À droite (du schéma), ceux pour qui la relance passe obligatoirement par la demande, donc par une augmentation du pouvoir d’achat. À gauche, ceux qui estiment qu’il faut encourager l’offre de biens et de services, donc soutenir les entreprises. Les deux camps font fausse route ! (Un article de 2014 qui reste furieusement d'actualité).
Économistes et politiques ne savent plus à quel saint se vouer pour implorer quelques points de croissance, et quel sein téter pour la nourrir.
Certains sont convaincus (ou font mine de l’être) qu’il faut accorder des allégements massifs de charges aux entreprises pour les encourager à investir, pour redynamiser notre offre de produits et de services.
Mais qui y gagnera ? L’activité du pays ou les actionnaires et dirigeants qui se partageront des marges plus bénéficiaires qu’elles ne le sont actuellement ?
Qui peut croire un instant qu’avec la mentalité des possédants, toujours prompts à se lamenter sur leur pauvre sort, les mesures prises en faveur des entreprises profiteront au plus grand nombre ?
Ça ne se passera évidemment pas comme ça. D’ailleurs, les pleurnicheurs cigares aux lèvres ne se sont jamais autant goinfrés qu’en 2013. En un an, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes françaises a augmenté de 15% ! Et il ne faut pas croire que seuls les hyper-riches engrangent les fruits du capitalisme triomphant sauvé in extremis par les contribuables en 2007, 2008 et 2009.
Ils sont des centaines de milliers, des millions sans doute, hauts fonctionnaires, professions libérales, commerçants, cadres supérieurs… à profiter de l’aubaine.
Pensez donc ! Au bas de l’échelle, chez les sans-grade de la République, les salaires sont quasiment bloqués et l’inflation contenue. Dans la partie supérieure en revanche, les revenus s’envolent, comme les dividendes boursiers et la valeur des biens immobiliers haut de gamme situés dans les grandes villes, sur le littoral et à la montagne.
En ce moment, chez les bien nourris de la République, c’est «Pile je gagne ! Face tu perds !». Les difficultés économiques des uns (chômage, précarité, stagnation des salaires, augmentation des loyers et des énergies…) créent un environnement économique et social plus favorable encore à ceux qui détiennent le patrimoine ou peuvent embaucher.
Dans les usines (enfin ce qu’il en reste) ou à demeure, les ouvriers et le personnel de maison n'ont qu'à bien se tenir. S'ils rechignent à la tâche, s'ils revendiquent, les immigrés fraîchement débarqués et autres travailleurs détachés venus de Pologne, de Roumanie, du Portugal ou de Chypre… se plieront aux exigences patronales sans rouspéter… eux !
Dans ce contexte extrêmement favorable à ceux qui ont déjà tout, le gouvernement (socialiste) prend des mesures visant à les enrichir plus encore. Les allégements de charges et la baisse de la pression fiscale sur les entreprises ne profiteront pas à l'investissement, à la recherche et au développement. Ils finiront d’une manière ou d’une autre dans les poches des possédants et des actionnaires. Et qu’on se le dise, ces bénéfices seront aussitôt «optimisés», entendez par-là qu’ils échapperont aux taxes et impôts habituellement perçus sur les plus-values.
Car si le ministère de l’Économie et des Finances s’enorgueillit du retour au bercail de détenteurs de comptes à l'étranger (en Suisse principalement), ils sont de plus en plus nombreux à s’exiler hors de nos frontières, dans des contrées aux obligations fiscales plus «light» qu’elles ne le sont chez nous.
La relance par l’offre consiste donc avant tout à faire peser l’effort sur ceux qui sont les moins bien lotis au seul profit de ceux qui possèdent. Toute aide en faveur des plus riches se traduit par leur enrichissement. Voilà une évidence qui semble pourtant échapper aux Valls et Sapin de service.
Dans cette affaire, l'État est doublement perdant (cela fait des années que ça dure) : Il soutient l'activité sans obtenir de contreparties. Le Pacte d'Irresponsabilité s'inscrit dans cette dérive de cadeaux faits au patronat éternellement insatisfait.
Pour relancer l’économie, il faut donc abandonner l’idée de doper l’offre pour se concentrer sur la demande, en augmentant les salaires et en diminuant les impôts qui pèsent sur les Français moyens. Voilà des mesures salutaires qui ne profiteront pas aux plus riches mais… euh… aux Chinois !
Parce que la relance par la demande ne fonctionne qu'à une condition : qu’elle se porte sur le «Made In France». Malheureusement, dans ce registre, l’offre se réduit à peau de chagrin !
Est-il nécessaire de rappeler que nous ne fabriquons plus la plupart des produits qui tirent la croissance ? Depuis 30 ans, nos dirigeants ont sacrifié l’outil industriel national et nos capacités d'innovation sur l’autel de la mondialisation. La France, grande puissance des années 60 et 70, a abandonné au reste du monde des savoir-faire hérités de siècles d’innovations techniques et technologiques. Une braderie à laquelle ne s’est pas livrée l’Allemagne qui, elle, continue à vendre aux Chinois, aux Indiens, aux Brésiliens et Vietnamiens… des machines-outils aux performances toujours inégalées. Les Allemands, eux, n’ont pas scié la branche qui supportait leur économie et moins encore les racines qui irriguent l'innovation «Made In Germany».
En France, relancer la demande se traduit indubitablement à encourager les importations et le creusement des déficits commerciaux, donc à fragiliser plus encore une économie qui ne fournit plus les produits que nous consommons massivement : habillement, informatique, son & image, téléphonie, jouets, équipements de la maison…
La France présente tous les signes d’un pays en voie de sous-développement : Les écarts sont de plus en plus insupportables entre riches et pauvres. Nos exportations reposent sur quelques pôles d'excellence comme l’agroalimentaire, l’aéronautique, l’automobile (plus pour longtemps), quelques industries du luxe… En dehors des denrées agricoles, nous ne produisons quasiment plus de produits du quotidien. Cela se traduit par un accroissement du déficit de notre balance commerciale qui était encore à l’équilibre en 2003. Elle est aujourd’hui déficitaire de plus de 60 milliards par an, et l’écart continue à se creuser entre exportations (en baisse) et importations (en hausse).
Toutes les mesures prises en faveur d’une relance par l’offre ou par la demande se heurtent à ce constat : Les fondations de l’économie française sont à ce point délabrées que le gouvernement n’a plus les ressources d'enrayer la spirale du déclin industriel.
Le premier indicateur de cette impuissance est l’augmentation du chômage qu’aucune mesure ne peut contenir, comme nous le constatons depuis des années. La France est incapable de sortir de l’ornière. Seul un puissant sursaut de croissance, à l’échelle européenne ou plus probablement mondiale, pourrait nous permettre de stabiliser le chômage. Mais rien n’est garanti puisque, comme nous l’avons vu plus haut, toute amélioration de la conjoncture française se traduira immédiatement par plus d’importations, donc plus de déficits.
D’autant que certains secteurs que l’on pensait plutôt épargné par la concurrence internationale (le BTP local, la construction et la rénovation de logements, l'artisanat) sont également en phase de déstructuration. Comme nous l’avons déjà évoqué, plus de 500.000 travailleurs détachés (selon les syndicats), issus de la CEE, exercent leurs activités aux conditions salariales françaises (à minima au SMIC) mais aux conditions sociales du pays dont ils sont originaires (Pologne, Roumanie, Grèce, Portugal…). Autant dire que, même dans les secteurs «protégés» du marché intérieur, un taux de croissance à 2 ou 3% ne se traduira pas par l’embauche de dizaines de milliers de chômeurs, mais par «l’importation» d’autant de travailleurs détachés.
Dans ce contexte, Monsieur Montebourg, notre flamboyant ministre de l’Économie et des Finances, semble désarmé. Il l’est d’autant plus que, comme ses augustes prédécesseurs (Nicolas Sarkozy et Christine Lagarde), l’actuel occupant de Bercy est avocat, une profession qui semble être en France gage d’expertise économique, budgétaire et industrielle. La bonne blague !
Comme ses prédécesseurs, Montebourg n’arrivera tout simplement à rien parce qu’il n’a pas les compétences qui devraient être l’apanage d’un grand ministre de l’Économie et des Finances. Mais, plus encore, parce que l’industrie française doit faire face à une concurrence internationale exacerbée, après avoir été laminée par l’inertie et l’incompétence de ses dirigeants. Un dépeçage qui se poursuit à mesure que l’on ferme usines et ateliers.
Enfin, une hypothétique relance n’aura que des répercussions très limitées sur l’emploi, tant les flux de main-d’œuvre au rabais imposés par l’Europe poursuivront leur œuvre de déstructuration et de précarisation du salariat français… voulue, entretenue et orchestrée par une partie du patronat et par la finance.
On comprendra dès lors que le débat entre députés frondeurs et députés godillots (de gauche et de droite) n’est que trompe-l’œil et attrape-nigauds !
On ne peut pas se désendetter en réduisant impôts et taxes. C’est pourtant ce que nous promet Manuel Valls. On ne peut pas relancer la machine économique par la demande car celle-ci profitera essentiellement aux importations. C’est pourtant le leitmotiv des députés frondeurs du PS. On ne peut pas alléger les charges des entreprises sans engagements formels à investir, à embaucher ou à augmenter les salaires. C’est pourtant ce que le gouvernement accorde aux organisations patronales. On ne peut pas impulser une reconquête industrielle dans un pays qui brade depuis 30 ans ses usines et ses ateliers, et continue à le faire. C’est pourtant la mission impossible que se fixe Arnaud Montebourg depuis 2012. Et on ne peut attendre d’un avocat aussi «brillant» soit-il, qu’il incarne le redressement productif d’un pays bien installé dans le déclin, au grand dam de toutes celles et tous ceux qui sont dans la galère… et ne sont pas prêts d’en sortir.
Yves Barraud
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