Depuis sa création, Actuchomage interroge régulièrement ses lectrices et lecteurs par l’entremise de petits sondages sans valeur statistique.
Pour autant, ils fixent des tendances qui, le plus souvent, s’enracinent dans la réalité, la confirment ou l’anticipent.
Ainsi, en 2005, quatre mois avant le référendum portant sur la Constitution européenne, nous avions mesuré la défiance qui se répandait dans l'opinion, cette montée en puissance du "Non" que les grands médias, les instituts de sondages et les politiques ignoraient superbement, en donnant le "Oui" largement vainqueur.
Deux ans plus tard, en 2007, il n'aura pas fallu attendre bien longtemps pour voir s'exprimer ici un mécontentement grandissant et inexorable à l'égard de Nicolas Sarkozy Président de la République, alors que les sondages diffusés dans la presse lui accordaient toujours des scores honorables.
Dans ce contexte de rejet, il était prévisible que le candidat socialiste qui se présenterait face à lui serait élu assez facilement, ce que confirmèrent nos lectrices et lecteurs dès mars 2012, deux mois avant l'échéance. Sans surprise, reconnaissons-le.
Pour autant, les mêmes nous indiquèrent juste après l’accession au pouvoir de François Hollande que cette élection «ne changerait rien ou que le nouveau président se contenterait de limiter la casse». À 73% les utilisatrices et utilisateurs d’Actuchomage anticipaient de quelques mois l’effondrement de la cote de popularité du Chef de l’État.
Dernièrement, bien avant les municipales et les européennes, nos lectrices et lecteurs nous annoncèrent une abstention record (40% des suffrages), un effondrement du PS (6% des votes) et une nette poussée du Front National assez surprenante sur un site étiqueté à Gauche.
À chaque fois que nous mettons un sondage en ligne, les résultats correspondent aux tendances émergeantes. À une exception cependant : Le score de la Vraie Gauche est toujours surévalué par nos lectrices et lecteurs qui sont, pour nombre d’entre eux, sympathisants ou militants à bâbord du parti socialiste. Ceci expliquant cela.
Pour cette raison, quand nous décryptons et analysons les résultats des sondages politiques mis en ligne sur Actuchomage, nous indiquons qu’une partie de notre lectorat est très impliquée dans les réseaux militants œuvrant sur les questions d’emploi et de précarité, traditionnellement ancrés à Gauche.
Cet engagement ne bouleverse pas les enseignements que nous pouvons en tirer, dès lors qu’on le prend en compte.
Dans certains cas, l'enracinement militant de nos lectrices et lecteurs apporte un éclairage supplémentaire sur les bouleversements sociopolitiques présents et à venir. Tel est le cas sur notre dernier baromètre portant sur la «poussée historique du FN aux Européennes».
Disons-le, la question posée : «Vous en pensez quoi ?» n’a pas motivé nos lectrices et lecteurs. Quand sur nos précédents sondages ils étaient 700, 1.400 ou 2.300 à y répondre, là, ils sont moins de 150, alors que la fréquentation du site reste stable.
Beaucoup ont été atterrés par des résultats marqués par une abstention record, un FN au sommet, un Front de Gauche décevant, un effondrement du PS. Après une telle déconfiture, ils ont souhaité tourner la page et, surtout, ne pas remuer le couteau dans la plaie. Oublier le traumatisme en quelque sorte.
Cette prise de distance assez radicale et jamais vue sur Actuchomage, même après l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 qui paraissait calamiteuse pour nombre d’entre nous, révèle l’amplitude du malaise qui touche toute la Gauche, au point de susciter l’inquiétude de Manuel Valls, le 14 juin dernier, dans un constat largement repris et commenté : «La Gauche peut disparaître !».
Le Premier ministre confirme ici une appréhension exprimée quelques mois plus tôt par Jean-Luc Mélenchon à l'occasion de la manifestation des Chômeurs et Précaires du 7 décembre 2013 : «De plus en plus de Français sont désorientés. Malheureusement, ils ne se tournent pas vers le Front de Gauche», constatait-il désappointé.
Une fois de plus, c’est exactement la tendance qu’indique notre dernier sondage. Si le nombre d’avis exprimés est dérisoire, leur sens ne l’est pas.
Pour 57% (au 22 juin 2014), la poussée du Front National correspond à «l’expression d’une désespérance des classes populaires». Si ce chiffre n’est pas une surprise, un autre en est une énorme : Pour moins de 10% de nos lectrices et lecteurs, ce vote exprime «une radicalisation droitière de l’électorat».
En d’autres termes, le FN apparaît de plus en plus comme un parti légitime représentant les classes populaires qui, est-il nécessaire de le rappeler, constituent l'électorat historique de la Vraie Gauche.
Il est probable que le même sondage aurait donné, il y a un an ou deux, 40 ou 50% de suffrages en faveur d’une radicalisation droitière. Non seulement nous sommes à moins de 10%, mais parallèlement, 17% des votants estiment que les Européennes traduisent «un effondrement des idéaux de Gauche» et 11% «une recomposition du paysage politique».
Tous ces chiffres mis bout à bout, la «menace FN» que la classe politique «républicaine» brandit à chaque élection, apparaît aujourd’hui secondaire pour 90% des votants. Quel retournement quand on pense au séisme provoqué par la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles de 2002 !
Une lourde résignation transpire de ces résultats, même s’il convient de la pondérer comme nous l’avons vu plus haut. Celles et ceux que ces élections ont laissé groggy finiront par sortir de leur léthargie à un moment ou un autre. Elles et ils ont besoin de prendre du recul, de se changer les idées, de décanter tout ça, à l’image d’un Jean-Luc Mélenchon sérieusement ébranlé qui a pris plusieurs jours de vacances en Espagne.
Mais il est à craindre que ce break ne suffise pas à relancer une dynamique profondément entamée.
Pour notre part, nous avons vu poindre cette recomposition du paysage politique (et pas seulement) depuis deux ou trois ans, notamment avec tous les témoignages que nous recevons par mails de la part de chômeurs et précaires lambdas comme on dit, mais aussi de personnes qui ont derrière elles un vrai parcours militant syndical ou politique de Gauche.
Parmi ceux-ci, nous avons publié le témoignage de Gilles sous le titre «J’ai honte de ce que je suis devenu, un pauvre mec !». Ses interrogations, son malaise et son mal-être ont suscité de nombreux commentaires, parfois aigres-doux, parfois compatissants, mis en ligne sur le site, et d’autres encore plus nombreux exprimés par mails et par courriers.
Un mois et demi avant l’échéance électorale, ce chômeur de 56 ans nous confiait avec ses mots à lui ce que nous subodorions et qui s’est confirmé le 25 mai dans les urnes.
Ceux qui estiment que les résultats des élections européennes sont à relativiser au regard du taux d’abstention record, seraient bien inspirés de lire le témoignage de Gilles… qui s’est abstenu mais qui aurait pu voter, lui aussi, Front National.
Voilà qui, un mois après le choc, résume le contexte actuel et futur avec lequel il faudra composer, et à partir duquel il va falloir recomposer en tenant compte de nouvelles aspirations sociopolitiques parfois déconcertantes. À l’instar d’un autre témoignage que nous n’avons pas encore publié, car nous estimons qu'il nécessite d'être plus étoffé, plus argumenté et mieux construit.
Pour le moment, il s’agit d’un commentaire, pas d’un article. Pour autant, il mérite tout notre intérêt. En voici un extrait : «En France, on se pose tout un tas de questions sur l’immigration, sur qui peut travailler ou pas, qui aura des papiers ou pas ? En Algérie, c’est simple, les immigrés d'Afrique noire ne peuvent pas avoir de permis de travail sauf s'ils adoptent la nationalité algérienne qui est très compliquée à obtenir. Ils ne se posent pas de questions là-bas. Y’a un chômage énorme, des millions de jeunes sans perspectives professionnelles. En Algérie, c’est la préférence nationale qui prime. Ici, en France, la préférence nationale est synonyme d’extrême droite, de racisme, de xénophobie. Moi, je suis français. Je suis né en France. Mes enfants sont français et je veux qu’ils aient du travail. C’est tout !».
Ces lignes sont écrites par Saïd, un Français d’origine algérienne au chômage depuis trop longtemps, qui déclare avoir voté Front National aux Européennes, comme son frère Ahmed qui exerce le métier de boulanger.
Nous avons demandé à Saïd de préciser son parcours et ses motivations pour compléter son témoignage. Nous attendons son retour.
Cependant, ce commentaire corrobore parfaitement un enseignement que nous tirions trois mois avant les élections européennes, le 12 février très exactement, dans un article intitulé : «Chômage, Austérité, Europe, tiercé gagnant du FN». Et que pouvions-nous y lire ?
(…) Comme nous l’avons évoqué plus haut, même nos concitoyens issus de la diversité ethnique pourraient y être sensibles (cf. : aux arguments du Front National sur l’immigration, les travailleurs détachés…).
Des origines maliennes, algériennes, comoriennes, marocaines, chinoises, camerounaises, tunisiennes… ne préservent pas de la crainte d’être mis en concurrence forcée avec des travailleurs récemment arrivés.
La couleur de peau et la religion n’ont plus leur place dans ce débat. Il s’agit juste de préserver son job pour certains, d’en retrouver un pour d’autres, dans un environnement de plus en plus concurrentiel, tant à l'extérieur du pays qu'à l'intérieur.
L’Europe telle qu’elle s’est élargie et construite, est perçue comme un facteur d’instabilité professionnelle par des électeurs focalisés sur le quotidien de leurs difficultés. C’est dans ce terreau déstabilisé par la précarité que le FN s’enracine.
À tel point que ce dernier pourrait définitivement s’affranchir de toute dérive raciste et xénophobe, en puisant sa force de frappe électorale dans cette réalité : Le «danger» n'est plus incarné par cet immigré africain, généralement musulman, désigné par le FN pendant des décennies comme responsable du chômage. À présent, le «concurrent» est un travailleur blanc, chrétien, originaire du sud ou de l’est du continent, ce «travailleur détaché» dont l'Europe encourage la mobilité !
Cette évolution est fondamentale. Aujourd’hui, les Français de toutes origines sont plus enclin à se battre pour protéger leur emploi qu’à préserver une «identité gauloise» qui ne correspond plus aux profils sociologiques de la France du XXIe siècle. (…)
Si la Gauche ne veut pas disparaître, il faudra qu’elle prenne en compte cette aspiration fondamentale, partagée par toutes celles et tous ceux qui exercent une activité en France et veulent – par dessus tout – la conserver et la transmettre à leurs enfants.
Si la Gauche continue à incarner l’ouverture des frontières et la libre circulation (et installation) des Hommes, une partie de ses électeurs viendront encore grossir les rangs des aspirants au protectionnisme, donc ceux du Front National.
Mais sa posture serait alors schizophrénique, par la renonciation à un idéal humaniste et universel, fondateur de sa pensée, de sa philosophie et de ses engagements.
Autant dire que, sauf miracle (puissant redémarrage de l’économie et des embauches, donc baisse massive du chômage et de la précarité), la Gauche rose et rouge n’a pas fini de panser ses plaies et ses hémorragies.
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