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Accueil Mobilisations, luttes et solidarités Les experts des 35h se lèvent plus tôt que toi

Les experts des 35h se lèvent plus tôt que toi

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Ta gueule, le salarié, t'y connais rien au travail : le boulot c'est le bonheur, travailler plus c'est incontournable et puis tu vas gagner plus (en estime de toi, parce que niveau thune c'est… enfin… Mais bon, ta gueule).

C'était, en synthèse, le message véhiculé dans un style mi amphigourique, mi oui-oui t'apprends la vie entre 7h30 et 8h00 sur les ondes de RTL et RMC squattées par le duo Hervé Novelli/Jean-François Copé, respectivement secrétaire général adjoint et secrétaire général de l'UMP.

Rebondissant sur la polémique lancée sur le dos des travailleurs par Manuel Valls, name-brandeur en quête de gloriole appelant à "augmenter la durée légale du travail", les deux compères ont prêché la parole libérale, moralisatrice et coercitive, truffée de ses contre-vérités et énormités assénées avec le genre de bonhomie décontractée qui vous ouvre désormais, avec vaseline et tapis rouge, la porte des médias.

Sujet de l'offensive : en finir avec les 35 heures. Merci Manu d'avoir respecté le timing de cette campagne de promo avec ta super bande-annonce. Il est vrai que si tu avais conclu (sur la base des statistiques de l'OCDE et d'Eurostat en 2009) que les Français travaillant plus que les Allemands (que tu prends pourtant en exemple) avec une productivité horaire supérieure (preuve qu'ici la thune va ailleurs que dans la poche du travailleur) en rappelant qu'il y a, au minimum, chez nous 5 millions de chômeurs et qu'il nous faudrait donc plutôt passer aux 32 heures : ta vanne aurait probablement eu moins d'écho.

Revenons à nos experts de droite en gestion morale de l'effort d'autrui.

7h40. Hervé Novelli sur RMC. Incompétence, obsolescence mentale et ravissement permanent : Novelli, c'est le Géo Trouvetou de l'UMP. L'auto-entreprise, c'était déjà lui. Il a été mandaté, avec Gérard Longuet, par Jean-François Copé pour prendre la tête d'un comité de réflexion cherchant des pistes pour mettre fin aux 35 heures.

Novelli décline l'argumentaire standard : il faut qu'il y ait débat, et qui dit débat dit solutions. Ça tombe bien, il est là pour ça. «Aujourd’hui, il y a 22 milliards d’euros par an d’allègements de charges» payés par l'Etat en compensation pour les entreprises qui «représentent une perte de compétitivité pour l'économie française». Vu que la France est l'un des pays les plus productifs du monde voire le plus productif, c'est que le problème de la croissance doit se situer ailleurs, non ? On connaissait la propension de la droite pour prioritairement financer les milliards de cadeaux fiscaux accordés au Medef grâce à la ponction sur salariés, voici son autre variable d'action face à la baisse du pouvoir d'achat du salarié : ne pas lui faire perdre ses journées à dépenser un argent qu'il ne gagne pas, en le consignant plus longtemps au travail. CQFD.

HERVÉ NOVELLI
«On va faire un certain nombre de préconisations. Ce que je souhaite, c'est l'idée de relancer le dialogue social en France. Et que dans les entreprises et les branches on négocie. Ça se fait quasiment partout en Europe, voila la réalité. Ce ne sera plus une durée légale mais une durée conventionnelle.»

La droite aurait soif de "dialogue social" ? En décodé : elle veut faire sauter le dernier verrou (avant le salaire minimum, l'autre barrière). Éclater la norme commune. En finir avec la durée légale, non pas tant pour la durée en question (dans moult secteurs, on ne compte plus en heures mais en objectifs — d'où la multiplication dans mon entourage des "cadres" sur-stressés à 1.800 euros qui touchent 20 euros de prime pour 120.000 euros de CA généré) mais, sur fond idéologique de mérite au travail, pour diviser les corps de métier, isoler le travailleur (auquel on ne cesse de répéter qu'il lui faudra sans cesse changer de métier, se réinventer, travailler de nuit et se délocaliser, pourquoi pas), éparpiller les traitements et empêcher les conditions d'union dans la réaction (chacun s'accrochant à son cas particulier). A noter la similarité avec l'auto-entreprise : chacun devient le concurrent de l'autre, tous béatement épanouis par un labeur acharné le plus prenant possible au niveau horaire et transport, le plus longtemps possible au niveau des années. Dans cette optique, le salaire compte moins que l’effort pour en décrocher un. No pain, no gain. Ce que Copé confirmera par la suite. Gérard Longuet annonçait déjà la couleur en décembre dernier, en déclarant au Monde qu'il fallait que le salarié français travaille plus pour le même prix (et bref que c'était ça ou sortir de la zone euro : ce qui est supposé me terrifier).

Dans cette vision neo-con, tes heures supplémentaires ne seront plus payées en tant que telles et tes RTT «seront progressivement apurées», comme l'esquisse pudiquement un Novelli auquel Jean-Jacques Bourdin rappelle qu'il a peut-être un chouilla oublié "le salarié" dans son équation des winners.

Novelli s'en tape. Quand on lui parle "salarié", il répond économie pour "le contribuable" (on est à l'UMP, merde, le parti des golden-retraités et des rentiers, bref une confrérie idéologique où dirigeants et électeurs ont bien saisi, pour eux, les bénéfices à tirer du travail des autres).

Hervé Novelli précise que la nouvelle durée légale ne pourra pas dépasser le plafond fixé par l'Union Européenne de «44 heures» (c'est 48) par semaine. Comme Novelli a précisé que sa redéfinition de la durée légale suit le «mouvement» global de l'UE, voila qui laisse le champ libre pour d'autres améliorations si un des pays opte pour les 70 heures.

Voilà qui doit ravir le salarié sur le chemin du boulot (mais un opportun sondage nous certifie qu'il est heureux ainsi). Au cas où il n'aurait pas emmagasiné les conditions pour son émancipation améliorée, Jean-François Copé passe la deuxième couche cinq minutes plus tard sur RTL.

Reprise de l’argument d’inéluctabilité d’"il fallait qu'il y ait ce débat" et du poids pesant sur les finances publiques. Notons au passage l’élément de langage de la matinée : «L'Etat paye pour travailler moins et pour travailler plus» (tandis que la salarié, ce gros feignant, lui, se tourne les pouces). Rappelons à toutes fins utiles qu'un Français sur deux n'a pas le luxe de gagner assez pour payer des impôts sur le revenu (et que, là dedans, il y a un paquet de salariés) et qu'au pays des "contraignantes" 35 heures, il est de moins en moins rare de se voir offrir un contrat de travail de 8 heures !

Copé s'en tape aussi. Reprise du "c'est intenable pour les entreprises car cela leur coûte en com-pé-ti-ti-vi-té". Je te renvoie aux statistiques du dessus : c'est faux. Et suivant cette logique, quelle serait la prochaine étape ? Va t-on devoir aussi s'aligner sur le salaire minimum chinois dix fois inférieur au nôtre ? L'hypothèse a déjà ses adeptes chez la crème des penseurs français, Jacques Séguela et Pascal Nègre.

Copé décline sur l'axe moral du travail et compare "la question" (tellement taboue qu'on en parle sans cesse) des 35 heures avec celle de la burqa (bien que dans la façon de ramener un faux problème sur le devant de la scène, il y ait une certaine similitude).

JEAN-FRANCOIS COPÉ
«C'est [les 35 heures] intenable pour le mental de notre pays, car cela donne un rapport au travail qui est aussi à intégrer dans les explications que l'on pourrait donner sur le sondage sur le moral et sur le pessimisme des Français pour le pays. Cela veut dire que lorsqu'on est plafonné sur la perspective du travail, on ne voit pas l'avenir de la même manière.»

En philosophie néo-libérale, ton pessimisme (là où tu es joyeux d'aller au boulot dans un autre sondage, va comprendre) n'est pas du à la stagnation de ton salaire, ni à l'envolée des prix et des taxes, ni au dynamitage de ta retraite, ni même à ton absence totale de revenus pour cause de gros chômage chronique, mais bien au fait que tu ne turbines pas assez au boulot. Quant à la deuxième partie de la phrase, je ne peux, à titre personnel, que confirmer : sortir du salariat (paradis de l'empapaouatage) te rend plus heureux.

JEAN-MICHEL APATHIE
«Est-ce qu'on peut envisager de demander aux Français de travailler plus sans les payer plus, au même salaire ?»

JEAN-FRANCOIS COPÉ
«A moyen terme, non... A court terme, c'est inéluctable.»

Oui, tu as bien lu. Nous entrons dans une nouvelle dimension de l'UMP (sonde test d'un possible argument de campagne pour 2012) : celle du travailler plus pour gagner moins. Rien de neuf, si ce n'est que c'est totalement assumé. C'est aussi ça la droite décomplexée. Et pourquoi ? C'est simple, Copé lâche l'argument exogène et indiscutable, supposé dessiner une perspective de sortie alors qu'il est juste le prétexte du double exposé matinal :

JEAN-FRANCOIS COPÉ
«Je pense qu'aujourd'hui, la crise mondiale commande qu'on aille plus loin.»

Et Apathie de conclure...
«On parlera des 35 heures toute l'année 2011.»

Enlevé c'est pesé.

A gauche comme à droite, cette "fin des 35 heures" est d'abord une opportunité pour les challengers de faire parler d'eux. Il reste stupéfiant que des "ténors" socialistes peinent à revendiquer que la diminution du temps de travail est le dernier véritable progrès social français, une conquête logique pour un pays arrivé à un niveau de développement qui permettrait à ses citoyens de, théoriquement, vivre décemment.

A droite, ce martèlement du "toujours plus loin" sur fond de "shock doctrine", aussi grossière soit-il, doit alerter. La remise en cause des 35 heures n'était pas au menu du Monarque, pas plus que ne l'était, il y a 3 ans, la réforme des retraites.

Pour le reste, il va falloir en finir avec ce mythe persistant, au pays de Candy comme dans tous les pays, prétendant que l'augmentation des heures de travail accroît la richesse du salarié. A titre d'exemple, le travailleur grec bosse à l'année 25% de plus que le Français est sa situation économique est si resplendissante... qu'on lui demande de travailler plus pour encore moins.

Manuel, Hervé et Jeff connaissent pourtant le préambule du "Que sais-je ? Le monde de l'entreprise" : faire du profit, dégager de la marge. Si tu n'as pas de loi pour contraindre cette logique, le travailleur finit par bosser 90 heures par semaine pour un quinzième de Smic.

Travailler plus ne garantit qu'une chose : travailler plus.

Seb Musset - Les jours et l'ennui

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Mis à jour ( Lundi, 10 Janvier 2011 04:50 )  

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