La crise, tout le monde la redoute en cette période de licenciements massifs, du cadre sup’ à la vendeuse. Mais ce sont bien les ouvriers (salariés et intérimaires) qui en paient le plus lourd tribu, notamment ceux de l’automobile, de la métallurgie et d’une multitude d’autres secteurs industriels. Irrémédiablement, depuis les années 60, la «classe ouvrière» française se réduit comme peau de chagrin. À chaque «choc» (pétrolier, récession, ouverture des frontières, disparition des barrières douanières…), ce sont des centaines de milliers d’emplois ouvriers qui disparaissent.
Relativement épargné jusqu’à maintenant, le dernier bastion de la classe ouvrière française, l’industrie automobile, est en passe de rompre. Les plans sociaux annoncés ces derniers mois concernent très majoritairement les sous-traitants : Faurecia, Bosch, Valeo, Heuliez, Plastic Omnium… qui travaillent pour les grands constructeurs. L’année 2009 devrait se solder par plusieurs dizaines de milliers de destructions d’emplois directs et indirects dans ce secteur.
Qui rêve encore de travailler à l’usine ?
Faut-il se lamenter ou se réjouir de la disparition de cette classe ouvrière souvent victime de conditions de travail pénibles et de salaires aux minima ? Après tout, des générations d’ouvriers se sont battues pour offrir d’autres perspectives professionnelles à leurs descendants que celle de pointer à l’usine. Qui est assez naïf pour croire qu’un métallo, un ouvrier spécialisé ou une petite main du textile envisage avec enthousiasme l’avenir de ses enfants dans les hauts-fourneaux de Lorraine, dans les filatures du Nord ou sur les chaînes de montage de Montbéliard ?
La fermeture d’une usine n’a pas pour seule conséquence le chômage de ses employés : Leurs descendants seront, eux aussi, contraints de bosser ailleurs. Cette évolution forcée semble a priori plutôt bénéfique à celles et ceux qui n’avaient pas d’autres perspectives que de succéder à leurs parents devant la machine outil ou le métier à tisser. Car, immanquablement, ces «chanceux» qui auront échappé à l’usine, devront trouver du travail ailleurs, dans d’autres secteurs moins contraignants, moins harassants, plus valorisants parfois.
Les ouvriers sont-ils à ce point satisfaits de leurs conditions de travail, de leurs salaires et de leurs tâches répétitives, qu’ils seraient prêts à tout pour défendre leur outil de travail ? Non ! La preuve : Quand ils «séquestrent» leurs dirigeants, c’est moins pour s’opposer à la fermeture de leur usine que pour obtenir des conditions de départ plus avantageuses (prime plus conséquente ou formation qualifiante). S’ils avaient pu se passer de leur boulot à l'usine, et faire autre chose, il y a belle lurette qu’ils auraient rendu leur bleu de travail.
Débarrassons-nous définitivement des emplois bêtifiants !
Peut-on déduire de cette «brillante démonstration» que, tout compte fait, cette crise qui conduit à la fermeture des usines françaises, est une opportunité de se débarrasser une bonne fois pour toutes des emplois les plus pénibles, tout en donnant à d’autres la possibilité de sortir du sous-développement et de la misère, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud ?
Dans 20 ans, la France ne sera plus qu’un vaste supermarché où s’échangeront des marchandises fabriquées ailleurs. C’est en bonne voie ! Qu’y a-t-il de plus gratifiant que d’acheter des produits que d’autres s’échinent à fabriquer à la sueur de leur front, à la rugosité de leurs mains, loin de chez nous ?
Les Chinois, les Indiens, les Pakistanais, les Brésiliens… veulent produire toujours plus ? Qu’ils produisent en nombre et pour pas cher surtout ! Nous, nous avons autre chose à faire de nos vies que de trimer à l’usine !
Un monument à la gloire de l’Ouvrier inconnu
Alors, cette crise en est-elle vraiment une ? Ne devrions-nous pas plutôt louer l’éradication de ces emplois bêtifiants, de ces conditions de travail dignes d’un autre âge et de ces salaires au rabais ? Sommes-nous en passe de gravir un nouvel échelon de l’évolution qui, depuis plus d’un siècle, tend à l’amélioration des conditions d’existence et d’espérance de vie ? (Du Alain Minc, du Jacques Attali ou du Marc Touati dans le texte…).
Certes, quelques dizaines de milliers d'ouvriers vont payer au prix fort cette mutation, mais leur sacrifice va délivrer des centaines de milliers d’autres de l’asservissement du travail en usine.
Un jour, nous érigerons un monument à la gloire de la classe ouvrière disparue. Y brûlera une flamme, celle de l’Ouvrier inconnu sacrifié pour la bonne cause : La restructuration de l’économie française et ses corollaires, chômage de masse et précarité. La Patrie reconnaissante !
Yves Barraud
Articles les plus récents :
- 24/04/2009 22:50 - Fête du Travail et Défaite de l'Emploi
- 24/04/2009 15:23 - «On est sur la pente d’1 million de chômeurs supplémentaires»
- 16/04/2009 20:29 - La haine du chômeur est toujours vivace
- 16/04/2009 19:11 - Rétablissement de l'AER : pas avant fin mai
- 16/04/2009 15:17 - 600.000 salariés en chômage technique, l'Unedic à la rescousse
Articles les plus anciens :
- 12/04/2009 05:38 - René Monory : un défunt atypisme
- 11/04/2009 17:47 - Contrats aidés : une politique de l'emploi aberrante
- 11/04/2009 03:07 - Someone's Gotta Go, ou l'obstination du capitalisme américain
- 11/04/2009 00:47 - Enquête BMO 2009 : une dégradation prévisible
- 06/04/2009 19:12 - Le cas Lellouche : Quand l'UMP perd les pédales