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... Pauvres Britanniques !

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Chaque mois, dans les médias, on nous ressort la même rengaine : moins de 5% de chômage au Royaume-Uni et environ 10% en France ! Voilà de quoi mettre à mal notre modèle social. La croissance aussi est deux fois plus importante chez nos voisins d'outre-Manche ! D'où le sentiment de plus en plus partagé et propagé que notre modèle social est moribond, et qu'il faut de grands changements pour sortir la France de son déclin, voire, pour certains, de sa décadence...

Or voilà quelques chiffres qui chantent une tout autre musique. Ses chiffres sont extraits des sites Internet de l'OCDE, de l'INSEE et de l'organisation anglaise New Policy Institute.

Ne parlons pas chômage, parlons plutôt PAUVRETÉ, car un des principaux buts d'une société avancée comme le prétend être la nôtre est l'éradication de la pauvreté. Bien qu'étant un concept complexe, sa définition statistique est assez simple. On commence par calculer le revenu médian après redistribution de ressources (la moitié des habitants gagnent plus, l'autre gagnent moins). Le seuil de pauvreté est alors défini comme un certain pourcentage de ce revenu médian. Deux valeurs sont couramment utilisées : 60% et 50%. On peut parler respectivement de pauvreté et de grande pauvreté. Pour être plus clair, est considérée comme «pauvre» une personne dont le revenu individuel est inférieur à 50% ou 60% du revenu médian. Voilà pour la théorie.

Passons à la pratique. Selon l'OCDE, le taux de pauvreté à 50% du revenu médian en 2000 était de 7% en France contre 11,4% au Royaume-Uni. De son côté, l'INSEE relève en France un taux de grande pauvreté de 6,3% et un taux de pauvreté de 12,2% en 2003. Et du côté britannique, le New Policy Institute recense en 2004 environ 8 millions de personnes vivant avec moins de 50% du revenu médian, soit environ 13% de la population britannique, et 12 millions vivant avec moins de 60% de ce revenu, soit environ 23% de la population du pays. Quel que soit le seuil utilisé et quelles ques soient les sources, on arrive donc à la même conclusion : il y a environ deux fois plus de personnes pauvres au Royaume-Uni qu'en France.

Le plus douloureux, c'est que les mauvais chiffres de la pauvreté en Grande-Bretagne sont clairement liés au choix d'un nouveau modèle économique et social, lancé par Margaret Thatcher lors de son arrivée au pouvoir en 1979. Les taux de pauvreté et de grande pauvreté étaient alors respectivement de 12% et 5%. Le rideau tombe ici sur le miracle économique britannique ! La pauvreté a doublé en Grande-Bretagne sous l'ère Thatcher, et bien que ses successeurs (John Major et Tony Blair) aient réussi à stopper son augmentation, ils n'ont pas pu faire redescendre ce taux à une valeur comparable à celle qui est observée dans le reste de l'Europe.

Que se passait-il en France pendant la même période, me demanderez-vous ? La pauvreté y a reculé, certes modestement, mais régulièrement, sous quasiment tous les gouvernements, passant, selon l'INSEE, de 8,3% en 1979 à 6,3% en 2003 pour la grande pauvreté, soit une baisse d'un quart environ. Quant au taux de pauvreté à 60% du revenu médian, il est passé de 14,3% à 12%, soit une baisse de 16%.
Ajoutons un petit bémol à ce tableau "idyllique" de la France, l'INSEE à mesuré en 2003 une augmentation du taux de grande pauvreté de 5% (passage de 6% à 6,3%). Est-ce seulement passager, ou annonciateur de l'adoption du modèle britannique en France ? Attendons les chiffres pour 2004 et 2005 avant de nous prononcer.

Le taux de chômage ne serait donc pas un bon indicateur économique, ou tout au moins social, puisque le Royaume-Uni a vu son nombre de pauvres doubler, alors que son taux de chômage était divisé par deux. Comment est-ce possible ? Deux réponses peuvent être proposées :
• De nombreux «actifs inactifs» sont exclus du chômage pour faire baisser celui-ci de manière mécanique.
• Il existe un Grande-Bretagne un nombre important de travailleurs pauvres.
Les chiffres de l'OCDE nous apportent encore la réponse à cette question : ces deux assertions sont vérifiées, et contribuent à expliquer l'écart entre chômage et pauvreté.

Commençons par étudier «l'inactivité des actifs» au Royaume-Uni et comparons-la à celle de la France. L'OCDE dispose d'un indicateur intitulé «taux de personnes vivant dans un ménage sans travail alors que le chef de ménage est en âge de travailler», qui mesure exactement ce qui nous intéresse ici. Ce taux est de 10,6% de la population totale en France, contre 12,7% au Royaume-Uni. Etonnant, n'est-ce pas ? Il y aurait donc, semble-t-il, quelques différences dans la façon de mesurer le chômage de chaque côté de la Manche.

Mais passons au plus grave maintenant : le cas des travailleurs pauvres. Je n'ai pas trouvé d'indicateur vraiment convaincant pour mesurer directement le taux de travailleurs pauvres dans chaque pays, mais en étudiant la pauvreté par type de ménage, je suis tombé «par hasard» sur quelques chiffres très intéressants. Le taux de pauvreté (à 50% du revenu médian) dans les familles monoparentales sans emploi est d'environ 62% dans les deux pays, mais lorsque le parent travaille, ce taux chute à 9,6% en France contre 20,6% chez nos voisins. De même, le taux de pauvreté chez les couples avec un emploi y est respectivement de 6,3% et 17,6%, avec deux emplois on passe à 1,6% et 3,6%. Il semble bien que le phénomène des travailleurs pauvres soit au moins deux fois plus important au Royaume-Uni.

Exclusion d'un certain nombre de personnes du chômage et travailleurs pauvres, voilà, semble-t-il, le vrai visage du modèle britannique. Peut-être devrions-nous un peu moins parler de ses 4% de chômeurs, et un peu plus de ses 20% de pauvres. Et réfléchissions un peu, avant de renoncer à notre modèle social.

(Source : Anthony Meilland pour AgoraVox)

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