Pour cette nouvelle année, pas moins de 252.455 emplois à saisir ! Voilà un chiffre qui a de quoi rendre optimiste. En 2006, les prévisions de recrutements de 130 grandes entreprises dévoilées en exclusivité pour Challenges augmentent de 2% toutes catégories confondues, et de 5,5% pour les cadres.
En tête des plus gros recruteurs figure McDonald’s avec 30.000 embauches, suivi de Carrefour (15.000) et de Monoprix (10.000). Et dans la catégorie des amateurs de cadres, le groupe Société générale avec 2.200 cadres recrutés en 2006, Altran (2.000) et le groupe Bouygues (1.850). En 2006, le nombre de postes à pourvoir pourrait ainsi atteindre des niveaux proches de ceux de la fin des années 1990, confirmant la reprise de l’an passé, qui s’était traduite par l’embauche de 160.000 cadres dans le secteur privé (estimation Apec).
Mais qui aurait parié sur une progression forte de l’emploi en 2006 avec un PIB limité à 2% par an ? A y regarder de plus près, l’embellie repose certes sur le dynamisme du chiffre d’affaires dans certains secteurs mais aussi sur les premiers effets du choc démographique. Annoncé depuis dix ans comme l’assurance du plein-emploi, le papy-boom, c’est-à-dire le départ à la retraite de la nombreuse génération des baby-boomers nés après 1945, est enfin une réalité.
Des départs en cascade
Entre 2005 et 2015, les experts du ministère de l’Emploi prévoient une moyenne annuelle de 600.000 départs à la retraite. Et, pour la première fois depuis les années 1970, le nombre d’arrivées de jeunes issus du système éducatif ne les compensera sans doute pas. A partir de 2010, la population active devrait fondre de 80.000 personnes par an. L’Apec évoque même un déficit annuel de 40.000 cadres dans le privé. Du jamais-vu. Au-delà, la litanie des prévisions donne le vertige : à l’horizon 2020, il manquerait en France 700.000 actifs. Et en 2050, ce chiffre pourrait atteindre 2,6 millions de personnes. Soit plus que le nombre actuel des demandeurs d’emplois. On comprend pourquoi le Premier ministre, Dominique de Villepin, peut promettre tranquillement le plein-emploi (soit 5% de chômeurs) pour 2015.
Une belle opportunité
Mais, dans les entreprises, l’équation n’est pas aussi limpide : pas question de répondre au papy-boom par «un entrant pour un partant». Jacky Chatelain, directeur général de l’Apec, est formel : «Si le papy-boom libère des emplois, il n’en créera pas pour autant. Tout dépendra de la croissance des entreprises.» D’après l’enquête de l’observatoire Cegos réalisée en février 2005, 77% des DRH pensent ainsi que le choc démographique est une opportunité, mais 36% d’entre eux envisagent d’y répondre par une réduction d’effectifs et 69% par des promotions internes. Pour Marc-Antoine Estrade, chargé de mission Prospectives des métiers et qualifications au Commissariat général du Plan, mieux vaut être prudent : «L’ampleur de la baisse du chômage dépendra des mesures prises par les entreprises en termes de recrutement et d’organisation du travail et de l’accompagnement des pouvoirs publics.»
Banque et assurance d’abord
L’impact du papy-boom sur les plans de recrutement 2006 est certes perceptible, mais il est très différent d’un secteur à l’autre, voire d’une entreprise à l’autre. Extrêmement fort dans les banques et l’assurance, il est souvent freiné ailleurs par la recherche de gains de productivité et l’obligation, pour cause de déficit des comptes sociaux, de faire travailler plus longtemps les seniors. Ainsi, les entreprises les plus touchées par le papy-boom ne sont pas toujours celles qui créent le plus d’emplois. Inversement, des secteurs comme les services informatiques ou l’audit-conseil affichent un fort dynamisme sans le moindre départ à la retraite. Le papy-boom n’est pas une potion magique, mais un coup de booster à intégrer dans sa stratégie de recherche d’emploi.
La banque et l’assurance sont, sans conteste, les deux secteurs les plus concernés par les départs à la retraite. En forte croissance, elles recruteront dès 2006 des commerciaux tous azimuts et mettent les bouchées doubles pour éviter une pénurie de main-d’œuvre : 3.850 CDI pour le groupe Société générale, 3.500 chez BNP Paribas. «Chez nous aussi, le vrai pic est attendu entre 2008 et 2012, avec de 600 à 700 départs en retraite prévus par an», précise Pascal Alexandre, DRH de Groupama, qui comptabilise déjà 430 départs à la retraite en 2006.
Des services jusqu’à l’industrie, en passant par la grande distribution, le papy-boom touche déjà de nombreux autres secteurs. Mais chaque entreprise le gère à sa manière. Celles qui sont portées par la croissance de leur chiffre d’affaires se contentent d’intensifier leur recrutement. C’est le cas par exemple du géant du luxe LVMH, qui recrute 300 cadres en CDI pour seulement 50 départs. De KPMG, un des leaders de l’audit et de l’expertise comptable (500 embauches de cadres pour 100 départs), ou de Vinci dans le secteur du BTP en pleine croissance (1.500 cadres entrants pour 300 partants). Le constat est le même chez Bouygues Construction (2.100 CDI à pourvoir et 300 départs) : «Fin octobre, on avait réalisé 100% de nos commandes et j’ai une prévision d’activité soutenue au moins jusqu’en 2007, se félicite François Jacquel, son DRH. Nous avons dû mettre un coup d’accélérateur pour recruter et créer, début novembre, une cellule spéciale de recrutement de cinq personnes pour traiter les candidatures et faire un peu de chasse.»
Ailleurs, les entreprises préfèrent jouer la prudence ou profiter de l’occasion pour se réorganiser. Ainsi, dans l’aéronautique, Dassault Aviation affiche 350 recrutements pour 300 départs. Schneider Electric, 400 embauches en CDI pour 260 départs. Chez Areva, le ratio sera de deux embauches pour un départ : «Le développement du nucléaire a un peu plus de trente ans, et du coup nous avons beaucoup de seniors, explique Pierre-Hervé Bazin, responsable du recrutement. Nous avons mis en place en 2005 un observatoire des métiers et, d’ici début 2006, nous prendrons les mesures de transfert et de renouvellement des compétences qui s’imposent.» Air France prévoit de recruter 1.250 personnes en CDI pour 1.050 départs programmés. Mais, pour 250 cadres sur le départ, la compagnie aérienne en embauchera seulement 130 en CDI…
Des économies dans le public
Dans les entreprises publiques, où l’effet papy-boom est également très fort, pas question non plus de perdre de vue l’impératif de faire des économies. Selon l’expression devenue célèbre à l’Education nationale, ici aussi, on «dégraisse le mammouth». A la SNCF, avec la grogne et la pression des syndicats, on n’ose pas encore communiquer «tant que le budget n’est pas officiellement bouclé». Toutefois, pour 7.000 départs à la retraite prévus cette année, 4.500 personnes «au moins» devraient être embauchées. EDF se contentera d’embaucher 1.000 personnes en 2006 pour 9.000 départs à la retraite entre 2005 et 2007. La Poste, quant à elle, recrutera 6.000 personnes en CDI pour 6.500 départs en retraite.
Les seniors mieux considérés
Enfin, de très nombreuses entreprises affichent en 2006 des recrutements intensifs hors de tout impact démographique. Les secteurs du conseil et des nouvelles technologies ont retrouvé leur vitalité. Mais, avec des moyennes d’âge très peu élevées dans leurs effectifs, le papy-boom est, pour eux, tout simplement hors sujet. «Chez Altran, la hausse de nos prévisions de recrutement est due tout simplement à une reprise significative du marché, surtout lors du second semestre 2005, explique Gilles Wozelka, son DRH France. La reprise accentue le turnover. Du coup, nous avons deux profils de candidats. Les premiers viennent pour des carrières longues ; les seconds pour acquérir rapidement des compétences sur un projet et repartir ensuite.»
Moralité : si la démographie fait son entrée par la petite porte en 2006, elle deviendra un sujet stratégique dans les années qui viennent. Alors autant l’intégrer dans son évolution de carrière et repérer si le secteur dans lequel on évolue déroulera bientôt le tapis rouge pour cause de pénurie de main-d’œuvre.
Les plus de 45 ans ont également des chances de bénéficier d’un deuxième effet «emploi». Parmi les pays développés, la France détient en effet un des plus faibles taux d’emploi des 55-64 ans (37,3%), et l’OCDE et Bruxelles attendent d’elle un relèvement progressif de l’âge moyen de sortie d’activité (58,7 ans actuellement). Objectif fixé par le Conseil européen : un taux d’emploi des seniors qui doit atteindre 50% d’ici à 2010. D’ores et déjà, certaines entreprises ont entendu le message. Elles méditent sur l’exemple du Japon, où Toyota, deuxième constructeur automobile mondial, a rappelé ses anciens ouvriers à la retraite pour produire sa nouvelle gamme de voitures spécialement adaptées aux seniors. Dans l’Hexagone, le groupe Grand-Optical s’est également aperçu que 92% des 45-65 ans font contrôler leur vue. Ce sont donc 50 vendeurs seniors qui vont être embauchés en 2006. Paradoxalement, le papy-boom pourrait aussi rimer, dans les années qui viennent, avec un boom de l’emploi des seniors…
Un article de Dominique Thiébaut et Pierre Cuin pour Challenges
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