Je ne sais pas si vous avez vu ces images de pastèques qui se mettent à exploser. Tout à coup, des morceaux d’écorce ou de chair volent tandis que le reste du fruit agonise, se dévidant de son sucre et de ses pépins bizarrement blancs. Cela se passe en Chine suite à l’utilisation, par des agriculteurs sous pression de rendement, d’un accélérateur de croissance, le forchlorfenuron, une substance chimique parfaitement légale. Il y a dans ces images de pastèques bombesques quelque chose d’éminemment, comment dire… émouvant et familier. Je m’explique.
Chaque jour, les citoyens européens grossissent les rangs de ce mouvement des «Indignés», en Espagne, Italie, France, et en Grèce. Depuis mercredi dernier, à Athènes, des manifestants occupent la place de Syntagma, en face du Parlement. Dimanche, il y aurait eu jusqu’à 100.000 personnes. Elles avaient manifesté il y a un an contre la cure d’austérité imposée par la Banque Centrale Européenne, l’Europe et le FMI en l’échange du premier prêt de 110 milliards d’euros. Cela n’a pas suffit. A 26% le taux d’intérêt à deux ans, la Grèce ne peut se financer sur les marchés. Le pays a deux options : le renflouement par ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la Troïka (UE, FMI, BCE), ou le défaut de paiement, la faillite. Celle-ci aurait des répercussions démentielles au sens d’imprévisibles. Quand une personne ou une entreprise fait faillite, il y a des lois, une procédure; mais dans le cas grec, celui d’un pays, on est dans le no man’s land.
La dite Troïka pose donc ses conditions pour un nouveau prêt : privatisation express — et donc à la casse — des entreprises publiques lesquelles, elles, seraient plutôt en bonne santé. On dit que les vautours tournent dans le ciel de l’Acropole : Deutsche Telecom lorgnerait sur OTE, le France Télécom local; le PMU convoiterait son alter ego grec. Même les îles et les plages seraient à vendre. Pour le Financial Times, il s’agit d’une annexion économique d’un pays. Mais cette manœuvre inédite en démocratie ne fait que reporter le problème. Car au fond, aujourd’hui, demain, après demain, qui va payer ? Personne ne sait. Peter Sloterdijk dans Le Monde ce week end ne le disait pas autrement : «le créditisme» (notre civilisation basée sur le crédit comme capacité d’amener à un avenir tenable), le créditisme — que personnellement je rapprocherais assez volontiers du crétinisme — est entré dans une crise finale : la promesse du remboursement sur laquelle repose le sérieux de notre construction du monde ne peut être tenue.
Place Syntagma, des manifestants campent, signifiant que leur pays n’est pas à vendre. Rappelons d’ailleurs que la décision de se mettre ou pas en faillite appartient aux Grecs, pas à la Troïka. Pour l’heure, les politiques décrédibilisent les revendications populaires à coup de commentaires parternalo-complaisants, du type de celui du Premier ministre grec Theodoros Pangalos, à savoir : «C’est un mouvement sans idéologie ni organisation qui se base sur un seul sentiment : la rage».
Et alors ? Réduire le mouvement d’indignation à une poussée de fièvre adolescente, évacuer les rassemblements à la Bastille ou à Barcelone ne règleront pas le problème. La bonne colère, dit Aristote, c’est le sentiment qui accompagne le désir de justice. Cela commence probablement par l’idée de se réapproprier son destin. A ce sujet, Grecs comme Espagnols ne manquent pas de propositions comme, outre le départ du FMI, la levée de l’immunité parlementaire et la création d’une commission d’enquête sur la dette souveraine. On comprend que cela n’est pas confortable pour tout le monde. Car qu’est-ce qui pose vraiment problème ? L’emprise de la finance, ou l’incapacité des politiques à faire primer l’intérêt général ?
Ne nous méprenons pas : nos pays sont des grosses pastèques shootées à l’accélérateur de croissance, à savoir, la dette poudre aux yeux et la consommation sèche-pleurs. Et dans l’affaire, c’est nous les pépins. Blancs de rage. Et peut-être pas si crétins.
(Source : Marianne)
Le dépeçage du pays a commencé :
«Ce sont des voleurs, des escrocs et des traîtres !»
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