Il a été fonctionnaire (instituteur, postier), dompteur de poules, ouvreur au cinéma. Ecrivain, éditeur, animateur d'ateliers d'écriture dans le «9-3», Jean-Jacques Reboux s'apprête à lancer sa propre maison d'édition au mois de mars. En attendant, il pointe encore à l'ANPE, depuis octobre 1998. Et nous raconte une histoire qui circule sur le Web (ainsi que le Canard Enchaîné du 4 janvier), emblématique, selon lui, de la «stigmatisation» antichômeur, sur fond de «séances de remobilisation collective des chômeurs longue durée».
Le 13 décembre, ce détenteur de l'ASS (allocation spécifique de solidarité, 413 euros par mois) est convoqué à un «entretien individuel» dans une agence du IXe arrondissement à Paris. «Ça m'a étonné d'être appelé en plus de ma convoc bisannuelle, mais je m'y suis pointé.» Sur place, il retrouve 56 autres chômeurs dans une salle au premier étage, nantie de 30 chaises. «Ils nous proposaient un stage de remotivation.» Deux cents heures. Et dès le lendemain, à Montrouge, au sud de Paris.
Le ton monte. «Euh, pardon madame, mais on a reçu une convocation pour un entretien individuel», ose un demandeur d'emploi tétanisé. «Erreur, c'est une réunion de préparation à un stage pour les bénéficiaires de l'ASS», répond l'agent de l'ANPE. «Mais je n'en fais pas partie», s'agace un chômeur. «Bien, signalez-le au dos et vous ne serez pas inquiété», lance l'organisateur. «Ce genre de procédé ressemble à une rafle, madame, s'énerve un "stagiaire", c'est de la basse politique.» Jean-Jacques Reboux, lui, quitte la salle. «J'ai vu une femme pleurer, beaucoup de visages livides, de poings serrés...» Il s'indigne. «"Ça ne fait que commencer, monsieur, me répond l'agent de l'ANPE. Les politiques mettent de plus en plus le nez dans nos dossiers. C'est effarant. C'est l'horreur. On ne sait plus quoi faire..."»
Durcissement. Interrogée, l'ANPE reconnaît que la proposition d'un stage pour le lendemain «se discute, effectivement». Mais rappelle que ce genre de stage n'est «évidemment pas obligatoire» et que le refus de le suivre «n'entraîne» aucune radiation. «Attention aux fantasmes ! prévient-on à l'ANPE. Les chômeurs ne sont pas radiés abusivement et 50% des 381.600 radiations entre janvier et novembre 2005 sont le fait de retours à l'emploi. Arrêtez de confondre les options politiques et la réalité du terrain des agents !»
Noël Daucé, syndicaliste au SNU ANPE, ajoute que les radiations ont «baissé de 4% entre 2004 et l'automne 2005», et qu'il n'y aurait pas de «combine foireuse impulsée par le gouvernement à l'ANPE» pour éjecter les chômeurs... Dans le même temps, il reconnaît pourtant un «durcissement des contrôles», à travers «la multiplication de circulaires» qui visent à pointer du doigt «la classe chômeuse». «Il y a une pression réelle pour que les chômeurs s'adaptent à des secteurs pourvoyeurs de main-d'oeuvre plutôt qu'ils ne trouvent une formation réellement qualifiante ou un job adapté à leurs qualifications.»
Les associations de défense des chômeurs, elles, dénoncent le traitement statistique du chômage. «L'histoire de Jean-Jacques Reboux est symptomatique d'une dérive toujours plus grande, estime ainsi Marc Moreau, du collectif AC ! Tout cela, c'est de la stratégie de gestion de fichiers. On multiplie les convocs au dernier moment pour un stage bidon pour les sortir des stats.» Il dit aussi : «A coups d'ordonnances, le gouvernement parle de profilage, d'aiguillage, mais là, c'est du flicage pur et dur.» Jacqueline Balsan, vice-présidente du Mouvement national des chômeurs et des précaires, basé à Montpellier, est remontée comme jamais. «Vous n'imaginez pas le nombre de radiations ubuesques que l'on nous raconte, les agents de l'ANPE déprimés par les pressions, lâche-t-elle. Et la mise en place du suivi mensuel des chômeurs, sous couvert d'être plus efficace, tient plus du bracelet électronique que de l'aide réelle ! Comment voulez-vous qu'un agent de l'ANPE, dont un sur quatre est déjà précaire, suive sérieusement 400 entretiens par mois ?»
«Epuisés». Jean-Jacques Reboux, lui, reconnaît que «souvent les agents sont compétents», mais que «les pressions» sont de plus en plus fortes. «Lors d'un entretien préalable à la création d'emploi (EPCE), j'ai répondu que j'allais créer ma maison d'édition dans quatorze mois», souffle-t-il. Réponse de l'agent de l'ANPE : «Et c'est l'ASS qui va vous payer pendant tout ce temps, vous êtes gonflé !» Depuis, Reboux collecte des témoignages de chômeurs spoliés ou radiés abusivement. Avec, aussi, des récits d'agents de l'ANPE «épuisés», selon lui, «écoeurés» des pressions qu'ils font subir et qu'ils reçoivent. Son titre est déjà trouvé : Chômeurs, qu'attendez-vous pour disparaître ?
par Christian LOSSON pour Libération
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