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Du chômage à l'engrenage du travail saisonnier

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Le chômage est en hausse et les seniors sont en première ligne. Pour s'en sortir, ils sont de plus en plus nombreux à accepter ces jobs d'été autrefois prisés par les jeunes en mal d'argent de poche.

Il est jeune, sans attache, bronzé toute l’année et fêtard. L’été, il sert des cocktails sur la plage, l’hiver il donne des cours de ski. Le saisonnier. Sauf qu’en réalité, il ressemble de moins en moins à cela. Aujourd’hui, le saisonnier type est mère de famille, la cinquantaine approchant, ne croit plus au CDI et se demande comment tenir encore 12 ans avant la retraite.

Etre embauché à la saison est devenu pour beaucoup de chômeurs de longue durée la seule solution pour garder la tête hors de l’eau. Le ministre du travail, Xavier Bertrand, en déplacement le 25 juillet dans le bassin d’Arcachon, a promis de consacrer, à l’automne, des assises au travail saisonnier, expliquant : «C’est tout un travail d’ensemble, pour un potentiel (d’emplois) plus important». Une découverte qui tombe à pic pour le ministre, vu la hausse de 1,3% du chômage en juin. Peut-être mise-t-il sur l’emploi saisonnier pouvoir rayer des listes de Pôle Emploi les 33.000 nouveaux inscrits du mois dernier et atteindre ainsi son objectif : repasser d’ici la fin de l’année sous la barre des 9%, contre 9,7% au premier trimestre 2011.

Un an auparavant, presque jour pour jour, c’est Laurent Wauquiez, alors secrétaire d’Etat à l’emploi, qui s’intéressait à ce «potentiel». Si le discours n’a pas beaucoup évolué, la situation des saisonniers a quant à elle empiré. Depuis le Calvados, Laurent Wauquiez se félicitait d’un «redémarrage à la hausse (de l’emploi saisonnier) très intéressant». Et de l’interpréter comme «un signe un peu avant-coureur pour nous de ce qu’on espère être l’évolution du marché de l’emploi». Un signe surtout d’extension de la précarité pour Sylvie Berodias, agent d’accueil l’été dans un centre de vacances au Puy-en-Velay et organisatrice du premier forum social des saisonniers en décembre à Aubagne.

«Quand on a besoin de vous, on vous appelle. Mais s’il n’y a personne, on vous dit de rentrer chez vous. Les contrats raccourcissent, avec l’effet vacances à la dernière minute et la météo. On subit une double saisonnalité : la saison et le temps. Les saisonniers deviennent des salariés kleenex», déplore-t-elle. Une situation d’autant plus révoltante qu’en parallèle, les employeurs «demandent de plus en plus un personnel professionnalisé et fidélisé pour ne pas perdre de temps chaque année à chercher un saisonnier et le former. On précarise le travail pour le flexibiliser. Des gens professionnels, fidèles mais qui restent précaires, c’est ça l’avenir !»

En France, ils seraient entre 1 et 1,2 million selon la CFDT, dont 800.000 dans l’agriculture. «Il est impossible d’avoir des chiffres précis à cause du travail dissimulé encore très répandu», explique Hervé Garnier, le secrétaire national des saisonniers à la CFDT. Travail non déclaré, heures supplémentaires non rémunérées, non reconduction des contrats d’une année sur l’autre, sont monnaie courante dans le secteur. «Tous les patrons ne sont pas des salauds mais toutes les études convergent pour dire que le droit du travail n’est pas respecté. Et ils n’ont rien à craindre, l’Inspection du travail a de moins en moins de moyens pour les contrôler», explique le sociologue Richard Dethyre, auteur de Avec les saisonniers (2007).

La CGT — en caravane — et la CFDT — en bus — sillonnent la France durant tout l’été à la rencontre des travailleurs saisonniers. Sur le terrain, même si des solutions locales émergent, par exemple via des partenariats avec le Crous pour l’hébergement, les conditions de travail demeurent difficiles. «En Corse, nous avons vu un jeune travaillant dans une paillote et logé juste derrière, dans une caravane. Ça peut faire rêver de vivre sur la plage mais sans eau, sans électricité et en plein soleil, avec des journées de 12h de travail, c’est dur à vivre», témoigne Hervé Garnier. D’autres voient passer la totalité de leur salaire dans leur loyer, au prix d’une location saisonnière.

L’emploi saisonnier ne recule pas mais change de visage. Hervé Garnier situe la «fracture» lors de la crise de 2008 : «On voit des gens qu’on n’avait pas l’habitude de voir, des chômeurs longue durée, des retraités». Et les employeurs ont flairé le «potentiel» de l’emploi saisonnier, selon l’expression ministérielle. Sylvie Berodias s’élève contre une utilisation abusive du CDD saisonnier. «Normalement, il doit y avoir un rapport avec la saison, à l’origine c’est pour l’agriculture et le tourisme. Aujourd’hui, on trouve des saisonniers dans les hangars d’expédition de commandes de sites internet marchands, dans les péages, les supermarchés… Ce qui n’était qu’un phénomène en marge prend de l’ampleur», explique-t-elle. Des cas qui relèvent davantage du CDD classique, dit de surcroît d’activité.

Seulement, les CDD saisonniers exonèrent les patrons de la prime de précarité qui équivaut à 10% de la totalité du salaire brut sur la période. Car les saisonniers n’y ont pas droit. Et jusqu’au 1er juillet 2011, ils n’avaient pas droit non plus à la totalité de leur allocation chômage à l’intersaison. Leur statut s’accompagnait d’une minoration des Assedics. Un collectif de saisonniers a attaqué l’Unedic et a gagné. Désormais, les saisonniers, s’ils n’ont pas les mêmes droits que les autres travailleurs, sont au moins des chômeurs comme les autres.

«En aucun cas, on ne choisit ce métier parce c’est amusant d’être à la saison», lance Sylvie Berodias. Longtemps mère au foyer, les choses se sont compliquées quand elle a voulu reprendre une activité professionnelle. «Passé 40 ans, qu’est-ce que vous voulez qu’ils fassent de nous à Pôle Emploi ? On ne m’a proposé presque que des CDD, le reste c’était des CDI à mi-temps. Le CDI de 35h est devenu tellement rare.» Elle finit par accepter un travail à la saison, pour «remettre le pied à l’étrier». Mais aucune opportunité de changement ne s’est jamais présentée. «On fait un an, puis deux et ainsi de suite… Et cela devient impossible de sortir de l’engrenage.»

Le sociologue Richard Dethyre se bat contre une «représentation faussée du travail saisonnier» : «On a un effet domino assez inquiétant avec la course au travail partout. Pour 90% des cas de saisonniers au long cours, ce n’est pas un choix mais une contrainte. Les 10% qui restent disent que c’est un choix mais, si on leur proposait un CDI, ils n’hésiteraient pas». Il évoque ces jeunes diplômés, qui reviennent à leur job d’été après une ou deux recherches vaines dans leur secteur et qu’il retrouve au même endroit dix ans plus tard.

Le Savoyard Jean-Marc Jay parle de la saisonnalité comme d’un choix «indirect». A défaut d’aimer les études, il aimait sa vallée. Alors il devient moniteur de ski en 1987 dans la station des Ménuires. Aujourd’hui, à 52 ans, il souffre des genoux, du dos. Mais dans quoi se «recycler» ? Il s’interroge. Surtout qu’aujourd’hui, il arrive enfin à joindre les deux bouts. Quand il n’est pas sur les pistes, il est maçon à son compte. Jean-Marc est ce qu’on nomme dans le milieu «un pluriactif».

D’autres, comme Carole, ne parviennent pas à trouver une activité entre deux saisons. La secrétaire a quitté la région parisienne et son emploi confortable dans le service client d’une entreprise d’informatique pour suivre son mari, électricien, muté dans les Landes. Ils débarquent dans une station balnéaire de la région en 1995. Sans emploi, elle finit par accepter provisoirement un poste saisonnier de gestionnaire de cuisine. Elle y est toujours. Pour grappiller quelques semaines de travail, à 46 ans, Carole fait de la manutention avec le montage et le démontage des 300 bungalows en toile avant et après l’été. A l’intersaison, elle fait des ménages, de la garde d’enfants.

L’année dernière, Carole décroche un CAP cuisine via Pôle Emploi. En ligne de mire : la gestion des cuisines de plusieurs centres de vacances. «En discutant de mon évolution de carrière, on m’a fait comprendre implicitement que c’était possible», se souvient-elle. Mais rien n’a été écrit. «Au dernier moment, je me suis fait doubler.» Et elle est passée des bureaux aux fourneaux, recrutée cette année sur un poste de production. «On fait un maximum pour être bien évalué, on se démène pour être repris mais on n’a aucune garantie.» Quand elle n’est pas au travail, elle attend, à côté du téléphone, l’appel du centre de vacances pour faire un extra. «Si je refuse, ils appelleront quelqu’un d’autre et je me dis que c’est peut-être elle qui aura sa chance», explique la saisonnière. Faire des projets, prévoir, est un lointain souvenir. Elle doit être là, sur le qui-vive. «On n’a ni vie professionnelle ni vie de famille», souffle-t-elle.

«Les saisonniers sont emblématiques de ce salariat qu’on ne paierait que pour sa présence au travail. C’est une aberration, nous avons conquis les congés payés, les arrêts maladie, maternité ! Le salariat est considéré comme un coût, non comme une richesse. Il est la variable d’ajustement des entreprises, il faut passer à une autre ère et offrir aux saisonniers qui acceptent l’intermittence des garanties à la hauteur de leur sacrifice», martèle le sociologue Richard Dethyre.

Le mari de Carole a essuyé un licenciement économique et rejoint la masse des intérimaires. Dès lors, pourquoi ne pas partir ? «J’ai été commerciale mais là, de toute façon, je n’ai plus le physique de l’emploi», répond-elle. Et puis, il y a la maison, bientôt remboursée. «Le toit, c’est tout ce qu’on a.» Le couple espère que leur vieille voiture ne les lâchera pas parce que «les banques ne veulent pas nous prêter de l’argent. On en est à faire des crédits à la consommation à 17% pour acheter un ordinateur» (pour leur fille, qui suit un Master 2 de biologie). L’étudiante aussi travaille l’été. La bourse de 150 euros est loin de suffire, le job d’été est une nécessité comme pour un nombre croissant de moins de 30 ans.

C’est une tendance récente que relève le baromètre 2011 de la Jeunesse ouvrière chrétienne sur les jobs d’été : si auparavant la majorité des jeunes travaillaient l’été pour gagner de l’argent de poche, aujourd’hui 53,1% le font pour «vivre le reste de l’année» (contre 41,7% en 2007). Un basculement qui s’accompagne d’un changement de profils : la part de chômeurs et diplômés de deuxième et troisième cycle (+3% chacun) augmente tandis que celle des étudiants diminue (–3%).

Et bienheureux ceux qui trouvent un travail. Selon la JOC, ils sont 20% à être restés sur le carreau en 2010, un chiffre qui a doublé en trois ans. «Les jobs d’été sont devenus des jobs de vieux, les jeunes peinent à trouver un poste saisonnier alors que c’est pour eux l’occasion utile d’un premier contact avec le monde du travail», explique la saisonnière Sylvie Berodias.

Le syndicaliste Hervé Garnier soupçonne Xavier Bertrand de s’intéresser à l’emploi saisonnier non pas en raison des difficultés rencontrées par les salariés, mais de celles des employeurs à recruter. Il est vrai qu’au sortir de sa table ronde avec des professionnels et des élus, le ministre a entre autres choses évoqué un «travail de mise en réseau» à faire pour «mieux trouver, soit du travail, soit des salariés». Les jeunes peinent à trouver du travail, les restaurateurs ne trouvent pas de jeunes. «200.000 postes étaient toujours ouverts début juillet chez Pôle Emploi» dans l’hôtellerie et la restauration, selon l’Union des métiers de l’industrie hôtelière (UMIH). Pourtant, il suffirait de ne pas appliquer le principe de la réservation de dernière minute aux travailleurs. Les offres d’emploi de plongeurs, commis de cuisine, serveur, estampillées «débutants acceptés», sont publiées au fil du remplissage des établissements. Alors que le jeune candidate au printemps et passe rarement son été à éplucher le catalogue de petites annonces de Pôle Emploi.

Syndicats et saisonniers n’ont pas attendu Xavier Bertrand pour se réunir. Ils ont lancé l’hiver dernier le premier forum social consacré à ces travailleurs, avec 300 participants dont 200 saisonniers. Ils ne se font pas trop d’illusions quant aux assises annoncées à l’automne. «Des gens vont venir pour parler de la saisonnalité, mais aucun saisonnier», projette l’organisatrice du forum social Sylvie Berodias. Et de plaisanter : «Il va falloir faire du lobbying pour être invité». Difficile d’obtenir plus d’informations auprès du ministère. Xavier Bertrand, qui a fait cette annonce au détour de l’inauguration d’un futur Pôle de santé et d’une rencontre avec des militants UMP, n’a pas laissé de consignes à ses collaborateurs. Pour connaître les pistes de travail du ministère, le cabinet renvoie aux articles de la presse locale.

(Source : Mediapart)

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