C'est l'alinéa 5 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris intégralement dans Constitution de 1958, qui l'affirme.
Et le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 29 mai 1959, précise que «Les principes généraux du droit, résultant notamment du Préambule de la Constitution, s'imposent à toute autorité réglementaire, même en l'absence de dispositions législatives».
Dans le contexte actuel, tous ces fondements relèvent de la pure schizophrénie.
Comment expliquer le nombre si important de chômeurs alors même que notre Constitution permet à chacun le droit d'obtenir un emploi ? Comment expliquer qu'en Europe, la France connaisse l'un des plus forts taux de chômage alors que c'est l'un des seuls pays au monde à avoir inclu dans sa Constitution «le droit d'obtenir un emploi» ?
Faut-il se satisfaire avec le Conseil Constitutionnel que certains droits seraient réservés au plus grand nombre ? Quel pourcentage ? Sur quels critères ?
Dans ces conditions, s'agit-il encore de droit, ou d'une application des normes imposées par le libéralisme ambiant ? Faut-il considérer que ce droit ne saurait être qu'un objectif à atteindre, à la façon du nouveau "droit au logement opposable" ou d'un "droit opposable à la garde d'enfants" ?
De tous les droits fondamentaux contenus dans la Constitution, ce droit constitutionnel à obtenir un emploi est le seul à ne pas bénéficier d'une application concrète. Comment expliquer cette exception ? Faut-il en imputer la cause au fait que seuls les pauvres pourraient bénéficier d'un tel droit ? Ne serait-ce pas faire preuve de démagogie que d'imputer la responsabilité du chômage d'une partie de la population à ceux qui n'ont pas à redouter une telle situation ? A ceux qui bénéficient de l'argent, de la formation ou des relations qui leur permettent d'occuper les emplois qu'ils ont choisi ?
Personnellement confronté au chômage, j'ai décidé de revendiquer ce droit constitutionnel. La préfecture m'a répondu que je ne pouvais me prévaloir d'un quelconque préjudice dans la mesure où l'administration n'avait pas pour mission de fournir un emploi à chaque citoyen...
Alors, quelle signification donner à ce texte ? Faut-il faire comme s'il n'avait jamais existé ? Faut-il ignorer la volonté politique de ceux qui l'ont rédigé ? Faut-il ignorer que c'est l'application effective d'un tel droit qui a permis à une France, dévastée par la guerre et les rationnements, de permettre l'insertion de plus de deux millions d'individus de retour des camps de travail forcé, de déportation et des prisonniers de guerre ? Faut-il ignorer que cette politique du plein emploi a généré ce que l'on a appelé les Trente Glorieuses ?
Imaginons les souffrances évitées à tous ceux qui subissent le chômage, à leurs familles, à leurs enfants. Imaginons les conséquences d'un tel droit face à un libéralisme débridé qu'il faut, soi-disant, "moraliser"...
J'ai décidé de poursuivre mes démarches en portant le différend devant le tribunal administratif. Il m'a d'abord fallu convaincre un avocat. Puis les juges de la Cour administrative d'appel de Nantes ont estimé qu'ils ne pouvaient répondre à ma demande du fait de «l’absence de précision suffisante» du texte constitutionnel... Lâcheté de leur part ? Refus de forcer la main des politiques ? Refus de prendre en compte les conséquences d'un tel texte ? Soumission à l'administration dont ils dépendent ?
Le Conseil d'Etat a préféré ignorer la question en me refusant l'aide juridictionnelle pour «absence de moyens sérieux susceptibles de convaincre le juge de cassation». Le président de la République et le ministère de la Justice se sont retranchés derrière la séparation des pouvoirs pour ne pas se prononcer sur une décision de justice qui aboutissait à censurer un texte constitutionnel, à considérer que le droit d'obtenir un emploi voulu par le législateur ne pouvait avoir aucune application concrète.
J'étais alors persuadé que c'était le genre de décision qui ne pouvait laisser indifférent les élus du peuple qui, en tant que législateurs, devraient être soucieux du respect par les juges de la volonté exprimée dans les textes de lois.
Surtout de la part des partis de gauche, ce fut une grande claque dans la gueule. J'avais déjà enduré l'ironie des journalistes concernant mes démarches pour obtenir l'application de ce droit constitutionnel, mais j'espérais que les élus de gauche auraient au moins le souci de préserver un droit constitutionnel fondamental.
Lorsque j'ai contacté le PS et le PCF, je leur ai proposé d'interpeller le gouvernement sur les moyens qu'il comptait prendre pour apporter les précisions qui manquaient aux juges administratifs afin de rendre effectif ce droit constitutionnel. Au Parti socialiste, c'est pour «préserver la compétitivité des entreprises» que l'on m'a justifié le refus de mettre en pratique ce droit constitutionnel. Au PCF, la perspective de revendiquer un droit coutumier des régimes soviétiques paraissait inappropriée, comme s'il y avait urgence à faire oublier l'étiquette "communiste". C'est en m'expliquant que la priorité consistait dans la qualité du travail offert aux salariés que Yves Dimicoli (économiste et dirigeant du PCF) m'a accompagné vers la sortie.
En m'adressant directement à chacun des 69 députés de la Commission des Lois, j'espérais qu'ils seraient davantage sensibilisés à cette question. Je n'ai reçu que deux réponses : l'une du président de la Commission qui accusait réception de mon courrier, et l'autre de J-M. Lagarde qui concevait ce droit comme «un objectif à atteindre et non une obligation». L'essence même du libéralisme...
On peut se poser des questions sur l'état de notre démocratie lorsque les élus eux-mêmes acceptent avec indifférence que les citoyens soient privés de droits constitutionnels fondamentaux. Mais n'organisent-ils pas parfois eux-mêmes cette privation de droits ? Cela ne revient-il pas à supprimer le droit pour les Français de décider par référendum, lorsque les élus se prononcent sur le même sujet dans un sens opposé à ce qui a été décidé par le peuple ?
Et pourtant, ce droit d'obtenir un emploi m'apparaissait comme particulièrement «nécessaire à notre temps», pour reprendre les termes du Préambule de la Constitution.
Lorsqu'à l'ANPE vous vous entendez dire qu'en raison de votre âge (57 ans) vous n'avez aucune chance de retrouver un emploi, c'est votre place au sein même de la société qui est remise en cause. Sachant que d'autres peuvent se voir opposer d'autres critères discriminants comme l'origine sociale, géographique ou l'absence de diplôme, quand ce n'est pas le contexte économique général, on prend conscience combien un droit réel d'obtenir un emploi modifierait profondément la vie de tous ceux qui sont exclus de la possibilité d'avoir une existence sociale décente...
Mais comment revendiquer un tel droit lorsque les médias, les politiques ou la justice se désintéressent de la question ? C'est sur les murs de nos monuments que j'ai décidé de revendiquer mon droit constitutionnel avec cette formule : «ALINÉA 5, un EMPLOI pour CHACUN». Que ce soit sur celui du haut commissariat de Martin Hirsch ou au siège du Parti Socialiste, c'est en grosses lettres que j'avais inscrit cette formule. C'était un dimanche matin aux alentours de 9 heures, sous l'objectif des caméras de surveillance. Mais, dès le lendemain, il n'y paraissait plus rien : bravo aux services techniques de la Ville de Paris pour leur efficacité !
A Fougères, l'inscription est demeurée beaucoup plus longtemps. J'avais choisi les murs de l'ANPE. Ceci m'a valu deux convocations au commissariat de police. Comme, entre temps, j'avais fait la même chose sur les murs de la Cité judiciaire de Rennes, le dossier a été rapatrié là-bas et je devrais bientôt être convoqué devant le tribunal correctionnel de Rennes pour répondre de mon délit.
En d'autres temps, d'autres individus se sont levés pour revendiquer ce qu'ils considéraient être juste. Souvent à leurs risques et périls. En ce qui me concerne, tant que le droit d'obtenir un emploi n'aura pas été officiellement rayé des principes fondamentaux prévus par la Constitution, je continuerai en 2009, année de "crise", à revendiquer ce droit légué par nos ancêtres. N'en déplaise à ceux qui considèrent que le libéralisme sauvage est la seule solution d'avenir.
Jean-Claude BOUTHEMY
NDLR : Cela fait des mois que notre ami Jean-Claude est parti en croisade pour faire valoir ce droit à obtenir un emploi, pourtant inscrit dans le Préambule de la Constitution. Nous avons, sur Actuchomage, relayé ses actions, notamment quand il a saisi les députés et les sénateurs ou quand il a tenté, en vain, de rencontrer le vice-Président du Conseil d’État. Chômeur de très longue durée qui n'a plus rien à perdre, devra-t-il sombrer dans l'illégalité pour que les médias, l'opinion publique et les politiques se penchent enfin sur cette revendication tellement évidente, et qui concerne des millions de Français ?
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