Depuis plusieurs semaines, au Portugal, c’est le ministre des Finances qui tient le haut du pavé. C’est assez logique, puisque Victor Gaspard a préparé le budget de l’État pour 2012. Avec une régularité de métronome et l’allant qui va avec, le grand argentier a donc égrené des mesures d’austérité sans précédent qui attendent les Portugais jusqu’à fin 2013.
Or, presque par hasard, on découvre que le gouvernement a l’intention de faire travailler tout le monde une demi-heure de plus chaque jour. Alors que certains ironisaient sur le silence du ministère de l’Economie et de l’Emploi, le détenteur de ce portefeuille, Alvaro Santos Pereira, est sorti de son mutisme pour développer le concept du "travailler plus et gagner moins".
Alvaro — la presse l’appelle par son prénom — a expliqué au Parlement portugais que "l’imposition d’une demi-heure de travail supplémentaire par jour dans le secteur privé [était] une mesure fondamentale pour redresser l’économie du pays". Et une mauvaise nouvelle venant rarement seule, la mesure sera assortie d’une suppression de jours fériés en 2012 pour éviter un total de 9 ponts non productifs. "Ce sont des jours qui, s’ils étaient travaillés, contribueraient à l’augmentation de la richesse nationale, à la création d’emploi et à la relance de la productivité". Le ministre ne souriait pas, la consternation fut totale.
La novlangue productiviste
Dans une chronique parue dans le quotidien Diario de Noticias, le député José Manuel Pureza soulignait l'utilisation d’une nouvelle langue "orwellienne" par les dirigeants portugais. Il en veut pour preuve la dialectique du nouveau premier ministre, Pedro Passos Coelho, selon lequel "pour sortir de la crise il faut appauvrir le Portugal et les Portugais". Ce député étant membre du Bloco de Esquerda, l‘extrême-gauche portugaise, on conçoit aisément qu’il n’est pas un défenseur de l’idéologie libérale, entre néo et ultra, du gouvernement de centre droit. Mais Pureza rappelle que d’éminents spécialistes de l’économie, y compris des centristes, ont démontré l’inefficacité de l’allongement du temps de travail quotidien ou hebdomadaire.
D’ailleurs, aucun pays européen n’a augmenté le temps de travail sans contrepartie au cours du siècle écoulé, et avec 38,2 heures de travail hebdomadaire en moyenne, les Portugais sont au charbon une demi-heure de plus que les Allemands, une heure de plus que les Britanniques et trois heures de plus que les Français, explique le député. Dans la réalité, ce sont les réformes du droit du travail, au mépris des acquis sociaux des 35 dernières années et de l’impact sur le porte-monnaie des travailleurs, qui irritent un nombre croissant de Portugais.
Même le patronat s’interroge
"Il est difficile de concevoir qu’un chef d’entreprise va exiger une demi-heure de travail supplémentaire par jour, ou 2 heures et demi par semaine, alors qu’il a déjà des carnets de commandes en berne. La mesure ne peut être efficace en terme de productivité que dans les grandes entreprises", explique António Saraiva, président de la CIP, la Confédération de l’Industrie Portugaise. Quand on sait que pratiquement 80% des entreprises du pays sont des PME ou même des micro entreprises, on peut effectivement s’interroger sur l’impact d’une telle mesure.
Trente minutes de plus par jour, c’est l’équivalent d’une diminution de 6,25% du salaire. d'après le calcul de la CGTP, la Confédération Générale du Travail portugaise. Le cumul avec les jours fériés, les ponts supprimés voire les jours de congés retirés, reviendraient à un mois de salaire en moins par an. Lorsque l’on sait que le Smic est à 485 euros et le salaire moyen à 800 euros (sur 14 mois), le poids est considérable. Et dans le contexte d’une fiscalité aggravée, d’allocations réduites, d’augmentation de la TVA, des transports, de l’énergie, de la levée d’impôts exceptionnels, de services qui ferment et d’un taux de chômage historique à 12,5%, on s’étonne que les Portugais conservent leur calme.
Population au bord de la crise de nerfs
"Ils n’ont pas encore vraiment réalisé ce qui se passe. Et faire comprendre que, sous prétexte de crise et d’austérité, le gouvernement veut démanteler les rouages de la société hérités de la révolution d’Avril est extrêmement compliqué", explique Manuel Carvalho da Silva, secrétaire général de la CGTP. La centrale a reçu le soutien de l’UGT (Union Générale des Travailleurs) pour une grève générale de 24 heures, le 24 novembre. Le fait est rarissime au Portugal — cela ne s’est produit que trois fois en 35 ans de démocratie — et pourtant, ce sera la seconde en un an.
PREC : "Processus Réactionnaire en Cours", l’expression fait florès au Portugal. Elle est le contrepoint de PREC, "Processus Révolutionnaire en Cours" de l’après Révolution des œillets du 25 avril 1974 et qui prendra fin en 1976 avec l’entrée en vigueur de la Constitution. Elle a été reprise, entre autres, par Vasco Lourenço, l’un des "capitaines d’Avril". Personne au Portugal n’imagine une "révolution", et les institutions ne sont pas en danger. Mais la grogne et le ras-le-bol s’intensifient contre une politique qui va bien au-delà de l’obligation de réduire les dépenses.
Cette semaine marque le coup d’envoi des grèves et des rassemblements sectoriels. Et samedi 12 novembre, les militaires défileront dans Lisbonne, pacifiquement, contre la dégradation de leurs conditions de travail et de vie.
(Source : MyEurop)
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