Le Centre d'étude et de recherche sur la Philanthropie publie, en partenariat avec le Secours catholique et Caritas, une étude consacrée exclusivement à la mendicité. Un travail rare sur un phénomène très peu analysé. Chris Olivier, directrice du CerPhi et auteur du rapport, a répondu au Figaro.fr.
Pourquoi avoir travaillé sur ce sujet ?
Chris Olivier — Tout le monde connaît le phénomène de la mendicité, certains disent même qu'il est croissant, mais il n'existe aucune étude spécifique dessus. En tant que passant, on se demande souvent : pourquoi sont-ils là, de quoi ont-il besoin, est-ce que ce n'est pas du cinéma ? L'objectif de notre travail était de donner des clés pour comprendre le phénomène. Nous avons pour cela rencontré beaucoup de mendiants pendant nos trois mois d'observation à Paris. Nous avons approfondi nos discussions avec une quinzaine d'entre eux.
Quels sont les principaux enseignements de ces trois mois passés sur le terrain ?
Nous avons d'abord compris d'où pouvait venir, pour certaines personnes, l'impression d'être sur-sollicitées. Pour mendier avec un minimum de succès, les quêteurs doivent être visibles des passants, donc se positionner là où il y a du monde et faire en sorte d'entrer dans leur champ visuel. Cette démarche dérange le donateur potentiel qui ne se rend pas compte que, deux rues plus loin, il n'y a plus aucun mendiant. Or, il est important de connaître cette tendance à la concentration, à certains carrefours, dans certaines rames de métro, pour relativiser cette impression d'envahissement.
Autre constat : il n'y a pas de profil-type du mendiant, les parcours sont très différents. Cela concerne aussi bien des jeunes punks que des personnes âgées vivant avec une demi-retraite, de gens très avancés dans la désinsertion sociale et d'autres qui viennent de tout perdre, des gens qui restent convaincus qu'il faut résister et d'autres qui sombrent dans la honte.
Enfin, mendier est une activité épuisante, physiquement et psychologiquement. Contrairement aux idées reçues, mendier est un travail de forçat : quand on fait la manche dans le métro, en se déplaçant, il faut forcer sur la voix pour se faire entendre. Il est aussi épuisant de rester assis au ras du trottoir, devant un flot de passants et de voitures, ou de se tenir des heures durant debout, à un point fixe. D'autant que les journées sont souvent très longues. Il faut aussi résister moralement aux dizaines de refus enregistrés chaque jour.
Combien rapporte la mendicité en moyenne ? Y a-t-il des personnes plus performantes que d'autres ?
Il est ressorti de nos observations que 10-15 € était une sorte de moyenne, et que 30 € était considéré comme une «bonne journée» : le gain reste dérisoire en regard de la pénibilité et du coût en termes d'image de soi. Mais c'est extrêmement aléatoire selon les moments. Cette variabilité interdit complètement à la personne qui mendie de prévoir quoi que ce soit car elle doit toujours être sur le terrain pour ne rater aucun don.
Ceux qui s'en sortent le mieux sont des gens qui ont réussi, quelle que soit l'ancienneté de leur situation, à rester relativement insérés socialement. Souvent, ils ont eu une vie «normale» avant, avec un parcours professionnel. Ils conservé une capacité à entrer en relation avec les gens, à comprendre ce qu'on attend d'eux.
Vous avez également interrogé des passants sollicités par des mendiants. Qu'en est-il ressorti ?
En tant que passant, quand on est sollicité, on se décide souvent à l'aune de critères subjectifs : Comment la personne s'exprime-t-elle, est-ce qu'elle s'est bien présentée, a-t-elle justifié ses besoins ? Nous sommes à la fois dans la compassion et dans la lassitude d'être dérangé. Or, tous ceux qui mendient ont de réelles difficultés et nécessiteraient d'être aidés. Si bien que faire un choix, s'interroger sur nos propres critères, peut être très troublant. Pour certains, c'est si perturbant qu'ils préfèrent ne rien donner à personne.
L'idéal, pour donner l'esprit libre, c'est sans doute d'accepter la part aléatoire de notre décision, le fait que l'on va donner ce jour-là tout simplement parce qu'on est de bonne humeur. Mieux vaut faire confiance à son arbitraire que ne rien donner du tout.
(Source : Le Figaro)
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