3% de déficit budgétaire l'an prochain, c'est au moins 300.000 chômeurs supplémentaires. Il faut tenir cet objectif en termes de déficit structurel, et non de simple déficit constaté.
L’économie française stagne et la zone euro est entrée en récession. La situation économique n’a aucune chance de se redresser notablement au cours des prochains mois. Prendre dans ce contexte des mesures d’austérité supplémentaires pour tenir, coûte que coûte, l’objectif de 3% du PIB de déficit public en 2013 freinerait davantage encore l’activité et pousserait le chômage vers les sommets. Avec au final, d’ailleurs, un déficit plus important que prévu comme le montrent les exemples de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie malgré leurs efforts considérables.
Les réformes récentes de la surveillance budgétaire européenne — «6 pack» et Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) — sont bâties autour de la notion de «déficit structurel». Celle-ci corrige les déficits publics constatés telle ou telle année des effets de la conjoncture à ce moment-là. Quoi qu’on pense par ailleurs de la pertinence de ces réformes, elles fournissent ainsi un argument solide pour ne pas s’engager dans cette politique procyclique : l’objectif des 3% en 2013 doit, lui aussi, être apprécié en termes de déficit structurel et non de simple déficit constaté. Or, dans le cas de la France, nous atteindrons ce niveau de déficit en 2013 sans qu’il soit besoin de prendre de nouvelles mesures d’austérité cet automne.
Un coup de frein important
Quelle serait l’ampleur du coup de frein à l’activité dû à des mesures d’austérité supplémentaires ? La question est controversée parmi les économistes mais le Fonds monétaire international (FMI) a publié en octobre 2010 une importante étude qui jouit depuis d’une certaine autorité en la matière. Le FMI concluait qu’une restriction budgétaire de 1% du PIB aboutit en moyenne à une baisse de 1% de la demande intérieure au bout de deux ans. Au niveau de la production, l’effet peut cependant être moindre, à condition que les exportations se développent parallèlement grâce à une baisse du taux de change et à un dynamisme économique maintenu chez les partenaires commerciaux. Or, de telles conditions ne sont guère réunies en France actuellement, compte tenu de l’orientation très majoritaire de nos exportations vers la zone euro et du net ralentissement de l’économie des pays émergents.
L’autre facteur susceptible de limiter l’impact d’un ajustement budgétaire — une détente monétaire — n’a, lui non plus, guère de chance d’avoir un effet significatif sur l’économie française, vu le bas niveau des taux d’intérêt. Dans le contexte actuel, il y a donc lieu de supposer qu’une restriction budgétaire de l’ordre de 1,5 point entre 2012 et 2013 amènerait, au bas mot, une perte de PIB de 1,2 point et une hausse du chômage de 1 point (300.000 personnes).
La clé du «déficit structurel»
Il faut donc absolument éviter de s’engager dans cette voie. Peut-on défendre cette position vis-à-vis des instances européennes sans pour autant remettre en cause les engagements de la France à leur égard ? OUI. La réforme de la coordination budgétaire menée depuis deux ans en Europe est fondée de manière centrale sur la notion de «déficit structurel». Il existe différentes façons de calculer ce déficit, qui aboutissent à des résultats notablement divergents.
La Commission européenne a la sienne et publie depuis plusieurs années déjà de tels chiffres. La méthode employée par la Commission est toutefois visiblement peu satisfaisante : les importantes variations d’une année sur l’autre du «déficit structurel» qu’elle fait apparaître montrent que la part proprement conjoncturelle de ce déficit reste encore probablement sous-estimée, et le niveau du déficit structurel surestimé. Les dernières prévisions de la Commission, publiées au printemps 2012 (donc, avant le collectif budgétaire voté cet été qui a déjà introduit d’importantes mesures de restriction budgétaire supplémentaires), indiquent cependant que ce déficit structurel passerait l’an prochain sous la barre des 3% en France.
La dégradation de la conjoncture intervenue depuis devrait certes creuser les prévisions de déficits courants, mais elle n’a aucune raison de changer la donne sur le plan des déficits structurels. Si on juge l’engagement de faire passer les déficits publics sous la barre des 3% du PIB en 2013 en termes de déficit structurel, conformément à l’esprit des réformes engagées, il n’est donc pas nécessaire de prendre des mesures d’austérité supplémentaires.
Pas de traitement de faveur
Il ne s’agirait pas, bien entendu, de demander un traitement de faveur pour la France, mais bien d’apprécier ainsi l’ensemble des déficits en Europe. Nous serions d’ailleurs loin d’être les seuls à pouvoir, grâce à cela, desserrer un peu l’étau qui étouffe nos économies, ce qui pourrait aider à convaincre certains de nos voisins de l’intérêt d’une telle démarche...
Au niveau de l’ensemble de la zone, le déficit structurel ne devrait être en effet que de 1,8% du PIB en 2013, selon les prévisions de la Commission européenne. Seuls cinq pays dépasseraient la barre des 3% : Malte, la Grèce, la Slovaquie, l’Espagne et l’Irlande. Ce ne serait d’ailleurs pas la Grèce la plus mal placée sur ce plan mais l’Irlande, souvent présentée pourtant comme le «bon élève» des pays en crise.
L’évolution de la conjoncture depuis la publication de ces prévisions ne devrait pas en théorie affecter ces soldes structurels. Il n’y a donc pas lieu de demander de nouvelles mesures d’austérité aux douze autres pays de la zone euro et tout intérêt, au contraire, à y laisser jouer pleinement les «stabilisateurs automatiques» pour atténuer les effets de la nouvelle récession. Un tel mouvement serait également parfaitement compris par les investisseurs financiers, inquiets de voire la zone euro s’enfoncer dans la récession du fait des politiques budgétaires procycliques menées en son sein.
(Source : Alternatives Economiques)
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