Pendant la crise du libéralisme, non seulement la libéralisation à outrance de la société continue, mais elle s’accélère ! Soigner le mal par le mal, en quelque sorte, en profitant du bouleversement que crée la situation dans l’opinion. (C’est ce qu’explique à merveille Naomi Klein dans «The Shock Doctrine»…)
La crise économique, nous sommes en plein dedans. Personne ne sait jusqu’à quand, et surtout pas ceux qui hasardent contre rémunération des pronostics à la télé, l’air pontifiant, plissant le front pour avoir l’air plus sérieux.
La vérité c’est qu’hormis ceux des fonctionnaires, la plupart des emplois sont aujourd’hui menacés. Et que fait le gouvernement ? Diminuer les emplois de fonctionnaires, bien sûr... Mais encore ? Il pourrait faire d’une pierre deux coups et se lancer à fond dans le remplacement des emplois obsolètes (typiquement dans l’automobile) par les emplois de demain (dans l’environnement, les transports en commun, les énergies nouvelles, l’agriculture bio…), constater qu’il n’y a plus assez de travail forcené pour tout le monde et en imposer le partage, ou encore se poser des questions sur la «centralité de la valeur travail» chère aux objecteurs de croissance, et sur le sens de la vie en général.
Mais non. Ce serait se faire des illusions sur les capacités d’innovation de ces gestionnaires du libéralisme à la petite semaine. Donc, pour lutter contre le chômage, yaka confier ça à des entreprises privées, ça créera des emplois. C’est ce qu’a annoncé le grand (essentiellement par la taille) Laurent Wauquiez.
Fabuleux : quelques mois à peine après avoir créé le Pôle Emploi, fusion de l’ANPE et des Assedic, mission dont les détails ont été confiés à deux prototypes du libéralisme anglosaxon — Mac Kinsey et Accenture (ex Andersen Consulting, ceux qui ont coulé Enron) —, le gouvernement doit reconnaître son incapacité à gérer la situation. Ou, plus probablement, profite de la confusion de la situation pour pousser l’avantage du privé.
Cette forfaiture n’est pas tout à fait nouvelle puisque la délégation au privé est expérimentée depuis 2005, mais à petite échelle (46.000 chômeurs en 2007 et 2008), et il est bien évident que dans l’esprit des drogués du libéralisme qui en ont eu l’idée, elle a pour vocation d’être poursuivie, amplifiée, puis généralisée !
Des ouineurs du privé au chevet des chômeurs...
Parmi les noms des sociétés pressenties pour faire ce sale boulot, deux noms m’interpellent :
Adecco (et sa filiale Altedia) : c’est carrément fort de café. Adecco le leader mondial de l’intérim, symptôme de la dégénérescence du monde du travail. Il y a 40 ans, l’intérim n’existait pas en France. Puis il a démarré, la loi ne faisant que s’adapter a posteriori à une situation de fait. Et les garde-fous encadrant l’emploi d’intérimaires, imposés pour éviter les dérapages, ont tous sauté. Désormais, l’interim est entré dans les mœurs, dans les entreprises, à tort et à travers... Avec pour résultat la précarisation du monde du travail, le salaire et la vie au jour le jour. Et le constat, implacable : aux premiers symptômes de crise ou de baisse d’activité : pfuitt ! Ce sont les intérimaires qui dégagent les premiers.
Voir Adecco, qui a vu s’envoler une partie de son gagne-pain depuis un an, venir désormais tenter de continuer gagner de l’argent sur le dos de ses ex-intérimaires désormais chômeurs, est assez pitoyable.
Ingeus : encore plus fort ! C'est une société… australienne ! La mondialisation est décidément fascinante dans son absurdité. Les témoignages recueillis à son sujet lors des phases d’expérimentation sont éloquents : ici ou encore là.
Si on résume, des cabinets privés avec des «conseillers» encravatés, dynamiques, motivés, branchés, positifs, proactifs, performants, «committed» et commissionnés, tout frais émoulus d’une école de ouineurs, qui n’auront pour horizon que les milliers d’euros qu’ils toucheront à chaque fois qu’ils placeront un pauvre bougre dans un boulot de nettoyage à mi-temps à deux heures de chez lui. Rien à voir avec les fonctionnaires vermoulus du Pôle Emploi !
Reste tout de même à comprendre comment une société privée pourrait obtenir de meilleurs résultats que le Pôle Emploi, alors que le nombre de chômeurs continue à augmenter de manière affolante pendant que les offres d’emplois se raréfient au rythme de la banquise au Pôle Nord.
La réponse est évidente, on a déjà pu en voir le résultat dans d’autres domaines, ici ou ailleurs, que ce soit dans la gestion de l’eau, les transports ou la santé. Il n’y a pas de secret : une société privée dont le seul but est de faire du fric n’a que faire de l’avenir et des états d’âme d’un chômeur : seule compte la rentabilité qu’elle espère en retirer.
Je termine par un simple copier/coller de fin de l’article du Monde, éloquent :
«Du côté syndical, l’annonce passe mal. Sylvette Uzan-Chomat du bureau national de la SNU-(FSU) du Pôle emploi y voit une "réponse extrêmement coûteuse" à l’arrivée d’un surplus de chômeurs. Selon Mme Uzan-Chomat, un dossier traité par un opérateur privé était facturé "4.500 € – du temps de l’ANPE – contre 780 s’il avait été traité par le service public". Le SNU aurait préféré qu’un "véritable service public de l’emploi" soit mis en place pour "faire face à une crise économique sans précédent"».
4.500 € contre 780 ! Près de six fois plus ! Le chômeur a la cote, et l’idéologie est parfois hors de prix !
(Source : Le blog de SuperNo)
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