Le principal élément du "miracle britannique" (4,6% de chômeurs officiellement recensés en 2004) n’a rien à voir avec la flexibilité supplémentaire que réclament le patronat et la droite en France. Cette déréglementation du travail était en effet déjà acquise il y a dix ans, à un moment où pourtant le taux de chômage du Royaume-Uni égalait celui de la France. Même l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) admet l’absence de «lien direct évident» entre protection de l’emploi et niveau de chômage : «Si l’on examine rétrospectivement la situation du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni, par exemple, trois pays où la protection de l’emploi est faible ou modérée, on voit que leur taux de chômage, aujourd’hui bas, était en fait élevé dans les années 1980 (...). A l’inverse, dans d’autres pays où l’emploi est relativement protégé, le chômage est resté longtemps à un faible niveau [1].»
Des explications plus probantes de la performance britannique sont le rôle du temps partiel (24,1% de l’emploi total au Royaume-Uni, contre 13,4% en France) [2], la création de postes dans l’administration et les services publics, l’absence de contraintes monétaires du type de celles que l’euro a imposées à la France et à l’Allemagne, enfin le quadruplement (statistique) du nombre de «handicapés» depuis vingt ans. Ce dernier résultat est corrélatif au durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs (allocation uniforme de 80 € par semaine limitée à six mois ; sanctions en cas de refus des propositions faites, même pour un salaire très inférieur à celui de l’emploi précédent) [3]. Le Royaume-Uni compte environ 2,7 millions de "handicapés", contre 570.000 en 1981, le recours au régime d’invalidité ayant servi à dégonfler les statistiques des demandeurs d’emploi [4]. Notamment pour les plus âgés.
La déshérence des équipements collectifs britanniques obligeait M. Anthony Blair à réagir ; la diète budgétaire des années Thatcher lui en a procuré les moyens. Résultat : «La politique menée en matière de services publics a conduit à de nombreuses créations d’emplois : 1 million, soit la moitié des emplois créés depuis 1997, concernent les services administrés (dont 350.000 emplois dans la santé et autant dans l’éducation) [5].»
Depuis 1997, «le taux de chômage n’a baissé que de 2,2 points au Royaume-Uni, soit à peine plus qu’en France ou dans la zone euro [6]». Si la croissance de l’emploi global au Royaume-Uni est restée en définitive comparable ou inférieure à celle de la France, dans le dernier cas la population en âge de travailler a cependant crû deux fois plus vite (12%) qu’au Royaume-Uni (6%) [7]. En d’autres circonstances, on aurait célébré non pas la baisse du nombre de chômeurs britanniques, mais le dynamisme démographique de la France...
[1] OCDE, Perspectives de l’emploi de l’OCDE (2005), Paris, 2005, p. 216.
[2] Ibid., p. 284.
[3] Récemment, quand l’entreprise Rover a supprimé 5.000 emplois, Mme Margaret Hodge, ministre britannique du travail et des retraites, a cru utile de signaler que Tesco, la chaîne d’hypermarchés, recherchait des salariés (bien plus mal payés que ceux de Rover). Lire «Britain employs carrot and stick to lure people to work», Financial Times, Londres, 12 juillet 2005.
[4] Pour une analyse du même phénomène, lire Dominique Vidal : «Miracle ou mirage aux Pays-Bas», Le Monde diplomatique, juillet 1997.
[5] Catherine Mathieu, «La politique économique du New Labour : un modèle pour l’Europe ?», Lettre de l’OFCE n°261, 4 mai 2005.
[6] Ibid.
[7] The Wall Street Journal Europe, 19 août 2005.
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