Lors des entretiens d'embauche, ils n'hésiteront pas à invoquer — horreur ! — les 35 heures. En se moquant du qu'en-dira-t-on, ils sont capables de prendre leur veste à 18 heures pour ne pas arriver en retard à leur cours de flamenco. Ils maîtrisent parfaitement les nouveaux outils technologiques, savent les dompter, ne pas se laisser dominer par eux.
Ils arrivent prévenus sur le marché du travail. Ils ont déjà effectué des stages où ils ont été pressurés, exploités gratuitement, sans même l'aumône d'une poignée de main à la fin. Ils n'auront souvent que des CDD à rallonge, le temps de conduire un projet.
Ils ont vu le sort qui a été réservé à leurs aînés, à leurs parents parfois, éjectés sans ménagement parce que moins compétitifs. "Ils ne se font pas d'illusions sur ce qui les attend. Alors, ils sont moins attachés à l'entreprise", estime Pierre Gojat, cadre à France Télécom. S'ils trouvent une meilleure place ailleurs, ils partiront sans états d'âme, du jour au lendemain. Ils ont une alerte Internet sur les sites d'offres d'emploi, sont prêts à sauter sur la moindre occasion, dire la moindre "opportunité".
"Les jeunes sont investis dans leur carrière, pas dans l'entreprise", constate Bernard Salengro, secrétaire national de la CFE-CGC. Ils conçoivent chaque expérience comme un tremplin, grimpent les échelons en sautant de l'une à l'autre. D'ailleurs, certaines sociétés ne se conçoivent que comme des pouponnières, prévenant d'emblée qu'il ne faut pas espérer construire quoi que ce soit de durable par ici. Selon un sondage réalisé par l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), 40% des cadres envisagent "de changer d'entreprise dans un avenir proche", essentiellement chez les jeunes qui ont moins de 35 ans. Les candidats au départ placent en tête des préoccupations l'intérêt du nouveau poste.
"Ne devrait-on pas inventer un mode de séparation par consentement mutuel, comme pour le divorce depuis 1975 ?", suggérait Laurence Parisot, patronne du Medef, en avançant l'idée de la "séparabilité". "La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?", assurait-elle. Ces jeunes gens ont parfaitement intégré cette philosophie. "Ils ne sont pas fidèles à l'entreprise parce que l'entreprise n'est pas fidèle", résume Charles-Henri Besseyre des Horts, professeur à HEC.
Mais il ne faudrait pas conclure à une génération cynique. Elle caresse simplement d'autres rêves. Ainsi Médecins du Monde reçoit de plus en plus de CV de jeunes cadres. Ils ont bac+4 ou +5, ont fait Sciences Po ou une école de commerce et postulent à des missions sans rapport avec leur qualification. Un ancien manager chez Quick est actuellement en poste au Liberia. Une ancienne consultante en finance ne compte pas ses heures au Pérou.
"Les nouveaux entrants ont une vision instrumentalisée du travail. Ce n'est plus le lieu où on se réalise. La vraie vie est ailleurs, dans une autre communauté de choix", résume François Dupuy, professeur à l'Institut européen d'administration des affaires (Insead). Le modèle, c'est François-Xavier Demaison, fiscaliste à New York, qui a tout plaqué pour devenir comédien après le 11-Septembre. "J'avais endossé un costume qui ne m'allait pas", jure-t-il. Pour les besoins d'un film, il vient de revêtir la salopette de Coluche.
(Source : Le Monde)
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Une enquête de Benoît Hopquin pour Le Monde (3 pages)
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