Voyez le bel économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques affirmer sur Arte, à la 14e minute de l'émission qui en dure 28, que le taux de chômage des jeunes est largement surévalué. Pourquoi ? Parce qu'il prend en compte l'entièreté de la tranche d'âge des 16-25 ans… dont la majorité sont toujours étudiants et non en recherche d'emploi. Du motif et de la persistance de cette remarquable erreur de calcul, Eric Heyer ne dira rien (alors qu'elle n'est pas innocente, comme nous allons le voir…) et, comme d'habitude à la télévision, chacun éludera ce pavé dans la mare. Eric Heyer poursuit, estimant la proportion des actifs sans emploi dans cette classe d'âge à 8%, soit un peu en-dessous de la moyenne européenne, la durée des études ayant tendance à retarder leur arrivée dans le monde du travail. Conclusion : pour lui, le chômage des jeunes n'est absolument pas une particularité française.
Il n'est pas le seul à le dire. Dommage qu'il arrête là sa démonstration...
Un mensonge d'Etat
Cela fait des années que l'économiste et sociologue Bernard Friot conteste la véracité du phénomène, et va plus loin. Bernard Friot considère que le chômage des jeunes est un «bobard démographique» qu'on nous martèle depuis trente ans en vue d'instaurer un abaissement continu du salaire d'embauche (il a en effet diminué de moitié depuis la fin des années 80) qui participe à l'interruption de la progression salariale, et donc à la baisse généralisée des salaires et des droits de tous => Écoutez-le ici chez Daniel Mermet (6/11)
Pour lui, 70% des 16-25 ans qui ne sont pas au travail sont toujours à l'école et seuls 30% des jeunes actifs sont véritablement au chômage. Donc, 30% de 25%, ça fait 7 à 8% : des propos qui corroborent ceux d'Eric Heyer.
Bernard Friot dénonce le «chômage des jeunes» en tant que mensonge d'état, construit de toutes pièces selon une dynamique propre au capitalisme. Cette imposture a patiemment visé au nivelage par le bas du salaire d'embauche grâce à l'invention d'un «problème des jeunes» sur le marché de l'emploi et à diverses manières de le «résoudre» via des dispositifs d'insertion professionnelle au rabais (comme les "emplois jeunes" successifs, le récent "service civique" ou les scandaleux stages en entreprise…), censés sauver cette génération de l'inactivité tout en la jetant dans l'exploitation, la précarité et la pauvreté. De la même façon que d'innombrables dispositifs ont été créés pour l'ensemble des chômeurs au nom du «c'est mieux que rien» (PPAE et ORE, contrats aidés, EMTPR…) afin de réduire leurs prétentions et leurs droits.
Car, on le rappelle, le chômage de masse (et son corollaire, la précarisation de l'emploi) est un fabuleux outil économique visant à tirer vers le bas l'ensemble des rémunérations — les chômeurs en savent quelque chose, puisque rares sont ceux qui réussissent à retrouver un boulot offrant le même niveau de salaire que celui qu'ils ont perdu tandis que le Smic est devenu la norme… —, sans oublier la dégradation généralisée des conditions de travail et des acquis sociaux. C'est pourquoi on le redit : en réalité, le chômage est une aubaine, il est voulu et organisé, et les solutions proposées pour faire semblant de lutter contre lui n'ont eu pour objectif que de dévaloriser le travail et affaiblir le salariat.
Le chômage des seniors devient, lui, un véritable fléau
Les chiffres sont têtus. Alors que, fin août, le nombre des moins de 25 ans inscrits dans les catégories ABC de Pôle Emploi s'éleve à 677.100 (+8% sur l'année) et que leur durée moyenne d'inscription est stable à 144 jours, celui des plus de 50 ans inscrits dans ces mêmes catégories s'élève à 946.300 (+16% sur un an), sans oublier les 111.500 seniors "dispensés de recherche d'emploi" (DRE) non catégorisés, tandis que sur un an, leur durée moyenne d'inscription a augmenté de 26 jours pour atteindre 412 jours. Selon la Dares, 60% des chômeurs de 55 à 64 ans sont sans emploi depuis un an et plus, et leur nombre a explosé depuis 2008 (+84%).
Aujourd'hui, au faux «problème des jeunes» succède symétriquement un vrai «problème des vieux», à qui on a aussi proposé des emplois au Smic exonérés de cotisations sociales (contrats aidés, contrats de professionnalisation "adulte", "CDD senior", "zéro charges senior"…) — car il vaut mieux se faire exploiter dans un petit boulot que de rester au chômage, n'est-ce pas ? — afin d'arriver péniblement jusqu'à la retraite, sans cesse repoussée. Mais, pour l'instant, François Hollande semble ne pas se focaliser sur eux, ce qui, quelque part, est un mal pour un bien : toute nouvelle action publique prétendue en leur faveur consisterait à aggraver leur cas, et celui de tous.
En instaurant un problème générationnel sur le marché de l'emploi (jeunes, vieux) et en y segmentant les populations exclues (handicapés, chômeurs de longue durée…) afin d'initier pléthore d'actions publiques de «réinsertion professionnelle» qui ne profitent qu'aux employeurs, nos gouvernements successifs ont participé à la généralisation de la modération salariale entrée en vigueur depuis les années 80, quand la part des salaires dans le produit intérieur brut a chuté de 10 points au bénéfice du pouvoir actionnarial.
Depuis, le «coût du travail» est devenu LE problème récurrent d'un patronat insatiable, drogué aux allègements de "charges" et autres exonérations généreusement prodiguées par l'Etat. Tout autant drogué à une précarisation de l'emploi dont l'Etat est complice, «plus de flexibilité» est devenue son autre exigence majeure.
Tout se tient.
SH
Post-scriptum : Si le taux de chômage des jeunes est contestable, celui de la pauvreté (23%) ne l'est pas. Rendons à César ce qui lui appartient : la pauvreté des jeunes est beaucoup plus inquiétante que celle des seniors.
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