C’est le retour du débat sur le travail le dimanche. Au mois de janvier, le gouvernement avait décidé de reporter l’examen d’un texte sur le sujet, plombé par le dépôt de milliers d’amendements socialistes, mais aussi par une vive polémique au sein même de la majorité.
INTOX. Dimanche dernier, sur l’antenne d’Europe 1, Brice Hortefeux, ministre du Travail et des Affaires sociales, a annoncé que le sujet reviendrait sur la table dès juillet avec l’examen d’une proposition de loi. Au passage, le ministre en a profité pour ressortir les arguments en faveur d’un assouplissement de la législation, parmi lesquels la «complexité» des règles actuelles. Brice Hortefeux a ainsi prétendu : «Une des raisons pour lesquelles nous devons évoluer, c’est qu’il y a des décisions judiciaires d’une complexité absolue… Comprenez-moi bien, sur un côté des Champs-Elysées, les touristes étrangers et français ne peuvent pas faire leurs courses. C’est d’une stupidité absolue.»
DÉSINTOX. L’avenue des Champs-Elysées, hémiplégique le dimanche ? Ouverte d’un côté et fermée de l’autre ? Ce serait peut-être d’une «stupidité absolue», comme le dit Brice Hortefeux, si c’était vrai... Comme d’autres lieux de la capitale classés par la préfecture «zones touristiques à affluence exceptionnelle» (la rue des Francs-Bourgeois, dans le Marais, ou une partie du boulevard Saint-Germain), les Champs-Elysées bénéficient d’un régime spécifique autorisant, le dimanche, les activités culturelles et de loisirs. Le Virgin Mégastore, la Fnac sont ainsi autorisés à ouvrir le dimanche. Les enseignes de textile sportif sont également ouvertes au titre de leur activité de «loisir», mais pas celles de luxe ou de prêt-à-porter, de vente de parfums (Sephora) ou de café (Nespresso). Ainsi, le pauvre Louis Vuitton, qui avait bénéficié d’une dérogation en 2005 pour ouvrir son magasin des Champs-Elysées, vient de se voir, à la mi-mars, prier de fermer ses portes le dimanche par le Conseil d’Etat. La règle n’a donc rien à voir avec les trottoirs : on trouve d’ailleurs des magasins ouverts le dimanche de part et d’autre de la plus célèbre avenue du monde.
Où donc Brice Hortefeux est-il allé chercher cette démonstration foireuse ? Chez Nicolas Sarkozy lui-même. Partisan de longue date d’une libéralisation du travail du dimanche, le Président a fait campagne sur ce thème tout au long de l’année dernière. Et la plupart de ses plaidoyers pour le travail dominical étaient assortis de cette anecdote sur les trottoirs des Champs-Elysées. Avec force effets comiques (il existe sur le Net d’amusantes compilations de toutes ses sorties sur le sujet), le Président brocarde l’absurde administration française qui autorise les ouvertures sur un trottoir et pas un autre, les «techniciens» qui ont «imaginé un truc pareil». «C’est fantastique»,«c’est incroyable», «c’est quand même extraordinaire», raille-t-il. Le 28 octobre 2008, à Rethel (Ardennes) lors de son discours pour l’emploi, il revient encore sur le sujet : «Sur les Champs-Elysées, ils ont trouvé le moyen de mettre un trottoir en zone touristique et un qui ne l’est pas. Il y a un trottoir où on a le droit d’être ouvert le dimanche et l’autre où ce n’est pas possible. Je vous assure que cela fait drôle quand on vient de l’étranger. On se dit, mais qui c’est celui qui a pensé à ça ?» A chaque fois, l’auditoire rit de bon cœur. Et tant pis si le propos est tout à fait fantaisiste.
Sarkozy a fini par être corrigé (Libé du 10 novembre 2008), mais il a tout de même eu le temps de caser pas moins de six fois son anecdote dans différents discours en 2008. Autant d’occasions pour les Français - et Brice Hortefeux - d’entendre l’ânerie. Pour mieux la répéter aujourd’hui.
(Source : Libération)
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