sociétés pour alléger les charges des PME tout en ciblant les profits des entreprises du Cac 40. Une véritable évolution quand on sait que cette mesure était en discussion depuis près de 15 ans au PS ! Toutefois, cette idée d'une assiette élargie à la valeur ajoutée rencontre une forte hostilité des Strauss-kahniens, qui représentent aujourd'hui 20% du parti.
A l'UMP, Nicolas Sarkozy propose de favoriser les heures supplémentaires et remet au goût du jour l'association capital-travail. «Nous supprimerons la condition de blocage de la participation et procéderons à un déblocage progressif du capital des Français actuellement stérilisé. Cela représente près de 25 milliards d'euros mobilisables en faveur du pouvoir d'achat», a-t-il annoncé lors de son discours d'Agen. Une proposition qui a l'inconvénient de soumettre les économies des salariés à la merci d'un coup de grisou sur les marchés financiers. Les salariés d'Enron en savent quelque chose...
Le mur de l'argent
Par ailleurs, Nicolas Sarkozy met le doigt sur un véritable obstacle à droite comme à gauche : «Les socialistes disent : faisons payer le capital ! Mais si le capital paye trop, il s'en ira». Faut-il le croire ? François Morin, auteur d'un essai intitulé "Le Nouveau mur de l'argent", confirme le chantage évident que les financiers exercent sur les gouvernements. Interrogé par Marianne2007.info, l'économiste est pessimiste sur la marge de manoeuvre des candidats : «Ils seront confrontés à un nouveau mur de l'argent à l'échelle mondiale qui risque de provoquer de graves crises tout en pressurisant les salariés. Mon hypothèse, c'est que la confrontation est inévitable. Mais pour cela il faudrait que campagne politique mette au centre cette évolution et pose le débat de la financiarisation de l'économie», explique l'économiste. Faute de quoi, la promesse d'un rééquilibrage entre les revenus du capital et du travail sera aussi vite oubliée que ce petit extrait d'un discours de François Hollande prononcé en 2005 : «La mondialisation d'aujourd'hui, c'est le mur de l'argent d'hier». Le premier secrétaire clôturait alors un colloque célébrant «100 ans de socialisme».
(Source : Marianne)
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