Tout commence par une petite phrase lâchée mi-décembre sur les ondes par Christine Boutin. «Il n’y a pas de personnes qui ont demandé un hébergement en France cette nuit qui n’aient pas été hébergées», avait pointé la ministre du Logement pour désavouer la tentative d’installation d’un campement par les Enfants de Don Quichotte à proximité de Notre-Dame, à Paris. Cette déclaration a convaincu Christophe Louis, président du collectif des Morts de la rue, d’écrire à Christine Boutin pour lui signifier que ces mesures de mise à l’abri des SDF par grand froid ne sont que poudre aux yeux. «Tous le savent aujourd’hui, ce n’est pas le froid qui tue les personnes de la rue, c’est le lot complexe des difficultés de la vie à la rue : violence, usure, humiliation, déshumanisation.» Il a joint en annexe une étude ponctuelle basée sur des «données partielles et artisanales» recueillies par son association.
«Depuis l’élection présidentielle en mai, nous avons appris la mort de 11 femmes et de 88 hommes qui vivaient ou avaient vécu à la rue.» Ce qui fait 99 décès de mai à novembre. Pour décembre, on en recense deux connus, à Paris et à Sète. «J’ai collecté ces chiffres pour montrer qu’au-delà des petites phrases rien n’a changé. Et que, depuis l’installation du nouveau gouvernement, tout continue comme avant. C’est pas pire, mais c’est pas mieux.»
Chaque année, le Collectif des morts de la rue recense entre 200 et 250 décès. Mais ce sont des données partielles. Elles sont fournies par les associations d’aide aux sans-abri, par les hôpitaux, par les assistantes sociales, par les sans-abri eux-mêmes qui parfois signalent la disparition d’un des leurs. L’une des demandes du collectif est que les préfectures lui communiquent leurs chiffres. «Elles disposent de tous les avis de décès survenus sur la voie publique. Après identification, il n’est pas difficile de savoir si la personne était sans domicile fixe», souligne Christophe Louis.
Des morts en toute saison
Au vu des données existantes, un constat s’impose : il y a autant de morts en été qu’en hiver. Le froid n’est qu’un danger parmi tous ceux qu’affrontent au quotidien les personnes vivant à la rue. Les statistiques jointes dans l’annexe de la lettre envoyée à Christine Boutin montrent, mois par mois, une constante dans le nombre des décès : 12 morts en mai 2007, 14 en août, 14 en septembre, 16 en novembre… Mauvaise nutrition, absence de soins, usure du corps du fait de l’errance, sommeil en pointillé par crainte des agressions, violence. «Dans la rue, les gens se consument au jour le jour», analyse Christophe Louis, qui précise dans sa lettre à la ministre du Logement que «l’hébergement d’urgence proposé quelques jours par an ne changera pas grand-chose à cette litanie infernale».
50 ans d’espérance de vie
On meurt jeune dans la rue. Pour les 99 morts recensés entre mai et novembre 2007, le Collectif des morts de la rue a procédé à une analyse de ces décès par tranche d’âge : seuls 6 victimes avaient plus de 65 ans. Chez les autres : 19 avaient moins de 46 ans, 22 entre 46 et 50 ans, et 22 entre 56 et 65 ans. Moyenne d’âge pour l’ensemble : 50 ans, dans un pays où l’espérance de vie moyenne est de plus de 80 ans (77,2 ans pour les hommes et 84,1 ans pour les femmes). «Nous sommes confrontés chaque jour à la mort prématurée des personnes de la rue», écrit Christophe Louis dans sa lettre. Et leur espérance de vie de trente ans inférieure à celle de l’ensemble des Français.
La violence tue davantage que le froid
Dans son étude, le collectif a tenté de savoir quelles étaient les causes du décès des 99 morts qu’il a recensés. «Nous ne sommes pas parvenus à obtenir des précisions pour tous les décès intervenus pour la période étudiée», affirme Christophe Louis. Seuls 37 cas ont pu être analysés : 5 décès sont consécutifs à une longue maladie, 18 relèvent d’une mort naturelle soudaine (arrêt cardiaque, hémorragie cérébrale, épilepsie, froid…), et 14 ont été provoqués par la violence. Conclusion de Christophe Louis : «La rue, c’est bien plus dangereux que le froid. C’est pour cela que les SDF se terrent pour dormir.»
(Source : Libération)
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