François Hollande a promis lundi 29 octobre «des décisions dès le mois de novembre dans tous les domaines de la compétitivité» pour répondre à ce «défi». Le très attendu rapport Gallois doit déjà être rendu public le 5 novembre. Il offrira la «donne» du quinquennat en la matière.
Pour Alexandre Delaigue, professeur d’économie à Saint-Cyr Coëtquidan et cofondateur du blog Econoclaste, se focaliser sur la compétitivité n’a pas de sens pour un pays, encore moins pour un Etat membre de l’Union européenne. La stratégie n’est pas nouvelle cependant : elle a régulièrement servi à faire passer des réformes impopulaires. Alexandre Delaigue a répondu aux questions d'Elsa Fayner pour Rue89.
Comment définir la compétitivité ?
Une entreprise est compétitive si elle parvient durablement à vendre ses produits sur un marché de manière pérenne. Cela implique qu’elle dispose d’un avantage particulier sur la concurrence. C’est ce qui fait que la clientèle va acheter ses produits plutôt que ceux des concurrents.
Il peut s’agir :
• de coûts de production plus faibles permettant d’offrir des prix plus bas pour des produits identiques à ceux de la concurrence ;
• de produits différenciés perçus comme justifiant une différence de prix.
Pour caractériser ces deux catégories, on parle de compétitivité-prix et de compétitivité hors-prix. L’argument majeur en faveur du «choc de compétitivité», c’est que l'avantage coût des produits français a diminué sans que l’avantage hors coût n’ait augmenté, et qu’il faut corriger ce problème.
La notion de compétitivité s’applique-t-elle à un pays ?
En tant que telle, non. Un pays n’est pas une entreprise, qui peut faire faillite.
Et le solde du commerce extérieur n’est pas un indicateur de performance économique en tant que tel. L’essentiel de ce qui est produit en France est destiné aux Français. Il y a un taux de change entre le pays et le monde extérieur, des barrières aux échanges, de la concurrence entre entreprises sur le territoire national, bref, cela n’a tout simplement rien à voir.
Il y a néanmoins une volonté d’utiliser le concept de compétitivité pour les nations. Le forum de Davos publie un «classement de compétitivité» chaque année, en la définissant comme «l’ensemble des facteurs qui déterminent la productivité d’une nation». En pratique, cela correspond surtout aux préjugés des temps. Cette année, l’Arabie Saoudite (18e) est plus «compétitive» que la France (21e), qui est plus «compétitive» que l’Irlande (27e). Quel sens donner à ce genre de classement, surtout que les champions d’une année sombrent dans les tréfonds dans la période suivante ?
Ce n’est d’ailleurs pas ce que les gens entendent par «compétitivité» : généralement, ils font l’assimilation avec la capacité d’exporter plus que l’on importe, ce qui n’a pas de rapport avec la prospérité nationale. La Chine est plus «compétitive» que la Grèce, mais ses habitants sont trois fois moins riches que les Grecs !
Le concept est donc très imprécis ?
Oui. Disons que, si on veut faire un parallèle avec la définition pour les entreprises, on peut imaginer que cela traduit la compétitivité des entreprises nationales soumises à la concurrence étrangère (exportatrices, ou concurrencées par les importations). Cela dit, même cette définition pose des problèmes : si Renault prend des parts de marché à Peugeot, que devient la compétitivité de l’industrie automobile française ?
La compétitivité est une donnée relative : elle ne se définit que par rapport aux autres. Les efforts de compétitivité d’un pays sont peine perdue si tout le monde essaie d’accroître sa compétitivité en même temps. Surtout en période de crise.
Peut-on dire que la «compétitivité» française a diminué ?
Depuis le passage à l’euro, il y a eu un changement important : le coût horaire du travail en Allemagne a pratiquement stagné alors qu’il a continué à augmenter dans les autres pays européens, en France en particulier. En termes relatifs, cela signifie que la compétitivité des entreprises françaises s’est dégradée par rapport à celles des allemandes. Cela correspond à un choix effectué par l’Allemagne lors des réformes «Hartz», et c’est l’un des facteurs importants de la crise actuelle dans la zone euro.
Durant cette période, effectivement, comme les aspects de compétitivité «hors-prix» des entreprises françaises n’ont pas progressé, on peut dire que leur compétitivité s’est dégradée.
Est-ce nouveau ?
Pas du tout. Des rapports et des inquiétudes sur la compétitivité, on en a régulièrement depuis au moins les années 60. Les réformes économiques du général de Gaulle consistaient déjà en une dévaluation du franc et des réformes structurelles (rapport Armand-Rueff).
Le cocktail «choc de coûts et réformes de long terme» n’est pas nouveau ! Pendant des années, la «stratégie de compétitivité» du ministère des Finances a consisté à négocier, dans le cadre de Bretton Woods puis du système monétaire européen, des dévaluations du franc. On avait un grand talent pour le formuler de manière noble.
Et puis, avec le tournant de 1983, l’idée a été de renoncer à cette facilité, d’arrêter les dévaluations régulières, de s’arrimer au mark allemand pour pousser les entreprises françaises à se réformer et devenir des championnes de la compétitivité «hors-prix». Le passage à l’euro, en rendant toute dévaluation éternellement impossible, devait couronner cette stratégie de «désinflation compétitive». Manifestement c’est un échec, puisqu’il faut de nouveau soutenir les entreprises françaises en abaissant artificiellement leurs coûts.
Les entreprises françaises sont toujours incapables de gagner suffisamment en compétitivité hors-prix pour se passer d’un dopant monétaire, ou équivalent, de temps en temps. Cela devrait nous servir d’inspiration : le raisonnement «un coup de pouce à la compétitivité-prix et des efforts d’investissement dans la recherche, l’innovation, la montée en gamme, etc», cela ne fait jamais que trente ans qu’on le tient, sans résultat.
Les raisons invoquées par les partisans du «choc de compétitivité» sont-elles valables ?
Le problème, c’est qu’avec l’euro, on ne peut pas dévaluer le franc et qu’avec le marché unique, on ne peut pas faire l’équivalent d’une dévaluation, avec des droits de douane et subventions aux exportations. Faute de dévaluation monétaire, ils proposent donc de procéder à l’équivalent d’une dévaluation fiscale pour donner un avantage coût aux exportations françaises. Déplacer les cotisations sociales sur d'autres taxes est alors l'équivalent d'une dévaluation du franc.
Mais dire qu’il faut un «choc de compétitivité», c’est dire en filigrane «la construction économique européenne ne fonctionne pas à notre avantage»... Or c’est un discours tabou, car les partisans du «choc de compétitivité» sont aussi le plus souvent d’ardents européistes.
Donc, ils se trouvent dans une situation paradoxale : préconiser une politique qui revient à essayer de regagner de la compétitivité sur les autres pays européens. Essayer, par des subventions ou des baisses de charges, de faire en sorte que les pertes d’emploi et les fermetures d’usines liées aux surcapacités automobiles en Europe se fassent plutôt en Angleterre ou en Belgique qu’en France. Ce n’est pas ce qu’ils veulent, même si cela revient à ça... C’est une politique non-coopérative, anti-européenne, l’hypocrisie en plus.
C’est le principal non-dit de tous ces débats sur la compétitivité : en creux, c’est l'opportunité et la possibilité de la construction européenne qu’ils mettent en doute.
Pourquoi se retrouvent-ils dans une telle situation ?
L’argument de la compétitivité sert, depuis toujours, d’aiguillon pour essayer de mettre en place des politiques considérées comme souhaitables, mais impopulaires. En pratique, transférer les cotisations sociales sur d’autres taxes, trouver que la protection sociale pèse trop sur le travail en France et que cela dissuade l'emploi, baisser les "charges" des entreprises pour faire payer les retraités, les fonctionnaires et les salariés, les bénéficiaires de minima sociaux, etc, ça ne fait pas terrible pour un gouvernement de gauche, même si cette mesure peut créer des emplois.
Alors, faire passer la pilule en appelant au grand sursaut patriotique, en expliquant que c’est nécessaire pour soutenir nos champions nationaux dans la grande compétition pour le marché mondial, est politiquement plus vendeur. L’obsession de la compétitivité est dans ce cas un pieux mensonge pour faire passer des politiques en apparences utiles, mais impopulaires et nuisibles à la prospérité et au bien-être des citoyens, donc à la demande intérieure. C’est possible, mais cela reste une diversion qui évite de nous poser les vraies questions : la pérennité de ces institutions majeures que sont nos systèmes sociaux et la construction européenne.
Si ce n’est que les gens vont finir par se dire que, si la compétition internationale est si terrible, il vaudrait mieux sortir de l’euro et de l’Europe : c’est la conséquence logique de l’idée de «choc de compétitivité». Voilà ce qui arrive quand on cherche à vendre une politique que l’on juge bonne avec des arguments fallacieux.
Que faudrait-il faire selon vous ?
Personne ne se préoccupe de la compétitivité du Nord-Pas-de-Calais par rapport à celle de l’Ile-de-France. Si on reste en Europe, pourquoi donc s’inquiéter de celle de la France par rapport à l’Allemagne ?
Mais il faudrait expliquer clairement quelles sont les conséquences de la construction européenne. Dans une zone intégrée économiquement, les productions, spécialement industrielles, se concentrent dans quelques endroits. L’intégration économique européenne implique que des régions ou des pays se spécialisent, et que d’autres perdent totalement certaines activités avec un risque de chômage massif.
Par ailleurs, cela suppose que tout ce qui touche aux questions de compétitivité soit décidé au niveau européen. Les autres pays auraient dû avoir un droit de veto à faire valoir sur les réformes économiques allemandes, et vice versa. C’est l’ampleur des transferts de souveraineté qui sont nécessaires au fonctionnement de la zone euro.
Est-on vraiment prêt à les accepter ? Les politiques français accepteront-ils d’avoir le pouvoir de présidents de régions ? Ce sont ces questions qui sont en filigrane dans le «choc de compétitivité» et que le gouvernement refuse d’aborder.
(Source : Rue89)
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