C'est un rapport récent du Conseil d'analyse économique, intitulé "Refonder le droit social" (!!!), qui le préconise. Les auteurs, Gilbert Cette, professeur d'économie à l'Université de la Méditerranée, et Jacques Barthélemy, avocat-conseil en droit social, avaient déjà publié en 2010 un rapport préconisant plus de "fléxicurité" dans le droit du travail français, notamment en accordant un primat aux accords d'entreprise sur les conventions collectives de branche. En 2008, Gilbert Cette s'était également illustré dans un rapport sur les bas salaires qui s'opposait à la revalorisation du Smic. Le credo est le même dans la mouture de 2011.
L'idée d'autoriser des baisses de salaires est en revanche nouvelle. Les deux experts s'appuient sur l'exemple… de l'Allemagne, qui dispose d'un cadre plus souple en matière de contrat de travail. Entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009, le produit intérieur brut français s'est deux fois moins contracté que le PIB allemand (3,5% contre 6,5%), note le rapport. En revanche, l'emploi et le chômage sont restés stables outre-Rhin tandis que la France perdait 500.000 emplois, souligne-t-il. Cet écart d'ajustement sur le marché du travail s'expliquerait en partie par un recours plus important au chômage partiel outre-Rhin [1].
Mais selon les économistes du CAE, la principale raison est la mise en oeuvre en Allemagne "d’accords collectifs d'entreprises permettant, contre des garanties de maintien de l’emploi, des baisses transitoires de la durée du travail et des salaires". "On peut légitimement se demander quel a été l'ajustement le plus protecteur des salariés : la flexibilité transitoire et conventionnellement décidée des salaires et de la durée du travail associée au maintien de l'emploi observée en Allemagne, ou les destructions d'emplois associées à la rigidité à la baisse des salaires observées en France", interroge Gilbert Cette.
Les salariés sont-il prêts à ces sacrifices ?
En France, il y a déjà eu des précédents. En 2004, Bosch avait poussé les salariés de son usine de Vénissieux, sous la menace d'une délocalisation, à accepter de travailler 36 heures payées 35, de renoncer à leurs primes et de voir leurs salaires bloqués pendant trois ans. Plus récemment, les salariés de GM à Strasbourg et de Continental en Midi-Pyrénées ont également accepté de sacrifier une partie de leurs RTT, de leurs primes et de geler leurs salaires en contrepartie du maintien de l'emploi [2].
Les cas de baisse pure et simple des salaires sont plus rares. "De tels accords peuvent s'incorporer au contrat de travail en Allemagne, ce qui n'est pas le cas en France, le salaire étant un élément substantiel du contrat de travail qui ne peut être abaissé qu'avec l'accord individuel du salarié", souligne le rapport du CAE. Les deux auteurs suggèrent donc aux partenaires sociaux de négocier un accord national interprofessionnel qui définirait les conditions dans lesquelles ces procédures à l'allemande pourraient entrer en vigueur dans l'Hexagone.
Ce texte préciserait les éléments du contrat de travail susceptibles d'être temporairement modifiés par un accord d'entreprise (durée du travail et salaires, par exemple). Il fixerait les conditions pour y recourir (baisse durable de l'activité ou menace de faillite), l'ampleur et la durée des concessions, et bien sûr les contreparties (embauches et/ou maintien de l'emploi). Transposé dans le code du travail, cet accord interprofessionnel s'appliquerait à chaque salarié. Il entrerait ensuite en vigueur via un accord entre l'entreprise et les représentants syndicaux majoritaires.
Sauvegarde de l'emploi, ou régression sociale ?
Sans surprise, côté patronal, la proposition est plutôt bien accueillie. Le Medef n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet, mais l'UIMM et la CGPME sont ouvertes au débat. "Nous sommes favorables à l'approche du CAE", déclare Jean-François Pilliard, délégué général du puissant syndical de la métallurgie, dans un article paru dans Le Monde daté du 4 mai. "Pourquoi pas ?", indique au quotidien Geneviève Roy, vice-présidente du syndicat patronal des petites entreprises.
Côté syndical, les réactions sont plus contrastées. "Quand une entreprise est en difficulté, la question de la préservation de l'emploi en contrepartie d'une baisse des salaires se pose souvent, relève Marcel Grignard, secrétaire général adjoint de la CFDT. Nous sommes favorables à cette proposition mais sa mise en oeuvre doit se faire dans le cadre d'un accord national entre les partenaires sociaux et surtout sous certaines conditions, comme de ne pas toucher au Smic ou d'interdire cette possibilité aux entreprises qui ont versé des dividendes massifs à leurs actionnaires", précise le syndicaliste [3].
La CGT, en revanche, est clairement opposée. "Au nom d'une liberté contractuelle vis-à-vis du droit du travail, on légalise le dumping social, s'irrite Michel Doneddu, secrétaire confédéral. Les entreprises pourront en effet se lancer dans une concurrence sur les coûts de la main d'oeuvre, faisant fi des accords collectifs. C'est une régression sociale !"
(Source : L'Expansion)
NDLR : [1] Ces "experts" négligent totalement l'impact du dynamisme démographique sur le chômage : tandis qu'en France la population active ne cesse d'augmenter, en Allemagne elle baisse fortement. Les deux situations ne sont donc, une fois de plus, pas comparables ! De même, ces "experts" occultent la progression de la précarité et de la pauvreté outre-Rhin depuis dix ans, sacrifices qui ont permis ce "miracle allemand" => Lire en commentaires.
[2] A noter que pour tous ces salariés, les sacrifices ont été vains puisque leurs emplois n'ont pas été sauvés.
[3] Par cette déclaration, la CFDT prouve une fois de plus qu'elle est un syndicat au service du patronat, donc qui ne défend plus les salariés (et encore moins les chômeurs à l'Unedic).
Et pour finir, on est en droit de se méfier des mesures régressives d'abord avancées comme "temporaires" ou "transitoires" et qui, au final, deviennent définitives.
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