Avec J’ai très mal au travail, Jean-Michel Carré cherche à cerner la montée du «mal-être» au travail, cet «obscur objet de haine et de désir» qui engendre tant de souffrances physiques et morales.
Un management de plus en plus oppressant. Le film fait apparaître le durcissement des pratiques managériales. Certaines entreprises n’hésitent pas à demander à leurs managers d’instaurer la peur et d’encourager l’individualisme. Dans un tel contexte, que dire des séminaires sportifs de cohésion qui se développent à foison ? Une pratique censée souder les équipes selon les uns, visant à instaurer l’esprit de compétition selon les autres. Des séminaires qui parfois empiètent insidieusement sur la vie privée : sous prétexte que la formation a lieu le lundi dans une station des Alpes, les salariés sont «invités» à venir à partir du samedi. Quid du week-end, normalement réservé à la sphère intime ?
On est désormais dans le «TTU» (très très urgent). Cette mention accompagne aujourd’hui de nombreux mails, obligeant les salariés à travailler constamment dans l’urgence. Une pratique courante qui place les salariés sous tension permanente.
Frustrations et sentiment d’échec. Le mal être au travail n’est pas l’apanage des ouvriers et des professions sous qualifiées. Les cadres sont aussi touchés. «Dans les grandes entreprises, s’il y a une liberté d’initiative apparemment attendue des salariés, les moyens ne sont pas donnés pour l’assumer. La direction attribue un budget. Si le projet n’est pas réalisable, il leur est répondu imperturbablement : "Voilà votre budget… Débrouillez-vous". Frustrations, sentiment de l’impossible et de l’échec probable», explique le réalisateur. Mais leur stress est moins visible. Comme le confie un cadre d’une multinationale, «on ne peut pas renvoyer l’image d’une personne stressée et fatiguée, cela pénalise notre notation. Alors, la plupart d’entre nous carbure au café et aux cigarettes pour tenir. D’autres recourent même aux drogues illégales.»
Si le malheur est associé au travail, c’est justement parce qu’il est une condition essentielle du bonheur. En effet, dans une étude de l’INSEE menée auprès de 6.000 personnes, le travail arrive en deuxième position comme condition du bonheur, après la santé mais avant la famille, l’argent et l’amour. Le monde du travail se déshumanise de plus en plus, entraînant souffrances et frustrations chez les salariés qui attentent au contraire de la reconnaissance sur la qualité de leur travail, une rétribution morale essentielle. Preuve en est qu’ils placent la notion de travail avant l’argent comme condition d’épanouissement.
Etre malheureux au travail a des conséquences dramatiques sur l’individu. «Si les spécialistes affirment que le travail contribue à la structuration psychique de tout individu, le flux des patients qu’ils retrouvent dans leurs consultations confirme un état de souffrance de plus en plus important, preuve que les exigences à l’égard des salariés n’ont aujourd’hui plus de limites», souligne Jean-Michel Carré. C’est généralement le corps qui donne le signal d’alarme : eczéma, insomnies, alertes cardiaques, ulcères… sont les conséquences physiques d’une détresse morale.
Jean-Michel Carré signe là un film riche, alternant témoignages de salariés et de chercheurs (psychanalystes, économistes, sociologues, politologues…) et spots publicitaires, images d’actualité et extraits de films satiriques. Des mots «choc» qui permettent de prendre conscience d’un profond malaise. Si le film soulève de vrais problèmes, les alternatives restent à trouver.
(Source : L'Entreprise.com)
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