Droit dans ses bottes. Malgré l'envolée du nombre de chômeurs (45.800 supplémentaires en décembre, 206.000 en cinq mois), les prévisions très sombres de la Commission européenne (taux de chômage de 10,6% pour la France dès 2010), Nicolas Sarkozy reste inflexible. La marée montante du chômage, la grève générale et les manifestations ne le feront pas dévier. Lors de l'émission "Face à la crise" du 5 février, il devait faire preuve de pédagogie, expliquer la gravité de la situation, notamment l'ampleur des déficits, justifier sa relance par l'investissement et détailler les réformes en cours. Mais pas de nouveau plan. Pour le gouvernement, l'heure n'est plus aux annonces mais à l'attente des résultats. Le 2 février, à Lyon, avant de détailler ses «1.000 projets» — la mise en musique de la partition à 26 milliards d'euros annoncée en décembre par Nicolas Sarkozy —, François Fillon a martelé qu’«il n'y aura pas de tournant de la politique économique et sociale».
Pour Matignon et l'Elysée, l'important, c'est d'abord d'appliquer ce qui a été décidé. «En cinq semaines, toute une série de mesures ont été annoncées, les plus importantes prises sur l'emploi depuis vingt ans», explique Raymond Soubie, conseiller du président. Ainsi, le contrat de transition professionnelle (CTP) sera étendu de 7 à 25 bassins d'emploi, et la convention de reclassement personnalisée (CRP) sera renforcée afin de mieux indemniser et former les licenciés économiques [ce qui permettra de les escamoter des chiffres officiels de l'ANPE, puisque ces salariés fraîchement virés iront en catégorie 4 — stagiaires de la formation professionnelle — et non en catégorie 1, NDLR d'Actuchomage]. Ensuite, depuis le 2 février, les entreprises ont une possibilité accrue de recourir au chômage partiel : 1.000 heures par an et par salarié, contre 600 auparavant.
Est-ce à la hauteur de l'envolée du chômage ? Pas sûr. «Vu la dégradation de l'activité industrielle, il faut un effort bien plus massif sur le chômage partiel, qui devrait bénéficier à 1,5 million de personnes», lance l'économiste Christian Saint-Etienne. Surtout, les Français risquent d'attendre en vain des résultats rapides du plan de relance. Selon les experts de l'OFCE, «l'impact dans les six prochains mois sera faible, voire nul» à cause des délais d'application des projets. Et l'Elysée continue d'écarter toute relance par la consommation, réclamée par les syndicats et le PS. «En France, les plans de relance par la consommation en 1974 et en 1981 ont tous mené à des plans de rigueur, rappelle Raymond Soubie. Je ne crois pas que les deux tentatives de relance par la consommation à l'étranger — les chèques de M. Bush aux Etats-Unis et la baisse de la TVA en Grande-Bretagne — soient de vrais succès.»
Pas question d'envoyer un chèque aux ménages modestes et/ou aux chômeurs. Pas question d'accroître encore le nombre d'emplois aidés [Encore heureux ! NDLR d'Actuchomage]. Pas question de donner une prime aux employeurs qui embauchent, comme en Grande-Bretagne. Pas question de revenir sur les 30.000 suppressions d'emplois dans la Fonction publique. Que reste-t-il alors comme solution pour stopper la gangrène du chômage de masse ? Challenges a passé en revue les propositions des experts, qui fleurissent avec l'aggravation de la crise.
1. Confier le placement d'une partie des chômeurs aux entreprises d'intérim
[ou La privatisation rampante du service public de l'emploi et le juteux business qui en découle, NDLR d'Actuchomage]
Pour André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS, le constat est limpide : «Les pays qui ont mis en place des réformes structurelles, comme la Suède et le Danemark, s'en sortent bien mieux en temps de crise. Le licenciement y est plus souple, mais l'accompagnement des chômeurs bien meilleur [un conseiller pour 60 chômeurs en Suède, NDLR] et les indemnités des demandeurs d'emploi sont plus fortes et plus longues.» Le problème en France est criant : «Pôle Emploi ne marche pas.» L'organisme qui a fusionné l'ANPE et l'Unedic «est une grosse machine administrative, qui, pour l'instant, n'améliore pas l'accompagnement des chômeurs». Officiellement, un conseiller suit 90 demandeurs d'emploi (130 voire plus, selon les syndicats). Mais, pour cet économiste, il existe malgré tout une solution rapide : «Pôle Emploi devrait faire davantage appel aux opérateurs externes, comme les sociétés d'intérim. Elles n'attendent que ça, sont plus efficaces, plus proches des entreprises. Et les salariés sont en partie rémunérés en fonction de leur capacité à placer des chômeurs.»
Depuis 2005, les entreprises de travail temporaire ont en effet le droit d'aider les chômeurs à retrouver un emploi, moyennant une rémunération versée par le service public de l'emploi. Adecco, Vediorbis et Start People se sont déjà lancés. En décembre, Adecco a même créé une filiale spécifique : Adecco Parcours et emploi (155 personnes). «Sur deux ans, en 2007 et 2008, nous avons suivi 10.400 chômeurs, explique son directeur Franck Yschard. En moyenne, un salarié suit 43 demandeurs d'emploi. Nous avons un contact quotidien avec des dizaines de milliers d'entreprises. Nous sommes un thermomètre très réactif.» En 2008, l'Unedic avait confié 42.000 chômeurs aux opérateurs privés, dont une partie pour les sociétés d'intérim. A partir de cette année, Pôle Emploi leur en confiera 60.000, puis 80.000 en 2010 et 100.000 en 2011. Christian Charpy, directeur de Pôle Emploi, le reconnaissait devant l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis) le 2 février : «Notre force de travail est un peu limitée en nombre [de salariés, NDLR]. Le fait de sous-traiter permet de nous alléger, pour mieux prendre en charge les chômeurs qui sont chez nous.» [Et pourquoi ne pas embaucher des agents supplémentaires à des statuts décents ? NDLR d'Actuchomage]
2. Prolonger la durée d'indemnisation des chômeurs
C'est une idée des économistes de l'OFCE qui, dans une note du 23 décembre, appellent à un second plan de relance. Pour lutter contre «les situations de détresse», ils proposent de prolonger de six mois la durée d'indemnisation des chômeurs à qui il reste moins de six mois d'allocation. Une idée reprise en partie dans le contre-plan de relance du PS pour les fins de CDD et de mission d'intérim. Coût estimé par l'OFCE : 4,2 milliards d'euros. «C'est l'Etat qui paierait la totalité, pas l'Unedic. Car la mesure, pour être rapide et réversible, ne doit pas passer par la négociation entre partenaires sociaux», précise Eric Heyer de l'OFCE.
Sur France 3, le 30 janvier, Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, s'est dit intéressé par cette proposition. De même, le député UMP Frédéric Lefebvre, qui se découvre une fibre sociale, veut lancer le débat : «Je réfléchis à la façon dont vont être indemnisés les fins de droits dès février et avant la mise en place du revenu de solidarité active [le 1er juillet, NDLR]. Il y a urgence, il ne faut pas que ces gens soient propulsés dans l'exclusion et la pauvreté. Les partenaires sociaux, y compris le patronat, que l'on n'entend pas beaucoup, doivent y réfléchir. Sinon, il reviendra à l'Etat de prendre ses responsabilités.»
Le problème, c'est que l'idée n'enthousiasme pas l'Elysée. «L'Etat ne peut intervenir que si trois syndicats exercent leur droit d'opposition au nouvel accord d'assurance-chômage», relève Raymond Soubie. En fait, seules la CGT et FO ont fait opposition au texte négocié en décembre, la CGC ayant décidé, le 2 février, de ne pas les suivre. Dans ce cas, l'Etat «ne peut refuser d'agréer une convention que pour des raisons d'intérêt général. Or, la nouvelle convention améliore la situation puisqu'elle permet de mieux couvrir les jeunes. Ils sont indemnisés au bout de quatre mois de travail, au lieu de six» [ce qui est faux : cette largesse n'est attribuée qu'aux salariés qui s'inscrivent au chômage pour la toute première fois, NDLR d'Actuchomage]. En clair, sur ce sujet, les pouvoirs publics ne bougeront pas, le nouvel accord d'assurance-chômage est suffisant. Même chose pour le chômage des jeunes. L'OFCE propose de mettre en place une prestation individuelle équivalente au RMI pour les chômeurs non indemnisés de moins de 25 ans. Coût : 1,1 milliard d'euros. Mais l'Etat n'a prévu aucun dispositif pour cette population dont le nombre de chômeurs s'est pourtant envolé de 19,5% sur un an (contre 9,9% pour les 25-49 ans).
3. Permettre le report du versement des charges sociales
Limiter le nombre de licenciements en soulageant la trésorerie des entreprises. Tel est le but de cette autre proposition de l'OFCE qui veut permettre aux entreprises en difficulté de ne pas régler tout de suite leurs cotisations sociales (300 milliards d'euros chaque année). Concrètement, ces sociétés verseraient un taux d'intérêt de 5% aux URSSAF et autres organismes collecteurs, et ce taux progresserait dans le temps pour les inciter à rembourser au plus vite. Mais le risque, selon un député UMP, serait de créer un effet d'aubaine pour les entreprises qui ne sont pas affectées par la crise. Pour l'heure, l'Etat a promis de rembourser plus vite ses dettes aux entreprises (TVA, impôts sur les sociétés, crédit impôt recherche…) pour un montant de 11,4 milliards d'euros en 2009.
4. Inciter les entreprises à éviter les licenciements
Plutôt que d'aligner les plans sociaux, Sophie Uettwiller, avocate en droit social, propose à ses clients des astuces pour éviter de licencier. Des solutions assez explosives car elles aboutissent, la plupart du temps, à rogner des acquis sociaux. La première, très utilisée, c'est l'aménagement du temps de travail. «La loi du 20 août 2008 sur la démocratie sociale nous permet des refontes assez importantes des accords sur les 35 heures», explique l'avocate. Une dizaine d'entreprises, dans le luxe, l'hôtellerie-restauration et le commerce, lui ont demandé d'annualiser le temps de travail dès février. Histoire de pouvoir demander à leurs salariés de lever le pied en ce moment et de réaliser davantage d'heures à la fin de l'année… en espérant que l'entreprise se porte alors mieux.
Des entreprises lui demandent aussi de revoir des systèmes de primes en rendant, par exemple, plus restrictives les «primes de présence». «Ce sont souvent de faibles sommes, qui, mises bout à bout, jouent de manière significative sur la masse salariale.» Un exercice cependant délicat, car il touche aux revenus des salariés.
Parfois, même les gros salaires font des efforts, tels les associés du cabinet de conseil Eurogroup. «Alors que l'année 2007-2008 avait été excellente en termes de profitabilité, les 40 associés d'Eurogroup ont décidé d'un commun accord de ne percevoir que 25% du profit en dividendes, les 75% restants venant consolider les fonds propres», note le président Francis Rousseau. Et si la crise empire, un effort sur les sacro-saints bonus sera même demandé aux managers. C'est dire si l'heure est grave.
(Source : Challenges)
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