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Accueil La revue de presse Mario Draghi, l'UE, la BCE et Goldman Sachs : des liaisons dangereuses

Mario Draghi, l'UE, la BCE et Goldman Sachs : des liaisons dangereuses

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Trichet était un paléo-libéral obsédé par l'inflation. Son successeur est un néolibéral pur sucre, spécialiste des marchés financiers. Au vu de son passé glorieux, Basta! nous livre une revue de détail très inquiétante pour l'avenir des citoyens européens.

Le 24 juin, les chefs d’État et de gouvernement européens ont officiellement nommé à la tête de la Banque centrale européenne Mario Draghi, actuel gouverneur de la Banque d’Italie. Le 1er novembre, il deviendra ainsi le troisième président de la BCE, succédant à Jean-Claude Trichet pour un mandat de huit ans. Une nomination qui fait grincer des dents. Directeur du Trésor italien de 1991 à 2001, Mario Draghi a joué un rôle important dans les grandes privatisations et la rigueur budgétaire drastique en Italie, au moment où le pays a rejoint la zone euro.

En cause surtout, son passage de 2002 à 2005 comme dirigeant de la banque Goldman Sachs en tant que vice-président international chargé de l’Europe. Goldman Sachs est la première banque de Wall Street, et un établissement financier dont on se demande s’il n’a pas déclaré la guerre aux pauvres. Car on le retrouve dans tous les mauvais coups : la crise des subprimes et des prêts hypothécaires, la spéculation contre les matières premières... En Grèce, Goldman Sachs a utilisé des instruments financiers pour aider le pays à dissimuler l’ampleur de sa dette lors de son entrée dans la zone euro en 2001. Un montage qui a permis au gouvernement grec d’emprunter des milliards d’euros pendant des années, et qui n’est pas anodin dans la crise grecque actuelle.

Mario Draghi, garant de la transparence des marchés ?

Mario Draghi pouvait-il ignorer ce montage financier ? Difficile à croire. C’est pourtant ce qu’il a affirmé lors de son audition par les députés européens le 14 juin. Il a assuré qu’il n’avait rien à voir avec l’accord passé entre Goldman Sachs et la Grèce en 2001. Un service pour lequel la banque a touché 300 millions de dollars de commission, selon plusieurs banquiers au courant de la transaction. «Ces contrats ont été signés avant mon arrivée à la banque», a déclaré Mario Draghi, qui affirme ne pas avoir travaillé avec les gouvernements européens. C’est pourtant ce pourquoi il a été embauché : «[Le professeur Draghi] aidera la firme à développer et réaliser des affaires avec les grands groupes européens, les gouvernements et les agences gouvernementales», annonçait le communiqué de la banque le 28 janvier 2002. Il aurait d’ailleurs été, selon lui, l’un des premiers à mettre en garde contre les risques exagérés des marchés financiers et de l’immobilier.

En tant que président de la BCE, Mario Draghi dirigera le Comité européen du risque systémique, créé en 2010 pour protéger la zone euro contre de futures crises financières. Son rôle ? Avertir les autorités nationales et émettre des recommandations quand il détecte un problème important pour la stabilité financière générale. «Il devra y défendre la standardisation des produits financiers pour permettre davantage de transparence et de supervision contre la sophistication et l’opacité croissante des marchés, dans laquelle Goldman Sachs excelle, expliquent dans une tribune les eurodéputés Pascal Canfin (EELV) et Pervenche Berès (PS). «Il aura peut-être à interdire certaines pratiques, telles que celles justement inventées par Goldman Sachs et ses conseillers pour éviter une nouvelle crise financière. Saura-t-il combattre aujourd’hui ce qu’il a hier promu et qu’il n’a jamais critiqué ?»

Une banque leader de la spéculation sur les denrées alimentaires

Goldman Sachs a fait l’objet, début juin, d’une demande d’information de la part du procureur de Manhattan sur son implication dans la crise immobilière de 2007. Le procureur demande des éclaircissements sur ses activités avant la crise, dans le secteur des obligations gagées sur des créances immobilières. L’enquête menée par une commission du Sénat, dont le rapport a été rendu en avril, présente les conflits d’intérêt potentiels de Goldman Sachs, qui a parié sur l’effondrement du marché immobilier tout en vendant des subprimes frelatés. La démarche du procureur pourrait déboucher sur des poursuites au pénal.

Mais Goldman Sachs n’est pas seulement impliquée dans des scandales financiers ayant contribué à la crise des subprimes — qui a donné naissance à la crise économique actuelle — et à celle de la Grèce. La banque est aussi en première ligne dans spéculation alimentaire. En 1991, «la firme» lance un produit financier dérivé composé de 24 matières premières (métaux précieux, énergie, mais aussi soja, blé, café, maïs) : l’indice de matières premières «Goldman Sachs Commodity Index» (GSCI) est né. Avec d’autre lobbys, la banque exerce des pressions et obtient la dérégulation du marché des denrées alimentaires. Celles-ci sont soumises à la spéculation, alors que les prix étaient jusqu’alors réglés entre agriculteurs et entreprises agroalimentaires. Pour certains, Wall Street affame le monde.

Goldman Sachs, championne des bonus en temps de crise

En 2006, les prix des aliments grimpent rapidement : +80% pour le blé, +90% pour le maïs, +320% pour le riz. 200 millions de personnes souffrent de malnutrition, des émeutes de la faim éclatent. Les spéculateurs comme Goldman Sachs, fuient le marché du logement qui s’effondre pour se reporter sur les produits dérivés du secteur alimentaire. La spéculation sur les denrées passe de 3 milliards de dollars par an en 2003 contre 55 milliards en 2008, selon Olivier de Schutter, le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation. Un engouement qui s’est brusquement développé avec l’éclatement de la bulle spéculative des subprimes : les banques «ont cherché un nouveau refuge qui n’était pas encore trop réglementé dans lequel investir rapidement», analyse Murray Worthy de World Development Movement. Selon cette ONG britannique qui vient de sortir un rapport sur la façon dont l’attitude des banques a fortement contribué à la crise alimentaire, Goldman Sachs est en tête des spéculateurs avec un milliard de dollars (684 millions d’euros) par an récoltés sur ces marchés.

Goldman Sachs sait aussi être généreuse. Mais seulement avec ses dirigeants. Près de 70 millions de dollars ont été versés à ses cinq principaux dirigeants en 2010, malgré la chute des bénéfices ! Le directeur général Lloyd Blankfein a perçu 14 millions de dollars en 2010, entre salaire et bonus, soit près de 14 fois plus qu’en 2009. Le record ? 68 millions de dollars de bonus pour Blankfein, en 2007, juste avant la crise.

Des anciens commissaires européens rémunérés par Goldman Sachs

Avoir travaillé pour Goldman Sachs est-il une tare irréversible ? Sans doute pas. Mais si on retrace les parcours des «anciens» de la banque d’investissement, difficile de ne pas s’interroger sur son influence et son omniprésence. L’ancien Secrétaire au Trésor des États-unis, Henry Paulson, nommé en 2006 par George W. Bush, est un ancien président de Goldman Sachs : en 2008, c’est lui qui présente un plan de sauvetage des banques de plus de 700 milliards de dollars pour faire face à la crise des subprimes. Mario Monti, ancien commissaire européen, en charge des secteurs «marché intérieur, services financiers et intégration financière, droits de douane et taxes», puis de la concurrence jusqu’en 2004, est conseiller de Goldman Sachs depuis 2005. Peter Sutherland, commissaire européen en charge de la concurrence de 1985 à 1989, est nommé directeur du Gatt et de l’OMC de 1993 à 1995 après un passage à Goldman Sachs pendant trois ans comme conseiller international. Il devient ensuite président de la branche internationale de la firme en 1995 (et aussi directeur de BP).

Sans oublier Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne et président du conseil en Italie, qui a été conseiller pour Goldman Sachs. Ou Otmar Issing, conseiller international de Goldman Sachs International depuis 2006, et économiste en chef à la Banque centrale européenne de 1998 à 2006. En 2010, il s’oppose fortement à une intervention européenne en Grèce. Son argument ? La Grèce savait à quoi s’attendre en entrant dans l’union monétaire européenne, elle doit maintenant faire face à ses responsabilités… Autant que Goldman Sachs quand la banque a aidé à maquiller les comptes du pays ?

Une Banque centrale qui défend les spéculateurs, et pas les citoyens

La nomination de Mario Draghi est-elle l’ultime symbole d’une porosité problématique entre banques d’investissement et institutions politiques ? Pour Jean-Luc Mélenchon, député européen et candidat du Front de Gauche à la présidentielle, pas de doute. Cette situation est «totalement inouïe» et immorale : «Si on avait nommé un dirigeant syndical à la tête de la BCE, tout le monde dirait "il est partie lié aux intérêts des travailleurs". Et là, on nomme quelqu’un qui a été directement lié au système financier international et à ses intérêts, et qui commence son mandat en disant "ce qu’on a fait depuis 15 ans c’est parfait"».

Pour Attac, cette nomination prouve que la BCE «défend non pas l’intérêt des citoyens et contribuables européens, mais l’intérêt des banques». L’organisation altermondialiste cite une étude publiée par Les Échos qui indique qu’avec les «plans de sauvetage» de la Grèce et le «mécanisme européen de stabilité» mis en place par la troïka BCE, FMI et Union européenne, «la part de dette hellénique aux mains des contribuables étrangers passera de 26% à 64% en 2014. Cela veut dire que l’exposition de chaque foyer de la zone euro va passer de 535 euros aujourd’hui à 1.450 euros». Soit une «gigantesque opération de socialisation des pertes du système bancaire» et un transfert de la dette grecque «des mains des banquiers vers celles des contribuables».

Après l’adoption le 23 juin par le Parlement européen du «paquet sur la gouvernance économique» qui marque le renforcement des politiques de rigueur en Europe et les contraintes sur les budgets nationaux, pas sûr que la nomination de Mario Draghi soit un signe d’apaisement pour les Indignés, de l’Espagne à la Grèce, qui continuent de scander : «Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie !»

Agnès Rousseaux pour Bastamag

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