Les requins de la finance et des montages financiers, les fonds d'investissements, sont très ingénieux. On connaissait leur investissement de «capital-risque» ou de «capital-développement». Mais depuis le krach de la «nouvelle économie» en 2000, le capital-risque n'est plus de rigueur. C'est désormais la troisième forme d'investissement de ces fonds, «le capital-transmission» encore dénommé LBO («Leveraged Buy Out» ou «levier d'achat»), qui a pris largement le dessus.
Pour résumer, ces fonds commencent par le rachat d'une entreprise, financé à plus des 2/3 par des emprunts auprès des banques. Elle n'a donc qu'un faible apport de capitaux à mettre sur la table et le risque financier est minime, puisque le rachat se fait au nom d'une société écran (une «holding») qui sera directement responsable des dettes contractées. Puis, sur une période très courte (entre 2 et 4 ans en moyenne), le fond d'investissement rembourse ses dettes en ponctionnant les dividendes de l'entreprise, et revend la société dès qu'une offre d'achat intéressante se présente.
Rationalisation et licenciements
Pour que ce montage financier réussisse, les fonds organisent un traitement de choc, car la société doit dégager du cash très rapidement et devenir attrayante pour un futur rachat. Selon les cas, les gestionnaires vont procéder à la revente de biens immobiliers, à la rationalisation de la production, des achats, des cadences de production. Les activités trop peu rentables vont être suspendues, le flux tendu va être privilégié pour éliminer les stocks, les investissements dans l'outil de production vont être réduits à leur minimum. Et bien sûr, ils vont tenter de museler les syndicats, de précariser au maximum les salariés (CDD, temps partiels, intérimaires) et, enfin, des réductions d'effectifs seront mises en œuvre (licenciements ou «départs volontaires»). Au final, les fonds d'investissements récoltent un retour sur investissement spectaculaire, qui peut aller jusqu'à 30% de leur apport initial.
Actuellement en France, il y aurait quelque 1.200 entreprises sous LBO, pour 1,5 millions de salariés. En 2005, les fonds d'investissement ont investi 200 milliards d'euros dans le cadre de LBO, soit 34% de plus qu'en 2004, et le rendement moyen était de 24%. Ces fonds s'appellent Starwood Capital, Apax, Colony Capital, Carlyle, Blackstone, BC Capital ou KKR. Et récemment on a vu les sociétés Arena, Aubade, Well ou Dim passer sous leur coupe. Inévitablement, certaines entreprises sont tellement pressurisées qu'elles finissent par fermer.
Sublistatic, un cas d'école
Ancienne filiale prospère de la lainière de Roubaix, la société Sublistatic d'Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, subit une première LBO en 1991, montée par les quatre dirigeants de l'entreprise. Ceux-ci réalisent de juteux profits dans la vente de l'entreprise au fond Capital Partners en 1994, toujours sous forme de LBO. L'entreprise multiplie par deux sa production en 2002. En fin d'année, une nouvelle LBO est réalisée : c'est le fond Acland Capital qui rachète. Point commun des trois rachats : pas de projet industriel à long terme, investissement minimum et gros dividendes. De 350 salariés, les effectifs tombent à 223. Une cinquantaine d'intérimaires sont embauchés, puis écartés. Après avoir réalisé 14 millions d'euros de bénéfices depuis 2002, le puissant groupe immobilier Acland met l'entreprise en liquidation. Le carnet de commandes est plein mais depuis lundi dernier, l'usine de papier d'impression sur tissu a fermé. Ses 223 salariés sont limogés, ils récoltent une indemnité misérable au regard de leur 30 ans de service, pour nombre d'entre eux.
Le hic, c'est que les salariés refusent de partir. Ils occupent l'usine depuis le jeudi 11 janvier. Plutôt que les 8.500 € d'indemnités légales pour 15 ans d'ancienneté, ils réclament 100.000 € pour tous. Mais le fond Acland s'est évaporé, légalement. Le liquidateur judiciaire et les pouvoirs publics refusent de payer. Alors les salariés menacent de déverser 150 tonnes de solvants toxiques et inflammables sur le site : différentes cuves sont dispersées autour de l'usine. Ils sont une cinquantaine à se relayer pour occuper l'usine jour et nuit.
«Chantage à l'environnement» !
Les fermetures d'usine et autres licenciements étant légion dans les environs, ils s'organisent avec d'autres entreprises en lutte. Une marche a été organisée avec les salariés de Faurecia et Energy plast, qui totalisent plus de 450 emplois menacés. Avec Sublistatic, c'est 700 licenciements rien que pour la commune d'Hénin-Beaumont. Des anciens de Métal-Europe (le site est à moins de 5 km) sont également venus apporter leur soutien. Le 16 janvier, ce sont les travailleurs de Québécor qui se sont déplacés à Sublistatic. L'usine d'Hellemmes, près de Lille, délocalise et licencie ses 270 salariés.
A Sublistatic, les projets de reprise par un entrepreneur ou sous forme d'une Scop sont évoqués. Mais peu y croient. Le dernier espoir qu'ils ont, c'est de partir dignement, la tête haute. La médiatisation est assez faible en comparaison à Cellatex ou Metaleurope, qui avaient eux aussi fini par menacer de polluer les alentours. TF1 s'est malgré tout illustré en titrant le «chantage à l'environnement». Les salariés auraient assurément préféré le «pillage des vautours de la finance». Reste que leur menace n'est pas prise au sérieux. Pour l'instant, le déversement des cuves ne semble pas réellement envisagé. Jusqu'à quand ?
Plus d'infos :
• Un collectif contre les LBO s'est créé, à l'initiative de la CGT : www.collectif-lbo.org. Sous leur pression, la création d'un groupe de travail parlementaire sur les fonds d'investissements a été annoncé mardi. La lutte est encore longue...
• Le blog des salariés en lutte de Sublistatic : http://watt2005.free.fr/
(Source : Regards)
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