Le ministre du Budget Eric Woerth a réuni, mardi 5 mai, quelque 600 contrôleurs dans le cadre d'une "journée spéciale de lutte contre la fraude". «En temps de crise, certains diraient qu'il faudrait lever le pied dans la lutte contre la fraude. Je pense qu'il faut faire exactement le contraire : toute personne qui fraude est une personne qui s'écarte du pacte social qui doit être encore plus renforcé», a-t-il fait valoir.
La lutte contre la fraude fiscale, pourtant si bruyamment invoquée par le président Nicolas Sarkozy à propos des paradis fiscaux lors du G20 de Londres en avril, n'a occupé qu'une petite place dans l'opération médiatique organisée à Bercy : 25 minutes sur trois heures de conférence. Pourtant, 60 à 70% du manque à gagner en est issu : soustraction au paiement partiel ou total de l'impôt via de fausses déclarations ou via l'évasion fiscale. La fraude sociale, qui consiste à échapper au versement des prélèvements sociaux (Urssaf, Unedic…) ou à bénéficier indûment de prestations (CAF, Sécu, chômage…), a un coût moindre. Pourtant, c'est ce type de fraude que le gouvernement a choisi de pointer du doigt.
Combien coûte la fraude fiscale et sociale ?
La fraude à l'impôt et celle qui touche les dispositifs sociaux ont un coût pour les finances publiques estimé à 30 milliards d'euros, a indiqué mardi 5 mai au matin sur I-Télé le ministre du Budget. Le ministre du Travail, Brice Hortefeux, a estimé le même jour sur LCI que la fraude aux prestations et aux cotisations sociales représente un manque à gagner de 5 à 8 milliards d'euros.
La fraude, par définition non révélée, est de fait difficile à mesurer. Ces chiffres avancés par le gouvernement sont issus d'un rapport publié en 2007 par le Conseil des prélèvements obligatoires qui estime le manque à gagner de la fraude fiscale et sociale entre 29 et 40 milliards d'euros, précisant qu'il s'agit d'un montant plancher qui n'intègre ni les irrégularités, ni l'évasion fiscale.
La Commission européenne évalue la fraude fiscale entre 2 et 2,5% du produit intérieur brut (soit 40 à 50 milliards d'euros sur la base d'un PIB à 2.000 milliards d'euros en 2009). Le SNUI (Syndicat national unifié des impôts) l'évalue pour sa part entre 42 et 51 milliards d'euros, des montants à rapprocher des «5 à 8 milliards» de la fraude sociale cités par Brice Hortefeux.
A titre de comparaison, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés ont rapporté un peu plus de 100 milliards d'euros au budget de l'Etat en 2008. A l'heure où les déficits budgétaires et les dettes publiques explosent, alourdis par la crise économique et les mesures des plans de relance, le manque à gagner de la fraude fiscale pour les finances publiques est colossal.
Stigmatiser le RMIste pour faire passer la pilule auprès des classes moyennes
Interrogé sur des informations de presse faisant état de la dissimulation présumée dans les paradis fiscaux de plusieurs centaines de millions par les sociétés du CAC 40, Eric Woerth a répondu mardi sur I-Télé vouloir travailler dans toutes les directions, sans se concentrer particulièrement sur ces entreprises. «Le CAC 40 n'est pas nécessairement un endroit fraudogène, je ne vais pas faire haro sur les patrons, ce qui m'intéresse, c'est la fraude dans son ensemble», a-t-il déclaré, citant notamment la fraude aux Urssaf (cotisations patronales et salariales), à l'assurance maladie, aux caisses d'allocations familiales, ou encore «ceux qui touchent un RMI sur la base de fausses déclarations".
«Si des mesures concernant la petite fraude sociale ont déjà été prises, notamment sur le contrôle des arrêts maladie, on est loin ici de l'ampleur de la fraude organisée grâce aux paradis fiscaux, dénonce Vincent Drezet, secrétaire national du SNUI. En la matière, nous manquons de moyens juridiques et humains. Depuis un an, nous dénonçons ce discours du gouvernement qui pointe du doigt en matière de fraude le RMIste plutôt que la fraude fiscale internationale.»
«L'augmentation de la pression fiscale est une mesure impopulaire mais inévitable en période d'explosion de la dette et des déficits publics, explique Philippe Dessertine, professeur de finances à l'université Paris X-Nanterre et directeur de l'IHFI. Sans aucun doute, l'augmentation va concerner principalement les classes moyennes. Le discours visant à traquer les fraudes des profiteurs pauvres, comme les RMIstes, vise à faire mieux passer la pilule auprès des classes moyennes.»
(Source : L'Expansion)
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