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Sarkozy, ou l'obsession des «profiteurs du bas»

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Nicolas Sarkozy, qui souhaite conditionner les allocations sociales à des contreparties obligatoires pour inciter les chômeurs à accepter un emploi, est littéralement obsédé par les aides sociales. Ses nombreuses erreurs sur la prime pour l'emploi ou le RSA montrent qu'il est persuadé que celles-ci découragent la reprise d'un emploi, et que ceux qui les reçoivent sont autant de profiteurs qui se la coulent douce.

Un Président qui se trompe, cela peut arriver, tant est élevé le nombre de dossiers qu'il est censé connaître. Mais les erreurs sont souvent révélatrices. C'est ce qui est arrivé le 22 février lorsque, sur France 2, le Président-candidat a abordé la question de la prime pour l'emploi. Je cite : «La PPE a été inventée il y a une dizaine d'années. Elle devait permettre à quelqu'un qui reprenait un emploi de ne pas perdre la totalité de ses allocations, pour que reprendre un emploi soit toujours plus payant que d'être dans l'assistanat».

Curieusement, personne n'a relevé que Nicolas Sarkozy se plantait, confondant le RSA et la PPE. Car c'est bien le RSA «activité» qui a été «inventé» (il y a sept ans) par une Commission présidée par Martin Hirsch, afin de «permettre à quelqu'un qui reprenait un emploi de ne pas perdre la totalité de ses allocations». Rappelons que le RSA comprend deux composantes : l'une, appelée RSA «socle», s'est substituée depuis juin 2009 à l'ancien RMI. Le RSA «activité», en revanche, est une innovation, puisqu'il consiste à ajouter un complément social aux revenus d'activité perçus par des ménages dont le niveau de vie demeure inférieur au seuil de pauvreté.

La PPE n'a rien à voir. Elle a été «inventée» en 2000 par Laurent Fabius, alors ministre des Finances et de l'Economie. L'épisode vaut d'être rappelé, en ces temps où l'on ne parle que de dette publique. Mi-2000, l'opposition d'alors (menée par Jacques Chirac et Edouard Balladur) découvre que la reprise économique a gonflé les rentrées fiscales au point que le déficit de l'Etat pourrait être réduit d'une petite dizaine de milliards et revenir aux alentours de 25 milliards. Et, pour la première fois depuis longtemps, devenir moindre que le montant des intérêts versés au titre de la dette. Jacques Chirac, alors Président de la République, profite de l'entretien traditionnel accordé à quelques journalistes le 14 juillet pour révéler ce qu'il appelle une «cagnotte» : on pourrait réduire les impôts et on ne le fait pas, dénonce-t-il. La polémique enfle. Lionel Jospin, Premier ministre, finit par céder. Il supprime la vignette auto et réduit l'impôt sur le revenu de 3 milliards d'euros, mais décide d'équilibrer en faveur des travailleurs à revenus faibles ou modestes le cadeau fiscal ainsi fait aux ménages plus aisés (70% des réductions d'impôts bénéficient au dixième des ménages le plus favorisé). D'où la création de la PPE.

La PPE ne vise donc pas les allocataires de minima sociaux qui reprennent un emploi, elle ne consiste pas davantage en une carotte destinée à ce que l'emploi devienne plus attractif que l'assistance. C'est un crédit d'impôt (donc remboursable à tous ceux qui ne payent pas, ou pas assez, d'impôts) destiné à tous les travailleurs à revenus modestes (entre 0,3 et 1,4 fois le Smic annuel). Initialement d'un coût de 2,5 milliards pour les finances publiques, elle ne représentera en 2012 que 2,8 milliards parce que son barème a été bloqué depuis quatre ans et, surtout, qu'elle n'est plus versée aux personnes percevant le RSA «activité» (environ 1,2 million de personnes en 2011), ce dernier étant considéré alors comme une «avance» sur la PPE. Alors que le Président-candidat prétend qu'elle vient augmenter les revenus de ceux qui reprennent un emploi, en réalité elle a été supprimée pour ces derniers et remplacée par le RSA «activité».

Cette confusion est révélatrice. Nicolas Sarkozy est littéralement obsédé par les aides sociales. Il est persuadé que ces dernières découragent la reprise d'un emploi et que ceux qui les reçoivent sont autant de profiteurs qui se la coulent douce. La PPE, introduite afin de restaurer une justice fiscale compromise par la baisse de l'impôt sur le revenu, est devenue, dans sa bouche, une carotte pour inciter à la reprise d'emploi. Et comme le retour à l'emploi n'est pas au rendez-vous — non pas pour cause de crise, mais, toujours à ses yeux, par mauvaise volonté des personnes considérées —, il convient de la compléter par un volet punitif, le bâton, présenté ainsi dans le même entretien à France 2 : «Les Français sont généreux, ils sont solidaires, mais ils ont un sentiment d'injustice (…) : celui qui gagne 1.200, 1.300, 1.400, 1.500 € (…) demande que ceux qui sont aidés par la collectivité nationale aient des devoirs en échange de droits que personne ne leur conteste». Derrière ces déclarations, on voit le retour d'une vieille antienne des siècles passés : la distinction entre pauvres méritants (les infirmes et les malades) et mauvais pauvres, profiteurs qui comptent sur la bonté publique pour ne pas travailler.

Certes, on n'en est pas encore à condamner à mort ces derniers, «inutiles au monde» comme le mentionne un jugement du XV° siècle rapporté par Bronislaw Geremek, expression dont il a fait le titre de ce qui est devenu désormais le livre de référence (“Inutiles au monde : truands et misérables dans l'Europe moderne, 1350-1600”). Mais il s'agit clairement de punir les pauvres, car leur pauvreté n'est due qu'à leur fainéantise. Pas à pas, on se rapproche du workfare à l'américaine («travailler pour rembourser l'aide sociale»), qui demeure l'horizon de la pensée libérale dont s'inspire largement Nicolas Sarkozy : tu veux être aidé ? OK, on n'est pas chien. Mais faudra rembourser, d'une manière ou d'une autre.

C'est exactement ce qu'il propose dans le deuxième volet de son intervention consacré au RSA. Je cite : «Le RSA a rempli parfaitement son rôle comme instrument de lutte contre l'extrême pauvreté. Il y a un problème avec le RSA : pour lutter contre la pauvreté, c'est efficace, pour réinsérer les gens dans le marché du travail, ce n'est pas suffisant. Je propose donc qu'on généralise l'expérimentation qu'on a faite : quelqu'un qui est au RSA, qui n'a pas d'emploi, qui est au chômage, devra faire 7 heures de travail d'intérêt général par semaine, rémunérées au niveau du Smic. (…) Et tous les ans, celui qui a un RSA, on évaluera sa situation : est-ce qu'il cherche un emploi, est-ce qu'il suit une formation, est-ce qu'il a fait le travail d'intérêt général. S'il n'y a pas de problème, il continuera à avoir le RSA».

On retrouve quelque chose de proche de la première version du «CI-RMA» (contrat d'insertion - revenu minimum d'activité) imaginée par François Fillon (sous l'inspiration de Michel Godet) lorsqu'il était ministre du Travail et des Solidarités, en 2003. Il s'agissait alors, selon les termes mêmes du ministre, «de demander, même si c'est parfois symbolique, une activité en échange d'un revenu». Mais une activité bien particulière : les allocataires du RMI jugés aptes à l'emploi devaient être contraints d'accepter toute proposition d'«activité» proposée par un organisme, qu'il s'agisse d'une collectivité ou d'une entreprise. Cet organisme payait l'allocataire au niveau du Smic et recevait en échange le RMI précédemment perçu par l'allocataire. L'employeur pouvait ainsi faire travailler la personne concernée jusqu'à 51 heures par mois (12 heures par semaine) sans qu'il lui en coûte un sou, puisqu'il était alors remboursé de ses frais. Jusqu'à ce niveau, l'allocataire ne touchait donc ni plus ni moins que son ancien RMI, mais il travaillait 12 heures par semaine pour le rembourser. Ce n'est qu'au-delà de ces douze heures hebdomadaires de travail gratuit que commençait le salaire proprement dit, avec paiement de cotisations sociales et, donc, droits à retraite et à l'assurance chômage. Si bien qu'il n'en aurait coûté que 200 € par mois à l'employeur qui aurait fait travailler un allocataire du RMI à mi-temps (17,5 heures hebdomadaires).

Heureusement, ce projet n'a quasiment pas pris corps car, en 2005, le nouveau ministre du Travail et des Solidarités, Jean-Louis Borloo, réformait profondément le dispositif : le salaire commence dès la première heure travaillée, et le contrat ne peut être inférieur à 20 heures hebdomadaires. Ce dispositif existe toujours, ouvert aux allocataires volontaires du RSA «socle». Il a seulement changé de nom depuis (c'est une des variétés du «contrat unique d'insertion» ou CUI), mais fort peu usité : aucun n'a été conclu en 2009 et 2010, et il a fallu attendre 2011 pour que l'ampleur du chômage amène les pouvoirs publics à renouer avec ce type de contrat.

Exit, le workfare ? Pas vraiment. En 2007, le candidat Sarkozy annonçait : «Je propose qu'aucun minimum social ne soit accordé sans la contrepartie d'une activité d'intérêt général». N'ayant sans doute pas eu le temps de passer à l'acte, le voici désormais qui le réinscrit au calendrier électoral. Mais pour 7 heures hebdomadaires, soit un revenu d'activité mensuel net de… 220 €. Heureusement, entre temps, le RSA a été mis en œuvre. Il consiste, pour ceux qui disposent d'un revenu d'activité, à ne réduire la prestation maximale (420 € mensuel pour ceux qui sont logés gratuitement ou disposent d'une allocation logement) que de 38% de ce revenu d'activité. Si bien que, pour une personne seule, le dispositif permettrait d'ajouter aux 220 € de revenu d'activité un «RSA activité» de 330 €, soit un total global de 550 €. Pas assez pour sortir de la pauvreté — il faudrait gagner plus de 954 € —, mais néanmoins un gain net de 130 € mensuels (550 - 420). Ce n'est pas le workfare, mais on n'en est cependant pas très loin du fait du caractère contraignant du dispositif, analogue au côté punitif du système américain.

Pour le Président-candidat, dans les départements où cette mesure est expérimentée, «cette expérience est un succès». Il nous refait le coup du RSA pour lequel les expérimentations devaient être évaluées avant d'être éventuellement généralisées. Mais la généralisation fut décidée sur la foi de quelques évaluations parcellaires ayant montré un effet positif sur le retour à l'emploi. Sauf que, une fois toutes les évaluations terminées, il apparut que l'effet positif sur le retour à l'emploi était tellement ténu qu'il était inférieur à la marge d'erreur potentielle. Le RSA «activité» n'était pas une mauvaise mesure, mais son apport résidait davantage dans l'amélioration des conditions de vie des personnes concernées que dans l'accentuation des retours à l'emploi, car ces derniers supposaient bien d'autres conditions : formation, mobilité, emplois suffisamment «durables», etc.

Au total, la proposition sarkozyenne est choquante à trois titres. D'abord son caractère contraignant, dès lors que les allocataires seront sans emploi, pas en formation et classés dans la filière «accompagnement professionnel», c'est-à-dire aptes à l'emploi. C'est le cas aujourd'hui d'environ 600.000 allocataires (sur un total de 1,2 millions foyers allocataires du «RSA socle», les autres étant classés en «accompagnement social», c'est-à-dire trop éloignés de l'emploi). Cette contrainte nous rapproche de la punition et de la notion de pauvre fainéant.

Ensuite, que se passera-t-il si un allocataire refuse la proposition ? Nicolas Sarkozy s'est gardé de le préciser mais on devine que ce refus impliquera une sanction, sinon la contrainte évoquée ci-dessus n'aurait plus de signification : un allocataire pourrait refuser sans en être pénalisé. On se demande déjà comment une personne seule, dans une agglomération — 85% des allocataires sont dans ce cas —, peut faire pour (sur)vivre avec 420 € mensuels, même majorés d'une allocation logement (généralement versée directement au bailleur). Si, par exemple, ce trop maigre pécule est amputé en outre de 10%, on tombe carrément dans l'inhumanité.

On me répondra sans doute que rien ne peut excuser qu'une personne apte à travailler refuse un emploi, même si modeste, lorsque son sort peut en être amélioré. Rien ? C'est que vous n'avez pas d'enfants à garder à la maison, de problème de déplacement, d'illettrisme ou de santé, que vous avez confiance en vous, qu'on ne vous a pas dit mille fois que vous n'étiez bon(ne) à rien, que vous ne gardez pas les enfants de votre voisine qui, elle, travaille déjà et vous remercie par un billet au noir de temps à autre, que... La réalité sociale est toujours plus compliquée que ne le croient les bureaucrates, et les raisons de ne pas travailler ne se réduisent pas à l'envie de ne rien faire. Surtout lorsqu'on a déjà tellement pris de coups que l'on voit dans l'emploi misérable que l'on vous conseille fortement d'accepter plus un piège qu'une opportunité.

Reste le plus grave. Ces 7 heures hebdomadaires. Au moins, en 2003, la barre minimale était fixée à 15 heures. Mais avec 7 heures, la collectivité s'exempte un peu trop facilement, et au détriment des personnes concernées, de la double obligation qui figure dans le préambule de notre Constitution : «Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi». Fournir un (tout) petit boulot au lieu d'un emploi et penser que cela suffit pour tout devoir, c'est s'acheter une bonne conscience à bon marché. Ou, si l'on préfère, c'est baisser la barre de la dignité sociale tellement bas qu'elle cède la place à l'indignité. On voudrait alimenter la machine à travailleurs pauvres que l'on ne s'y prendrait pas autrement.

Non, les pauvres ne méritent pas cela. Ils ne méritent pas la suspicion de fainéantise qui pèse sur eux alors que leur grande majorité n'a qu'une envie : retrouver du boulot. Un vrai boulot, pas des miettes. Ils ne méritent pas davantage cette contrainte à laquelle il leur faudra se plier, eux qui ont leur dignité. Ils ne méritent pas, enfin, ces bouts de ficelle avec lesquels on prétend en haut lieu réduire le chômage et la pauvreté.

Denis Clerc pour Alternatives Economiques

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