«Aujourd’hui, on ne peut pas faire croire que l’on ne peut pas licencier les gens. On peut les foutre dehors n’importe quand et pour n’importe quel motif.» Prononcée par un ancien directeur général d’une grande entreprise française, cette diatribe résume bien l’étude sur le licenciement pour motif personnel (LMP) – un motif inhérent à la personne du salarié (faute ou insuffisance professionnelle) – présentée dans "Sorties de cadre(s)" [1], ouvrage vivant et documenté.
Deuxième cause d’entrée à l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) après les fins de contrats à durée déterminée (CDD), les LMP visent au premier chef les cadres et représentent 75% des licenciements (580.000 recensés en 2005, soit 10.000 de plus qu'en 2004). Opaques, incolores, inodores, socialement invisibles, ils contournent facilement la loi : en pratique, le motif personnel est souvent un faux motif conduisant à un vrai licenciement. Véritable outil de gestion de la main-d’œuvre – et des âges –, les LMP se substituent aisément aux autres modalités de «départ» et parviennent, ironise un avocat, à maquiller «des départs en préretraite sponsorisés par les Assedic».
Il n’y a guère que la fine couche des cadres dirigeants occupant des positions-clés qui réussisse à jouer avec et à tirer profit de ce «divorce par consentement mutuel». Pour les autres, la grande majorité, la «séparabilité» est une règle violente, brutale et arbitraire manipulée sans considération de la personne par l’«employeur seul juge» pour discipliner ses salariés et s’en débarrasser à son gré.
Le recours accru aux LMP est symptomatique de la tendance à subordonner la gestion des «ressources humaines» à des finalités totalement déconnectées de la qualité des salariés, et à retourner contre eux la responsabilité des dysfonctionnements résultant du «management par le marché». Le LMP va de pair avec l’intensification du travail qui se généralise, elle aussi, grâce à des systèmes organisationnels conçus par des consultants peu au fait des réalités concrètes du travail. Or, comme le montre la recherche publiée sous la direction de Laurence Théry [2], le travail ne se laisse pas enfermer dans des règles prescrites et des normes quantitatives de performance. Les travailleurs sont constamment amenés à adapter leur manière de faire pour surmonter des difficultés imprévues et atteindre la performance.
Décisif pour la qualité et l’efficacité du travail, cet apport personnel est invisible. Il est d’autant plus facilement nié par la culture procédurale et normative des managers que les salariés eux-mêmes ont du mal à en parler. Ces derniers tendent à vivre comme des questions personnelles les problèmes et les conséquences néfastes découlant de leurs conditions de travail. L’intérêt de ce dernier ouvrage est justement d’avoir réussi à les faire parler et de proposer un diagnostic critique nourri par l’analyse de situations de travail concrètes et variées. Il est aussi d’esquisser des voies pour l’action.
Noëlle Burgi pour Le Monde Diplomatique
[1] Florence Palpacuer, Amélie Seignour et Corinne Vercher, "Sorties de cadre(s). Le licenciement pour motif personnel, instrument de gestion de la firme mondialisée", La Découverte, coll. «Entreprise et société», 2007, 235 pages, 20 €.
[2] Laurence Théry, "Le Travail intenable. Résister collectivement à l’intensification du travail", La Découverte, coll. «Entreprise et société», 2006, 246 pages, 19 €.
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