Les récents événements sociaux qui ont agité la France à l'occasion de la lutte pour le retrait du Contrat Première Embauche se sont soldés par une victoire de ses opposants. L'article 8 de la loi sur le CPE a été remplacé par un article accroissant les aides publiques aux contrats déjà existants : par exemple, octroi de 400 € par mois pour tout employeur qui embauchera un jeune issu d'une ZUS la première année, puis 200 € la deuxième avec exonération totale des cotisations sociales... On peut donc dire que, en ce qui concerne les fonctionnaires, les économies substantielles réalisées par leurs ministères seront reversées au patronat.
Victoire en demi-teinte donc. La France au travail se réveille avec la gueule de bois et le porte-monnaire vide. Mais quelques semaines après, force est de faire un constat : le combat contre la déréglementation sociale voulue par le gouvernement est loin d'être gagné. D'une part, le CNE (qui est la copie du CPE pour les entreprises de moins de 20 salariés, soit plus de 90% des entreprises en France) est toujours bien vivant. Il n'a pas eu les mêmes honneurs et les étudiants ne sont pas montés au créneau contre lui parce que, sans doute, ils pensaient qu'il ne les concernaient pas directement, ou moins directement que le CPE. Il ne reste donc plus aux salariés qui sont sous l'empire de ce contrat "nouvelles embauches" qu'à faire entendre leur voix devant les tribunaux.
Peut-on dire que les contre-pouvoirs ont abdiqué ? On peut légitimement se le demander. Comment en effet concevoir, dans un Etat de droit, que les parties à un contrat (fut-il un contrat de travail) puissent rompre ce contrat sans motif ? C'est une absurdité totale qui va en contradiction avec tous les principes du Droit Civil français, et a fortiori du Droit du Travail qui n'a été institué qu'en vue de rétablir l'équilibre rompu entre les parties au contrat de travail. Le Droit du Travail vient protéger partiellement une des deux parties, la plus faible dans la négociation puisqu'elle est demandeuse d'un emploi. Le CNE vient insidieusement introduire dans le Droit du Travail une disposition qui est encore moins protectrice que le Droit Civil commun. Cette verrue juridique s'est justifiée par l'exigence de "souplesse", de "flexibilité", la "séparabilité" que voudrait voir consacrée Laurence Parisot, présidente du MEDEF.
Sur le fond, qu'en est-il ? Est-il si difficile de se séparer d'un salarié en France, qu'il faille le priver du droit le plus essentiel de toute personne : la motivation des actes qui vous concernent, qu'ils soient privés ou publics ?
Le droit du licenciement individuel est essentiellement réglé par les articles L.122-14 et suivants du Code du travail. L'employeur qui envisage de se séparer d'un collaborateur doit le convoquer à un entretien préalable par lettre RAR ou remise en main propre qui ne peut avoir lieu moins de 5 jours après la présentation au salarié de ladite lettre. Au cours de cet entretien, le salarié peut se faire assister d'un conseiller du salarié (liste préfectorale) ou d'un salarié de l'entreprise si cette dernière a des délégués du personnel. L'employeur expose les griefs au salarié et recueille ses observations. Il ne lui reste ensuite qu'à respecter au moins un jour franc entre l'entretien et la notification du licenciement qui se fait également par lettre RAR en exposant les motifs précis du licenciement.
Il n'y a donc rien de plus simple que de se séparer d'un salarié quand on a des bonnes raisons de le faire. Seulement, c'est là que le bât blesse : il faut avoir un motif ! L'arbitraire n'a pas cours. En effet, en cas de motifs erronés, discriminants ou abusifs, le licenciement sera qualifié "sans cause réelle et sérieuse" par les Conseils de Prud'hommes qui pourront condamner l'employeur à verser des dommages-intérêts au salarié abusivement licencié.
IL N'Y A DONC AUCUNE DIFFICULTÉ À LICENCIER EN FRANCE…
Ce qu'a voulu imposer le gouvernement c'était non pas la simplification de la procédure, mais surtout la disparition de la motivation. De ce fait, l'employeur n'aura même plus à rechercher des motifs valables, il peut se séparer de son collaborateur à son gré. Les premiers jugements sont édifiants : le motif réel de la rupture du contrat va de la discrimination au licenciement économique déguisé. Dans le principe, l'absence de motivation sous-entendait probablement que l'employeur n'aurait à justifier ce que la jurisprudence antérieurement appelait la "perte de confiance". Jurisprudence qui a toujours consacré le principe selon lequel l'employeur choisit librement ses collaborateurs. Mais le texte est allé très loin en permettant tous les abus possibles.
Il n'y a donc en France pas de "rigidités", d’"immobilismes". Les travailleurs français sont dans le peloton de tête quant à la productivité. Rendre le marché du travail "dépressif" permet d'imposer de telles mesures qui sont aberrantes dans notre pays. La déconstruction du Code du Travail est en marche : recodification du Droit du Travail en cours (qui permettra, avec de simples décrets, de retirer des pans entier de mesures protectrices qui avant étaient de l'ordre de la Loi), casse de l'Inspection du Travail qui va sous peu être "mise au pas" par la hiérarchie du Ministère du travail, etc… Il semble hélas que toutes ces mesures n'intéressent que peu les médias, plus attentifs aux combats de coqs entre les têtes du gouvernement.
Articles les plus récents :
- 12/05/2006 19:36 - Villepin méprise les fonctionnaires...
- 12/05/2006 16:58 - Mon voisin paie l’impôt sur la fortune !
- 11/05/2006 19:31 - Les discriminations toujours ignorées des tribunaux
- 11/05/2006 02:50 - Enquête sur les cumulards de la République
- 09/05/2006 20:17 - Le suivi des chômeurs se privatise
Articles les plus anciens :
- 05/05/2006 04:17 - Le travail des enfants recule, selon l'OIT
- 04/05/2006 16:24 - Formation professionnelle : le DIF est un fiasco
- 04/05/2006 06:14 - Le Medef ne veut pas qu'on contrôle les patrons
- 04/05/2006 05:20 - Pressions autour des statistiques du CNE
- 01/05/2006 21:15 - Premier rapport de la HALDE