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Accueil Mobilisations, luttes et solidarités Cinéma : It's a Free World, un monstre parmi les monstres

Cinéma : It's a Free World, un monstre parmi les monstres

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Le cinéaste anglais Ken Loach ne faiblit pas. Il hait toujours, plus que jamais, les tièdes qui, au nom de la raison d'Etat, de la raison tout court, rendent tolérable l'injustice.

Dans son nouveau film, il nous parle de ces esclaves modernes que des profiteurs vont chercher aux quatre coins du monde pour qu'ils effectuent, parfois au péril de leur vie, des travaux sous-payés que personne, sinon eux, n'accepterait de faire. La mode, actuellement, c'est l'Europe de l'Est : la main-d'œuvre la moins chère et la plus disciplinée, semble-t-il. Mais tous ces Polonais, ces Ukrainiens que l'on voit dépenser des fortunes pour gagner l'Angleterre promise rejoignent, dans l'esprit de Ken Loach, les immigrés mexicains dont il a évoqué le triste sort dans "Bread and roses". Ou les ouvriers du rail anglais de "The Navigators" qu'il a filmés dans leur lutte contre la privatisation. "It's a Free World" est donc du Loach classique. Du Ken pur jus. A un détail près, mais de taille : il filme, cette fois, une héroïne antipathique. Un monstre parmi les monstres...

En fait, Angie (formidablement interprétée par Kierston Wareing) pourrait être la sœur cadette de Maggie, l'héroïne du film "Ladybird" dont Loach avait décrit les malheurs, il y a une quinzaine d'années. Elle aurait vu son aînée se faire régulièrement enlever ses gamins par une administration injuste et bornée et se serait résolue, dès lors, à ne jamais devenir aussi misérable et paumée. Tout plutôt que devenir cette victime sanglotante et désarmée... Malgré ces belles résolutions, Angie commence, comme les autres, par se faire entuber.

Seulement, une fois la rage passée, elle décide, avec sa copine Rose, de résister. D'ouvrir sa petite entreprise. Pas question, au départ, pour elle qui vient de la classe ouvrière, d'exploiter les siens. Juste leur donner du boulot. Les aider à s'en sortir pour mieux s'en sortir, elle. Elle et son fils... Seulement, le mal court. Il galope, même. Et tandis que Rose lui résiste tant bien que mal, Angie, elle, lui cède. Corps et âme. Au point de devenir aussi inhumaine que les autres. Au point de commettre, presque sans honte, un acte sans pardon...

Ce n'est sans doute pas le plus grand film de Ken Loach. La faute, essentiellement, au fidèle scénariste Paul Laverty dont le péché mignon a toujours été de surdramatiser inutilement certains épisodes de ses scénarios - ici l'enlèvement du fils d'Angie, par exemple. Mais on sent, plus que d'habitude encore, la lucidité du cinéaste face à ce que menace de devenir son pays. Et nos sociétés, en général. Car si Angie est la sœur de Maggie, elle est, aussi, la fille de l'ère Margaret Thatcher, une époque qui a encensé l'individualisme et la réussite, qui a prôné l'inflexibilité des plus forts et exigé toujours plus de flexibilité de la part des faibles. Morale insidieusement diffusée, depuis des années, par les pouvoirs, et qui n'est quasiment plus contredite par personne. A ce titre, l'un des personnages les plus intéressants, ici, est le jeune amant polonais d'Angie qui, tout naturellement, sans regret ni remords, avec un cynisme assumé, l'aide à devenir ce qu'elle veut être. Ils sont mignons, ces deux-là. Et pas cons. Mais juste décevants. Et vaguement inquiétants.

Pierre Murat pour Télérama

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