Le prêt de main-d’œuvre est très tendance. Des entreprises (Rhodia, Renault, le pôle de compétitivité Minalogic près de Grenoble, STMicroelectronics) l’ont testé, le patronat de la métallurgie, l’UIMM, l’a mis au programme de négociations sur l’emploi.
Officiellement, tout le monde y gagne : l’entreprise qui n’a pas assez de travail pour occuper ses salariés qualifiés mais ne veut pas les perdre, les travailleurs qui évitent le licenciement ou le chômage partiel. L’UMP l’a bien compris : huit députés du parti majoritaire, conduits par Jean-Frédéric Poisson, ont déposé début avril une proposition de loi pour «faciliter le maintien et la création d’emplois». Elle doit être examinée fin mai à l’Assemblée.
Augmenter la flexibilité du marché du travail
Dans la lignée du rapport sur les «tiers employeurs» remis en février au ministre du Travail par Thomas Chaudron, ancien président du Centre des jeunes dirigeants, ce texte propose de répondre à la crise en augmentant la flexibilité du marché du travail : il rend plus attractifs le prêt de main-d’œuvre et le télétravail, et étend les groupements d’employeurs. Ce dernier dispositif était conçu au départ pour permettre à des artisans ou à des agriculteurs d’embaucher ensemble un salarié qu’ils ne pouvaient employer seuls.
Si la proposition de loi est votée, même les très grandes entreprises pourront y avoir recours. Point commun de ces mesures : elles ont pour effet d’accroître la mobilité géographique des salariés et, comme l’explique le texte au sujet du télétravail, de transformer «le lien managérial encore très pyramidal dans les entreprises françaises». Autrement dit, de faire éclater les communautés de travail de l’entreprise, cadre traditionnel de l’exercice des droits des salariés.
L’objectif de cette proposition de loi est clair : certes, elle invoque la «crise mondiale et ses effets sur la restructuration de nos activités et emplois». Mais elle s’appuie aussi sur «la nécessité, crise ou pas, d’accroître la mobilité professionnelle en préservant les droits», en clarifiant des «pratiques actuelles aujourd’hui vécues [par les entreprises] dans une forme d’insécurité juridique». L’insécurité juridique, l’expression désigne ici les risques encourus par les entreprises dont la gestion du personnel frise l’illégalité...
Vers une dépénalisation
Aujourd’hui, le prêt de main-d’œuvre est très strictement réglementé. Il est notamment interdit aux employeurs de prêter des salariés en recherche de bénéfices (c’est le prêt de main-d’œuvre à but lucratif), ou dans le but de priver les travailleurs d’une partie de leurs droits (c’est le délit de «marchandage»). Seules les entreprises d’intérim, très encadrées, peuvent pratiquer le prêt de salariés à but lucratif. «Ce qui est interdit, en principe, c’est la profession de loueur de main-d’œuvre, qui consiste à embaucher des salariés, pour transmettre cette main-d’œuvre à d’autres. Cette prohibition, qui est une des règles fondatrices du droit du travail, date de 1848», en même temps que celle de l’abolition de l’esclavage, souligne Emmanuel Dockès, professeur à Paris-X (Lire son interview).
En pratique, les infractions pullulent avec le développement de la sous-traitance et de l’externalisation des fonctions support et informatique. Des entreprises du bâtiment sont régulièrement condamnées pour avoir mis en place de la fausse sous-traitance. Les SSII (service informatique) sont les championnes toutes catégories du délit de marchandage, des dérives régulièrement dénoncées par l’association d’informaticiens MUNCI.
La crise a bon dos
Malgré ces abus, le prêt de main-d’œuvre est devenu la tarte à la crème des solutions anti-licenciements. Comme Renault ou PSA, Rhodia pratique déjà la mise à disposition de salariés entre ses établissements. Le groupe chimique a voulu innover en proposant aux syndicats de négocier du prêt de main-d’œuvre vers des sous-traitants ou des entreprises extérieures. Devant le refus unanime des syndicats, le projet pourrait réapparaître site par site. «Si Rhodia est en sureffectifs, il y a peu de chance que les sous-traitants soient en meilleure forme», s’étonne Charles Kauffman, responsable CGT chez Rhodia Opérations, qui s’interroge sur l’objectif poursuivi par le groupe. «Le prêt de main-d’œuvre permet en théorie de baisser les frais fixes, et de maintenir le calme dans les entreprises. Mais allons-nous imposer aux entreprises chargées de la maintenance des sites de se débarrasser de leur personnel "volant" pour les remplacer par des Rhodia, et leur faire supporter les suppressions d’emplois ?» Les syndicalistes en sont réduits aux hypothèses, puisque le texte qui leur était proposé ne disait rien quant aux conditions dans lesquelles devaient se faire ces détachements.
Le patronat de la métallurgie (UIMM) carbure aussi sur la question : le prêt de main-d’œuvre figurait au menu des négociations qui ont réuni ces dernières semaines les syndicats de la métallurgie au siège de l’organisation patronale. Dans le texte soumis à la négociation, l’UIMM proposait d’encourager le prêt de main-d’œuvre comme «palliatif au chômage partiel, voire comme un moyen d’éviter les licenciements économiques». Mais, à côté d’une série d’articles encadrant cette pratique, le texte proposait carrément aux syndicats d’aller plaider, avec l’UIMM, devant les pouvoirs publics, pour la dépénalisation du prêt de main-d’œuvre à but lucratif. Au nom de l’objectif, très flou, de développement d’activités «qui nécessitent des partenariats, entre entreprises ou avec des organismes divers, impliquant des apports ou des échanges de compétences». Les syndicats de la métallurgie ont obtenu le retrait de cet article. Demeurent dans le texte des mesures pour promouvoir le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif.
«On voit bien un patronat qui veut développer plus largement cette pratique dans les entreprises, constate la fédération de la métallurgie CGT. D’ailleurs ce thème ne revêt pas un caractère temporaire en tant que mesure d’urgence, il est inscrit à durée déterminée dans l’accord.» Le patronat entend bien profiter de la crise pour faire passer des mutations de fond dans la gestion des entreprises, et dans les droits des salariés.
Lucy Bateman pour L'Humanité
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