«Le redémarrage de l'emploi cache une précarité persistance», déclare, dans une interview aux Echos le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, très critique sur la politique gouvernementale. «La réalité, ajoute-t-il en commentant l'objectif du gouvernement de faire revenir le nombre de chômeurs sous les 2 millions, c'est qu'il y a entre 3,5 et 4 millions de personnes au chômage.» Analysant l'état du corps social quatre ans après la «catastrophe» du 21 avril 2002, il estime que «les débats de société que mène le gouvernement en ce moment sont symptomatiques d'un pays qui souffre».
La croissance est revenue, le chômage est en forte baisse et le Premier ministre distribue de l'argent aux salariés modestes : en cette rentrée 2006, n'avez-vous pas tout lieu d'être satisfait ?
Nous n'allons pas bouder notre plaisir de voir la croissance redémarrer, même si nous nous interrogeons sur sa capacité à durer. Sur la reprise des créations d'emploi, il faut juger sur la durée et bien regarder le type de postes créés. L'OFCE nous dit que ce sont à 78 % des emplois à durée déterminée, dont la moitié d'un mois. En cas de ralentissement de l'économie, ces emplois-là seront détruits tout de suite. Autrement dit, ce redémarrage de l'emploi cache une précarité persistante.
Vous avez critiqué l'exonération totale de charges patronales au niveau du SMIC dans les entreprises de moins de 20 salariés, mesure annoncée jeudi, mais cela ne peut-il pas permettre de créer de l'emploi ?
Le Premier ministre met à nouveau la charrue avant les boeufs. Il reste sur une vision dogmatique qui consiste à penser que la baisse des charges crée de l'emploi. Or cette idée est de plus en plus contestée, notamment par la Cour des Comptes. Et c'est contradictoire avec l'engagement de réunir une conférence sur l'emploi et les revenus. Si le Premier ministre prend des décisions avant même d'avoir réuni cette conférence, il va en diminuer sensiblement l'intérêt. Il y a plus grave : avec cette mesure réservée aux entreprises de moins de 20 salariés, on est en train de créer un véritable statut dérogatoire de la petite entreprise. On a progressivement deux types d'employeurs et deux types de salariés, qui n'ont pas les mêmes contrats de travail - je pense au CNE -, pas les mêmes charges sociales, pas le même régime d'heures supplémentaires, pas le même droit social... Est-ce cela la cohésion sociale ? Alors que les employeurs se plaignent des effets de seuil, le gouvernement ne cesse de les renforcer.
Enfin, c'est une mesure qui va ouvrir de nouvelles trappes à bas salaires. Or 40% des salariés sont rémunérés entre 1 et 1,5 SMIC, dont une bonne partie de travailleurs qualifiés. Pour la CFDT, le gouvernement doit, au moins, exiger des entreprises qui bénéficieront de ces exonérations, des contreparties en termes de création d'emplois et de développement des carrières.
(...) Comment accueillez-vous la proposition de Nicolas Sarkozy d'un vote à bulletins secrets dans les entreprises en grève ?
C'est incroyable : au moment où le Premier ministre ouvre un débat sur le dialogue social, un ministre d'Etat vient fustiger les syndicats sur un comportement marginal, tout en regrettant leur faiblesse. Où est la logique ? Il faut absolument, pendant cette campagne électorale, si on veut lui donner du sens, laisser tomber les propos de circonstance, sinon la France va revivre la catastrophe du 21 avril 2002. A notre dernier congrès, nous nous sommes engagés à réfléchir à tout autre mode d'action avant de recourir à la grève. Ce n'est pas très malin de chercher querelle sur ce sujet.
(...) Que pensez-vous de la proposition de SMIC à 1.500 euros ?
La question du SMIC doit être abordée dans le cadre d'un débat plus large sur les salaires et les déroulements de carrière. Je constate que nous avons maintenant des salariés qualifiés moins bien payés que leurs collègues européens. Comment redonner espoir à ces salariés, qui sont, en quelque sorte, tirés vers le bas à chaque hausse du SMIC ? C'est la question des déroulements de carrière qui est posée.
La forte revalorisation de la prime pour l'emploi (PPE) ne conduit-elle pas l'Etat à se substituer aux entreprises pour relever les basses rémunérations ?
C'est une vraie question. Au départ, la PPE devait inciter à reprendre un emploi. Aujourd'hui, elle risque de se substituer aux augmentations de salaire. La hausse de la PPE est naturellement une bonne chose pour ceux qui la perçoivent, mais nous souhaitons que ce sujet soit totalement débattu lors de la conférence sur les revenus et l'emploi.
La CFDT préside l'assurance-maladie : fallait-il accorder de nouvelles augmentations aux médecins alors que le déficit de la branche reste très lourd ?
Lorsqu'elles sont négociées et qu'elles s'accompagnent d'améliorations pour les patients et d'engagements d'économies pour l'assurance-maladie, les revalorisations des tarifs médicaux sont acceptables pour la CFDT. Ce qui est insupportable, c'est le comportement des chirurgiens et obstétriciens libéraux. Ils se sont permis de faire grève, cet été, en pleine vague de chaleur, alors que le gouvernement demandait la mobilisation de tout le monde. C'est un acte anticitoyen. Ensuite, le gouvernement leur finance, sur les fonds de la collectivité, leurs assurances privées. Et, maintenant, ils décident, unilatéralement, d'augmenter leurs honoraires. Ce sont des pratiques de voyous.
La négociation sur l'assurance-chômage s'ouvre, le 26 septembre, dans un contexte de moindre pression financière puisque la situation de l'emploi s'améliore. Quelles sont les chances d'aboutir ?
L'amélioration des comptes n'améliore pas la situation des chômeurs. Nous ne sommes pas dans la négociation d'une convention mais dans un exercice de remise à plat complète, y compris de la place de l'Etat qui verse des prestations comme l'ASS et le RMI. L'enjeu est de construire un système plus favorable au retour rapide vers l'emploi. Nous prendrons le temps qu'il faudra pour cela.
Le gouvernement vise moins de 2 millions de chômeurs avant la présidentielle. Cela vous semble-t-il réaliste ?
Le Premier ministre oublie les 1,4 million de personnes au RMI, que la CFDT considère comme des chômeurs, et ceux qui sont en stage aidé dont la situation est aussi précaire. La réalité, aujourd'hui, c'est qu'il y a, en France, entre 3,5 et 4 millions de personnes au chômage ou à charge de l'Etat.
(Source : Les Echos)
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