Ce polytechnicien de 43 ans, ingénieur des Ponts et Chaussées, est pourtant venu tardivement à ce qu’il appelle «l’ingénierie du plan social». «D’abord, j’ai travaillé dans la banque, j’ai créé une entreprise d’immobilier, puis une boîte de vente d’informatique à la Surcouf. Enfin, j’ai travaillé pendant un an dans le cabinet d’experts-comptables Secafi Alpha, où j’ai fait de l’expertise de plan social, notamment pour le compte de syndicats.»
En 2004, cet oiseau de proie choisit sa voie : «Beaucoup de managers de transition y sont venus par un concours de circonstances. Moi, j’y suis venu parce que j’aime ça. Les plans sociaux, ce sont des situations qui exigent du manager plus d’intuition que de réflexion, et ça, c’est stimulant», déclare celui qui, dix minutes après, vous explique que son objectif principal est de «déplacer le dialogue avec les salariés de l’intuitif au rationnel». Il se voit comme un «technicien» qui «ne se préoccupe pas de politique», un «assembleur» qui sait jongler entre le social et le juridique, composer avec les syndicats tout en exécutant les ordres de son client.
Une absence totale de sentiment
Luc Bramy a débuté en 2004 à Rennes, chez STMicroelectronics, une usine de 600 salariés alors en plein conflit. «La fermeture de l’usine avait été annoncée en septembre 2003. Rapidement, le directeur des ressources humaines s’est retrouvé dépassé sur des questions de communication et de gestion de la crise, raconte Jean-Marie Michel, ancien délégué CGT. Nous avons alors commencé à croiser des consultants dans les couloirs. Bramy était l’un deux.» En janvier 2004, après un comité d’entreprise houleux, la direction est séquestrée pendant une nuit. «À 3 heures, le DRH, qui avait décidé de rester de son propre chef, a fait un malaise. On ne l’a jamais revu. Et dès le lendemain, Bramy a pris le relais et est devenu DRH», poursuit Jean-Marie Michel.
«Bramy se distinguait par une absence totale de sentiment. Avec lui, ça ne craque pas, impossible d’avoir une emprise», se rappelle le cégétiste. En juin 2004, STMicroelectronics est bloquée pendant une semaine jusqu’à l’intervention de la police. Les employés voulaient alors empêcher le déménagement des machines. «À cette époque-là, le rôle de Luc Bramy était d’épauler le directeur, au propre comme au figuré, car parfois il le tenait littéralement à bout de bras, décrit Jean-Marie Michel. Il utilisait également la communication auprès de la presse, le "storytelling", pour grossir la violence de la lutte.» Réponse de l’intéressé : «Ce conflit était vraiment violent et j’ai été, à plusieurs reprises, à deux doigts de me faire casser la figure !» Quatre ans après les faits, l’ex-délégué CGT juge que son ancien ennemi a gagné cette bataille : «Il a réussi à éviter les actions aux Prud’hommes, c’est forcément un succès pour lui».
Quelques règles d’or...
Après avoir fait un sort à STMicroelectronics, Bramy poursuit sa guerre sans fin ailleurs. En 2006, il s’occupe de «restructurer» Wagon Automotive, une lutte où il observe de près «des syndicats hyper bien organisés». Car c’est l’une de ses «règles d’or : analyser le terrain, bien connaître les leaders d’opinions et établir des axes de dialogue clairs avec eux». Autre «règle d’or» : «Si une grève dure plus de trois jours, vous êtes mal…» Pourquoi trois jours ? «Au bout de trois jours, les grévistes ont beaucoup perdu et veulent absolument quelque chose en échange de la reprise du travail. C’est donc dès les premières heures qu’il faut leur retirer les raisons de faire grève.»
Mais cette année, lors de sa dernière mission, Luc Bramy s’est cassé les dents. En février dernier, près de Lorient, l’équipementier automobile SBFM, où il œuvrait de nouveau comme directeur des ressources humaines, a été bloqué par ses ouvriers pendant plus d’une semaine. «En novembre, un intérimaire, qui était passé par STMicroelectronics avant de venir chez nous, a reconnu Bramy à la cantine», raconte René Le Bourvellec, délégué CGT à la SBFM. «Cet intérimaire est venu nous voir en poussant des cris d’horreur, il nous a dit : "Si ce type est là, c’est qu’il va y avoir de la casse chez vous !" Grâce à ça, on a été au courant de ce qui se tramait avant que le plan social soit annoncé.»
L’important, c’est de ne pas reculer
Luc Bramy s’en défend : «Je me suis fait diaboliser d’entrée de jeu. Alors qu’au départ j’étais embauché pour créer une DRH France !» Quoi qu’il en soit, Luc Bramy se retrouve rapidement à faire ce qu’il sait faire le mieux : gérer un plan social. En février, le manager est accueilli au CE de la SBFM par des pluies d’œufs et une flopée d’insultes. «Mais il a quand même eu les couilles de venir alors que le reste de la direction s’est débiné», lui reconnaissait ce jour-là un membre du service d’ordre de la CGT. «Il faut avoir l’habitude de ce genre de situation et savoir dominer sa peur, estime Luc Bramy. L’important, c’est de ne pas reculer, pour passer le cap qui sépare la phase de licenciement de la phase de reclassement. Ma spécialité, c’est plutôt la première phase, et je ne recule jamais.»
Aujourd’hui, Luc Bramy est toujours DRH du groupe Zen, propriétaire de la SBFM. Mais, avec le reste de la direction, il a été désavoué par l’administrateur judiciaire et les syndicats. «C’est simple, nous refusons de nous asseoir à la même table de négociation que lui», tranche René Le Bourvellec. Sa marge de manœuvre réduite à rien, la mission de Luc Bramy tire donc à sa fin. Bientôt, il changera d’employeur et repartira poser ses valises, à proximité d’une autre usine. Car, «comme beaucoup de consultants, je passe ma vie à l’hôtel». Mais cet homme n’a pas d’inquiétude pour l’avenir : «La crise, j’adore ça. Cela crée plein de situations compliquées qui nécessitent un spécialiste».
Mehdi Fikri pour L'Humanité
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